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SOIXANTIÈME CHAPITRE

Conversations échangées entre Kṛṣṇa et Rukmiṇī

Un jour que Śrī Kṛṣṇa, Dieu, la Personne Suprême, Lui qui accorde le savoir à tous les vivants, depuis Brahmā jusqu’à l’insignifiante fourmi, Se trouvait dans la chambre de Rukmiṇī, celle-ci et ses servantes se consacraient à Lui. Les servantes, à l’aide de cāmaras, éventaient Kṛṣṇa assis sur le lit de Rukmiṇī.

Les rapports qu’échangeait Kṛṣṇa avec Rukmiṇī en tant qu’Époux idéal manifestent la perfection suprême de Dieu, la Personne Souveraine. De nombreux philosophes avancent un concept de la Vérité Absolue selon lequel Dieu ne peut Se livrer à tel ou tel acte. Les mêmes nient l’Apparition du Seigneur, ou de la Vérité Suprême et Absolue, dans la forme humaine. Mais la réalité est tout autre : Dieu ne peut être limité par ce que perçoivent nos sens imparfaits. Il est la Personne Suprême, toute-puissante et omniprésente ; par Sa volonté souveraine, il peut créer, maintenir et annihiler la manifestation cosmique tout entière, mais aussi bien descendre sur Terre comme un homme ordinaire, pour remplir la plus haute mission. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, chaque fois que s’entache d’imperfections l’accomplissement du devoir de l’homme, le Seigneur descend. Ce n’est pas une puissance extérieure qui Le force d’apparaître, mais Il descend de par Sa puissance interne propre, afin de rétablir le juste critère de la fonction humaine, en même temps que pour détruire les éléments qui perturbent la marche progressive de la civilisation. Et c’est en conformité avec ce principe des Divertissements absolus que le Seigneur descendit, dans Sa Forme éternelle de Śrī Kṛṣṇa, au sein de la dynastie des Yadus.

Le palais de Rukmiṇī déployait dans ses moindres détails un merveilleux raffinement. De nombreux dais, au plafond, étaient décorés de lacets de perles, et le palais tout entier s’illuminait de l’éclat de joyaux précieux. On pouvait y voir de nombreux vergers fleuris de mallikās et de cāmelis, fleurs tenues en Inde pour les plus aromatiques, qui poussaient en bouquets épanouis et nombreux, rehaussant la beauté du palais. Par petits groupes, des abeilles, qu’attirait le parfum exquis des fleurs, se rassemblaient en bourdonnant autour des arbres. La nuit, un plaisant clair de lune filtrait à travers les fenêtres ajourées. On voyait, nombreux, des arbres pārijātas lourdement chargés de fleurs, dont la douce brise répandait la fragrance tout alentour. À l’intérieur brûlait l’encens, dont les fumées exquises s’échappaient par les volets. Dans la chambre de Rukmiṇī, des matelas couverts de draps blancs comme l’écume du lait, dont la couche avait aussi la douceur. Śrī Kṛṣṇa y prenait plaisir au service de Rukmiṇī et de ses servantes.

Avec quelle ardeur Rukmiṇī saisissait-elle la chance de servir Dieu, la Personne Suprême, en tant que son époux. Comme elle veut Le servir elle-même, elle prend de la main d’une servante le cāmara, dont le manche est d’or, décoré et incrusté de joyaux précieux ; il resplendit davantage encore dans sa main, aux doigts ornés de bagues serties de gemmes. À ses chevilles, des pierres précieuses et des clochettes, tintant avec grande douceur entre les plis de son sari. Sa poitrine un peu haute enduite de kuṅkuma et de safran, le reflet de cette couleur rougeâtre ajoutait à sa beauté. Au bas de sa taille, une large ceinture de dentelle ornée de pierreries, et à son cou, un médaillon de grand éclat. Engagé au service de Śrī Kṛṣṇa, son corps merveilleux, bien qu’elle fût alors d’âge à avoir des fils déjà bien grands, ne trouvait pas d’égal dans les trois mondes. À voir son visage merveilleux, il semble que cheveux bouclés, merveilleux pendants d’oreilles, sourire, collier d’or, tout cela est assemblé pour verser des pluies de nectar, et prouver sans conteste que Rukmiṇī est la déesse de la fortune originelle – et nulle autre –, celle qui toujours sert les pieds pareils-au-lotus de Nārāyaṇa.

Les Divertissements de Kṛṣṇa et de Rukmiṇī à Dvārakā sont acceptés, par les grandes autorités. en la matière, comme la manifestation de ceux de Nārāyaṇa et de Lakṣmī, à la haute opulence. Les Divertissements de Rādhā et Kṛṣṇa à Vṛndāvana, simples et pastoraux, diffèrent de ceux de Dvārakā, raffinés et citadins. Le caractère, les qualités de Rukmiṇī brillaient de façon inaccoutumée, à la grande satisfaction de Kṛṣṇa.

On se souvient que Nārada Muni avait offert une fleur pārijāta à Rukmiṇī. Satyabhāmā, jalouse, avait aussitôt demandé la même chose à Kṛṣṇa. Et même, elle ne se sentit apaisée que par la promesse d’un arbre entier. Kṛṣṇa tint cette promesse. À la suite de quoi Il s’attendit à ce que Rukmiṇī à son tour Lui fasse une requête. La reine, toutefois, ne dit rien de l’incident, car elle avait l’esprit grave et se trouvait satisfaite du service qu’elle offrait au Seigneur. Mais Kṛṣṇa voulait contempler courroucé son merveilleux visage. Il possédait plus de 16 000 femmes, et n’en montrait pas moins à chacune d’entre elles autant d’affection ; et, Il Lui arrivait de créer entre Lui et Son épouse une situation telle que cette dernière en venait à L’invectiver, manifestant une irritation causée par l’amour, à laquelle le Seigneur prenait plaisir. Ne pouvant trouver en Rukmiṇī, si grande dévote, toujours engagée à Son service, aucune faute, Il se mit à lui parler, souriant et plein d’amour. Rukmiṇī étant fille de Bhīṣmaka, un roi puissant, Kṛṣṇa s’adressa à elle non par son nom mais par le titre de princesse : « Princesse aimée, une chose Me surprend fort. Nombreux furent les grands personnages, appartenant à l’ordre royal, qui ont désiré t’épouser. Si tous n’étaient pas rois ils possédaient cependant opulence et richesse, propres à l’ordre royal ; tous avaient de bonnes manières, étaient érudits, célèbres parmi les rois, beaux aussi bien dans leurs traits physiques que par leurs qualités, libéraux, fort puissants et avancés en tous points. Ils n’étaient en rien indignes de toi ; et de plus, ni ton père ni ton frère n’avaient d’objection à leur opposer. Au contraire, ils donnèrent à Śiśupāla leur parole d’honneur qu’il aurait ta main. Et ce grand roi te convoitait si fort, était si fou de ta beauté, que s’il t’avait épousée, Je crois bien que jamais il ne t’aurait quittée, comme ton plus fidèle serviteur.

« Comparé à Śiśupāla, à ses qualités personnelles, Je ne suis rien. Et tu pourras toi-même t’en rendre compte. Je suis surpris que tu l’aies rejeté pour M’accepter, Moi qui lui suis bien inférieur. Car Je M’estime tout à fait indigne d’être ton époux, toi si belle, sobre, grave et exaltée. Puis-Je te demander la raison qui t’a conduite à M’accepter ? À présent, certes, Je peux M’adresser à toi comme à Ma merveilleuse femme, mais il faut pourtant que tu saches Ma véritable position : Je suis inférieur à tous ces princes qui ont désiré t’épouser.

« Tout d’abord, sache-le, Ma peur de Jarāsandha était si grande que n’osant point vivre sur la terre, J’ai fait construire cette demeure sur les eaux de l’océan. Voilà ce que Je n’ai pas coutume de révéler d’ordinaire, mais tu dois le savoir, Je ne suis pas très héroïque : bien au contraire, Je suis un lâche, qui a peur de tous. Ma sécurité est précaire, car les grands rois de ce monde Me sont tous hostiles. Cette hostilité, Je l’ai Moi-même engendrée en M’opposant à eux de diverses manières. Encore une de Mes fautes : assis sur le trône de Dvārakā, Je n’y ai point de droit direct. J’ai conquis le royaume en faisant périr Mon oncle maternel, Kaṁsa, mais la royauté aurait dû aller à Mon grand-père. Ainsi, Je n’ai nul droit à posséder un royaume. Mon existence n’a pas de but fixe, de sorte qu’on ne Me comprend pas très bien. Quel est le but ultime de Ma vie ? Tous savent que J’étais un jeune pâtre à Vṛndāvana. Ils attendaient que Je suive les traces de Mon père adoptif, Nanda Mahārāja, que Je sois fidèle à Śrīmati Rādhārāṇī, à toutes ses amies du village de Vṛndāvana. Mais voilà que, soudain, Je les quitte. Je voulais devenir un prince célèbre, et Je ne pouvais ni avoir de royaume ni exercer le pouvoir d’un prince. Tout cela égare ceux qui cherchent le but de Mon existence : suis-Je un jeune pâtre ou un prince, le fils de Nanda Mahārāja ou le fils de Vasudeva ? Comme Je n’ai pas de but fixe, on Me traite parfois de vagabond. Comment as-tu fait pour choisir comme époux ce vagabond ?

« Je n’ai pas non plus de bonnes manières, selon la norme sociale. Un homme devrait se contenter d’une seule femme ; et Moi J’en ai épousé plus de 16 000, et ne peux toutes les satisfaire ; cette manière d’agir avec elles n’est pas des meilleures et, Je le sais, tu en es consciente. Souvent, Je crée une situation qui met Mes épouses dans le malheur. Mon enfance s’est passée dans un village, et Je suis bien ignorant des manières de la ville. Je ne sais pas comment plaire à Mes épouses par de douces paroles ou une attitude agréable. Et on a bien vu que toute femme qui suit Ma voie, ou qui par Moi se laisse attirer, finit délaissée, pleurant, le reste de ses jours. À Vṛndāvana, nombreuses sont les gopīs que J’ai charmées, puis abandonnées : privées de Moi, elles continuent de vivre, certes, mais ne cessent pas de pleurer. Selon Akrūra et Uddhava, depuis que J’ai quitté Vṛndāvana, tous Mes amis les pâtres, les gopīs, Rādhārāṇī et Mon père adoptif, Nanda Mahārāja, versent sans cesse des larmes pour Moi. J’ai quitté Vṛndāvana pour toujours, et Je vis auprès des reines de Dvārakā, mais sans Me conduire avec elles comme il convient. Il est facile de voir combien Je suis instable, et qu’on ne peut guère compter sur un époux comme Moi. Celle qui est attirée par Moi se prépare une existence de deuil.

« Ma chère et belle princesse, il te faut savoir aussi que Je n’ai pas un sou. Dès Ma naissance, Je fus porté, sans le sou, à la maison de Nanda Mahārāja, où Je fus élevé comme un jeune pâtre. Mon père adoptif possédait des centaines et des milliers de vaches, mais pas une ne M’appartenait. J’avais seulement la charge de les soigner. Or, même ici, à Dvārakā, rien ne M’appartient, Je n’ai jamais un sou. Ce pourquoi Je ne saurais Me lamenter, car avant d’y venir Je n’avais rien non plus. Remarque aussi que Mes dévots ne sont pas gens de grande opulence ; eux aussi sont pauvres en richesses de ce monde. Les gens riches ne portent aucun intérêt au service de dévotion, à la Conscience de Kṛṣṇa. Au contraire, un sans-le-sou, par nécessité ou par le jeu des circonstances, peut s’intéresser à Moi. Mais les hommes infatués de leur richesse ne tirent pas avantage de la Conscience de Kṛṣṇa même quand leur est offerte la compagnie de Mes dévots. En d’autres mots, seuls les pauvres Me portent quelque intérêt. Voilà pourquoi Je pense que tu n’as pas fait un choix très judicieux. Tu sembles fort intelligente, tu as été élevée dans les règles par ton père et ton frère, mais tu n’en as pas moins commis une erreur de taille dans le choix d’un compagnon d’existence.

« Mais peu importe, et mieux vaut tard que jamais. Je te laisse désormais libre de choisir un mari digne de toi, vraiment ton égal en opulence, tradition familiale, richesse, beauté, éducation. Tes erreurs seront alors oubliées. Tu peux désormais tracer le chemin de ton propre intérêt. Selon l’usage, on ne célèbre pas de mariage entre personnes de position différente. Chère fille du roi de Vidarbha, Je pense que ton mariage avec Moi n’a pas été mûrement réfléchi, et que tu as fait un mauvais choix. Tu avais entendu glorifier Ma grandeur : mais Je n’ai jamais été rien d’autre qu’un mendiant ; tu n’as rien vu de Ma vraie nature, de Ma véritable position, quand tu M’as choisi pour époux. Grande erreur ! Encore une fois, choisis l’un des grands princes kṣatriyas, accepte un autre compagnon de ta vie, après M’avoir rejeté. Mieux vaut tard que jamais. »

Kṛṣṇa proposait à Rukmiṇī la séparation alors qu’elle avait de nombreux enfants déjà grands. C’était bien inattendu, car la culture védique n’admet pas le divorce. Et comment Rukmiṇī l’eut-elle accepté à un âge si avancé, alors que déjà elle avait de nombreux enfants mariés. Chaque mot de Kṛṣṇa semblait une folie, qui laissait Rukmiṇī dans la plus grande surprise. Elle était simple, et à l’idée d’être séparée de son Seigneur, l’angoisse grandissait en elle.

Kṛṣṇa poursuivit : « Il faut également que tu songes à ta prochaine vie. Choisis donc quelqu’un qui pourra t’aider à la fois dans cette existence et dans la suivante. Pour Ma part, J’en suis bien incapable. Chère et belle princesse, tu sais que les princes, y compris Śiśupāla, Śālva, Jarāsandha, Dantavakra et même ton frère aîné Rukmī, sont tous Mes ennemis et Me haïssent du fond de leur cœur. Pleins d’orgueil à cause de leurs possessions en ce monde, ils n’ont jamais eu le moindre regard pour qui se présentait à eux. Si J’ai consenti à te ravir comme tu le désirais, c’est pour leur donner une leçon. Mais Je n’ai pas vraiment d’amour pour toi, qui M’aimais avant même notre mariage.

Je te l’ai déjà dit, la vie familiale, l’amour entre mari et femme ne m’intéressent guère. Par nature, Je n’ai pas de goût pour l’épouse, les enfants, le foyer et l’opulence familiale. De même que Mes dévots, Je n’accorde guère d’importance à ces possessions mondaines. En vérité, seule M’intéresse la réalisation spirituelle, car elle seule M’apporte le plaisir. » Sur ces mots, Śrī Kṛṣṇa S’arrêta brusquement de parler.

Śukadeva Gosvāmī, dont l’autorité spirituelle est grande, souligne que Kṛṣṇa passait presque tout Son temps auprès de Rukmiṇī, laquelle tirait quelque vanité de cette grande fortune. Or, le Seigneur n’aime pas que Ses bhaktas s’enorgueillissent. Dès que l’un d’eux tombe dans la vanité, Kṛṣṇa, par quelque biais, le rabaisse. Ainsi, Il prononça des paroles bien dures à l’oreille de Rukmiṇī. Elle fut contrainte de penser que malgré la faveur dont elle jouissait, Kṛṣṇa pouvait la quitter à tout instant.

Elle avait conscience que son époux n’était pas un homme ordinaire, mais était Dieu, la Personne Suprême, le Maître des trois mondes. Et maintenant, elle avait peur, peur d’être séparée de Lui, car jamais auparavant Il ne lui avait parlé de la sorte. Cette peur lui causa un grand trouble, et son cœur se mit à palpiter. Sans répondre un seul mot, elle se mit simplement à pleurer, dans une grande angoisse, et comme noyée dans un océan de tristesse. En silence, elle gratta le sol des ongles de ses orteils, qui y laissaient un reflet rouge. Des larmes roses coulaient de ses yeux, se mêlaient au fard sombre de ses paupières, et tombaient, lavant sur sa poitrine le kuṅkuma et le safran. La gorge étranglée par l’angoisse, incapable de prononcer un seul mot, elle gardait la tête inclinée vers le sol et demeurait là, plantée. Sous l’extrême souffrance, elle perdit tout pouvoir de raisonner ; elle devint faible, et en un instant son corps s’amaigrit au point que les bracelets tombèrent de ses bras. Elle laissa choir le cāmara dont elle éventait Kṛṣṇa. Puis son cerveau et sa mémoire se brouillèrent, et elle perdit conscience. Ses cheveux joliment peignés se répandirent, et elle tomba, raidie tel un bananier abattu par une tornade.

Ainsi, Rukmiṇī n’avait pas pris pour une plaisanterie les paroles de Śrī Kṛṣṇa, ce qui Le frappa aussitôt. Lui, qui porte par nature une grande affection à Ses dévots, sentit Son cœur s’adoucir devant la détresse de Rukmiṇī, et sur l’instant, lui montra Sa miséricorde. La relation unissant Kṛṣṇa à Rukmiṇī était celle de Lakṣmī et Nārāyaṇa ; aussi le Seigneur apparut devant elle dans Sa manifestation de Nārāyaṇa, à quatre bras. Se levant de la couche, Il lui prit les poignets, la releva, puis, plaçant Ses mains rafraîchissantes sur son visage, lissa ses cheveux épars ; de Sa main, Il sécha sa poitrine. Il voyait l’intensité de son amour et l’étreignit.

Dieu, la Personne Suprême, habile dans l’art de présenter un sujet de façon raisonnable, de façon à ce qu’on le comprenne, voulut retirer l’effet de Ses premières paroles. Pour tous les bhaktas, Il est le seul secours : Il sait parfaitement comment les satisfaire. Rukmiṇī n’avait pu percer à jour Ses paroles espiègles, et désireux d’effacer sa confusion, Il reprit :

« Chère fille du roi Vidarbha, Ma chère Rukmiṇī, aie la bonté de ne pas mal Me comprendre. Ne sois pas ainsi cruelle envers Moi. Je sais que tu es sincèrement et sérieusement attachée à Moi, toi Mon éternelle compagne. Les paroles qui t’ont si fortement affectée n’ont rien de véridique. Je voulais seulement t’irriter un peu, et M’attendais à ce que tu répondes à Mes plaisanteries. Hélas, tu les as prises au sérieux ; J’en suis tout contrit. Je M’attendais à voir tes lèvres rouges trembler de colère, à t’entendre Me gronder sévèrement. Ô perfection de l’amour, jamais je n’ai pensé te voir si mal. Je croyais te voir fixer sur Moi tes yeux papillotants, pleins de vengeance, et pouvoir contempler la beauté de ton visage en courroux.

« Ma chère et belle épouse, tu le sais, nous sommes gens de famille. Tant d’activités nous absorbent, dans la condition de gṛhasthas, que nous aspirons au moment où nous pouvons ensemble prendre plaisir à quelques plaisanteries. C’est là le jeu le plus cher aux gens mariés. Car, les gṛhasthas travaillent très dur jour et nuit, mais la fatigue de toute une journée de labeur s’efface aussitôt que mari et femme se rencontrent et se plaisent à jouir de la vie. » Śrī Kṛṣṇa voulait Se présenter tel un gṛhastha ordinaire, qui prend plaisir à échanger des paroles espiègles avec son épouse. C’est donc plusieurs fois qu’Il demanda à Rukmiṇī de ne pas prendre Ses paroles au sérieux.

Lorsque Śrī Kṛṣṇa l’eut apaisé par Ses mots doux, elle comprit l’intention du Seigneur derrière Ses paroles. Peu à peu, toute crainte d’être séparée de Lui s’évanouit, et elle, naturellement souriante, se mit à contempler avec joie Son visage. « Ô cher Seigneur aux yeux pareils-au-lotus, dit-elle, Tu avais bien raison d’affirmer que Toi et moi ne formons pas un bon couple. Car je ne peux me hausser à Ton niveau, Toi qui es le Réservoir de toutes qualités, le Sans-mesure, Dieu, la Personne Suprême ! Comment pourrais-je donc être digne de Toi ? Comment pourrais-je me comparer à Toi, Maître de toutes grandeurs, Maître des trois guṇas et Objet d’adoration pour d’aussi grands devas que Brahmā et Śiva. Pour moi, je ne suis qu’un produit des trois guṇas, qui font obstacle au progrès sur le chemin du service de dévotion. Quand et où pourrais-je donc être une épouse digne de Toi ? Ô cher Époux, Tu as dit juste quand Tu as affirmé avoir pris refuge dans les eaux de l’océan par peur des rois. Mais qui donc est le roi de ce monde matériel ? Je ne pense pas que ce soit l’un de ceux que nous connaissons. Non, ce sont bien plutôt les trois guṇas, qui contrôlent le monde. Quant à Toi, sis dans le cœur de chacun, ils ne T’affectent pas – ce point est hors de doute.

« Tu fus toujours hostile aux rois de ce monde ? Ce sont, je pense, les sens. Leur puissance est la plus formidable, et ils tiennent tous les êtres sous leur contrôle. Et certes, envers ces sens matériels, Tu entretiens l’hostilité, car jamais Je ne Te vis souffrir leur joug. Bien plutôt, Tu en es le Maître, Hṛṣīkeśa.

Ô cher Seigneur, Tu as dit que tout pouvoir royal Te faisait défaut : cela aussi est vrai. Tes serviteurs, ceux qui s’attachent à Tes pieds pareils-au-lotus, rejettent eux aussi la suprématie en ce monde, car ils tiennent toute position matérielle comme appartenant à la région la plus sombre et faisant obstacle au progrès de l’illumination spirituelle. Si Tes serviteurs n’ont point d’attrait pour la puissance en ce monde, que dire de Toi ? Mon cher Seigneur, lorsque Tu dis que Tu n’agis pas tel un homme ordinaire, avec un but particulier dans l’existence, cela est aussi vrai. Même Tes grands dévots et serviteurs, à la sagesse renommée, demeurent en telle condition que nul ne peut soupçonner le but de leur existence. La société humaine les tient pour des fous et des cyniques. Le but qu’ils donnent à leur existence demeure un mystère pour l’homme du commun. Jamais le plus bas des hommes ne pourra connaître Ta Personne ou celle de Ton serviteur. Tout homme impur ne peut même imaginer les Divertissements que Tu échanges avec Tes dévots. Ô Toi sans limites, si les activités et les efforts de Tes dévots demeurent dans l’ombre aux yeux de l’homme du commun, que dire des Tiens ? Toutes sortes d’énergies et de perfections sont à Ton service et restent sous Ta protection.

« Tu T’es décrit comme sans un sou, mais est-ce pauvreté ? Puisque rien n’existe en dehors de Toi, qui es tout, quel besoin aurais-Tu de posséder quoi que ce soit ? Au contraire des autres, Tu n’as rien à obtenir. Toutes contradictions s’effacent en Toi, car Tu es absolu. Tu ne possèdes rien, mais nul n’est plus riche que Toi ; Tu es absolu, et ces contradictions n’en sont pas pour Toi. Les Vedas l’enseignent : si Tu ne possèdes pas de mains et de jambes matérielles, Tu n’en acceptes pas moins tout objet que les bhaktas T’offrent avec dévotion. Tu n’as d’yeux ni d’oreilles matériels, et pourtant Tu vois toutes choses, Tu entends tout. Et si Tu ne possèdes rien, les grands devas, qui acceptent d’autrui adoration et prière n’en viennent pas moins à Tes pieds pour T’adorer et solliciter Ta miséricorde. Comment donc pourrais-Tu être compté parmi les pauvres ?

« Ô cher Seigneur, Tu as affirmé encore que les membres les plus riches de la société humaine ne Te portent pas leur adoration. Cela aussi est vrai, car ceux qui s’enorgueillissent de leurs possessions matérielles pensent d’abord à en faire usage pour le plaisir des sens. Dès qu’un pauvre devient riche, comme il ignore la bonne façon d’utiliser une fortune acquise si durement, il dresse des plans pour satisfaire ses sens. Sous l’emprise de l’énergie externe, il croit que dans le plaisir des sens son argent est employé comme il convient, et néglige ainsi Ton service absolu. Ô cher Seigneur, les êtres qui ne possèdent rien, as-Tu dit, Te sont très chers ; car renonçant à tout, Ton dévot ne désire que Toi. Ainsi le grand sage Nārada Muni ! Il ne possède rien et ne T’en est pas moins infiniment cher.

« Ô Seigneur, Tu as affirmé que seul atteint le succès un mariage entre gens égaux quant au statut social, à la beauté, la richesse, la puissance, l’influence et le renoncement. Mais tout cela, c’est Toi seul qui l’accordes, par Ta grâce, Toi la Source suprême, parfaite, de toutes les excellences. Quiconque mène un train de vie opulent Te le doit. Comme l’énonce le Vedānta-sūtra : janmādy asya yataḥ, Tu es la Source suprême de qui tout émane, le Réservoir de tous plaisirs. Ceux qui jouissent du savoir ne désirent donc que T’atteindre, rien d’autre ne saurait les satisfaire. Pour connaître Ta faveur, ils renoncent à tout, fût-ce à l’absolue réalisation du Brahman. Tu es le But ultime de l’existence, le Réservoir où gisent tous les intérêts des êtres vivants. Ceux dont les motifs sont vraiment bons ne désirent que Ta Personne, et pour Elle abandonnent tout. Voilà qui les rend dignes de connaître Ta compagnie. Dans la société des serviteurs et du Servi que forme la Conscience de Kṛṣṇa, nul ne se trouve soumis aux plaisirs et aux douleurs qui caractérisent les sociétés matérialistes, lesquelles ont pour moteur l’attraction sexuelle. Chaque homme et chaque femme doit donc aspirer à en devenir membre. Tu es Dieu, la Personne Suprême, et nul ne peut T’égaler ou Te dépasser : aussi le système social le plus parfait est-il celui dont Tu formes le centre, servi en tant que l’Être Suprême, par tous, Tes serviteurs. Dans une société dont les structures sont ainsi parfaites chacun peut, éternellement, connaître bonheur et félicité.

« Ô Seigneur, seuls les mendiants, as-Tu dit, font l’éloge de Tes gloires, et cela aussi est vrai. Mais qui sont ces mendiants ? Tous de hauts bhaktas, des êtres libérés, des sannyāsīs. Tous, grandes âmes et dévots de Ta Personne, n’ont d’autre occupation que de Te glorifier. Ils sont prêts à pardonner même la pire offense. Ces prétendus mendiants accomplissent en fait leur progrès spirituel dans l’existence, tolérant toutes sortes de tribulations en ce monde. Mon cher Époux, si je T’ai accepté pour tel, ne crois pas que ce soit par inexpérience : je n’ai fait que marcher sur les traces de toutes ces grandes âmes. J’ai suivi la voie de ces grands mendiants et décidé d’abandonner mon existence à Tes pieds pareils-au-lotus.

« Tu es sans un sou, as-Tu encore affirmé, et c’est bien vrai. Tu Te donnes tout entier à ces grandes âmes, ces grands bhaktas. Forte de ce savoir, j’ai refusé même des personnages aussi élevés que Brahmājī et le roi Indra. Ô Seigneur, le Temps, grand parmi les grands, n’agit que sous Ton ordre. Telle est sa puissance qu’en un instant il peut dévaster n’importe quelle partie de la création. Tout cela bien considéré, J’ai pensé que Jarāsandha, Śiśupāla et les autres princes de leur rang, qui tous désiraient ma main, n’étaient guère que de minuscules insectes.

« Ô cher et tout-puissant Fils de Vasudeva, dire que c’est la crainte de tous les grands princes qui T’a fait prendre refuge dans les eaux de l’océan, c’est parole convenable, mais que contredit mon expérience auprès de Toi. Car je sais bien comment Tu m’as enlevée, par force, devant ces mêmes princes ; je sais comment le jour de mon mariage, Tu les as tous aisément écartés, sans rien faire d’autre que pincer la corde de Ton arc, pour m’accorder le refuge de Tes pieds pareils-au-lotus. Je garde encore vif le souvenir de mon enlèvement. Tu m’as prise comme un lion s’empare de force de sa proie, écartant d’un regard tous les autres animaux.

« Mon cher Seigneur aux yeux pareils-au-lotus, je ne peux Te comprendre lorsque Tu affirmes que les femmes – et les hommes – qui ont pris refuge sous Tes pieds pareils-au-lotus passent leurs jours dans le deuil. L’histoire du monde nous montre que les princes tels Aṅga, Pṛthu, Bharata, Yayāti et Gaya, tous grands empereurs de la planète, de si haut rang qu’ils ne connaissaient nul rival, renoncèrent, pour s’attirer la faveur de Tes pieds pareils-au-lotus, à leurs hautes positions, et se rendirent dans la forêt y pratiquer ascèse et pénitence. Comment, prise de plein gré, une telle position – accepter Tes pieds pareils-au-lotus comme le Tout de ce qui est – leur vaudrait-elle deuil et lamentation ?

« Ô cher Seigneur, Tu m’as conseillé de choisir parmi les princes un autre époux et de me séparer de Ta compagnie. Mais, mon cher Seigneur, j’ai parfaite connaissance du fait que Tu es le Réservoir de toutes les qualités. De grands saints comme Nārada Muni s’absorbent éternellement dans la glorification de Tes traits spirituels et absolus. Or, quiconque prend simplement refuge auprès d’un tel saint s’affranchit aussitôt de toutes souillures matérielles ; et celui qui vient ainsi au contact direct de Ton service, se voit accorder toutes les bénédictions de la déesse de la fortune. S’il en est ainsi, quelle femme au monde, ayant une seule fois entendu chanter Tes gloires de source autorisée, ayant d’une manière ou d’une autre goûté au nectar de Tes pieds pareils-au-lotus, peut être assez sotte pour consentir à épouser un être de ce monde, où l’on craint sans cesse mort, maladie, vieillesse et renaissance ? Voilà pourquoi j’ai accepté Tes pieds pareils-au-lotus, non pas de façon inconsidérée, mais après mûre réflexion. Ô cher Seigneur, Toi le Maître des trois mondes, Tu peux combler tous les désirs de tous Tes dévots, en ce monde et dans l’autre, car de chacun Tu es l’Âme Suprême. Je T’ai donc choisi pour époux, Te tenant pour le seul convenable. Tu peux me jeter dans n’importe laquelle des formes d’existence, selon le karma de mes actes intéressés, je n’en ai nul souci. Mon seul désir est de toujours pouvoir me tenir à Tes pieds pareils-au-lotus, car Tu peux délivrer Tes dévots de l’existence matérielle, illusoire, Toi toujours prêt à Te donner à eux.

« Ô cher Seigneur, Tu m’as désigné des princes, comme Śiśupāla, Jarāsandha ou Dantavakra ; mais quelle est donc leur position en ce monde ? Sans cesse ils sont absorbés en des tâches épuisantes pour assurer la vie de leur famille, tels des bœufs tournant jour et nuit le pressoir à huile. Pour cela on les compare également aux ânes, aux bêtes de somme. On les méprise tels des chiens, et des chats ils ont l’avarice. Ils se sont vendus comme esclaves à leurs épouses. Une femme de mauvaise fortune, qui n’a jamais entendu Tes gloires, acceptera peut-être un tel homme pour époux, mais certes jamais celle qui apprit à Te connaître, Toi que louent les habitants de cette planète, et aussi les grands devas comme Brahmā et Śiva ; jamais autre que Toi n’obtiendra sa main. L’homme de ce monde n’est qu’un corps mort. L’être vivant y est couvert du corps, de rien d’autre qu’un sac de peau décorée d’une barbe et de moustaches, de poils, d’ongles sur le bout des doigts et de cheveux sur la tête. Dans ce sac ainsi orné, des paquets de muscles, d’os, des flaques de sang, toujours mêlés à l’excrément, l’urine, le mucus, la bile et l’air pollué, tout cela formant le délice des germes et des insectes ! L’insensée accepte pour époux ce corps mort et, dans son erreur grotesque, lui porte son amour, lui devenu son cher compagnon. Commettrait-elle cette erreur si elle avait jamais goûté la saveur d’éternelle félicité de Tes pieds pareils-au-lotus ?

« Mon cher Époux, aux yeux pareils-au-lotus, satisfait en Toi-même, peu T’importent ma beauté ou mes qualités. Aussi, je ne m’étonne pas qu’en Toi ne se trouve nul attachement pour moi. Qu’importe la position et la beauté d’une femme : si grandes soient-elles, Tu ne peux T’y sentir lié. Ainsi, que Tu me sois ou non attaché, puisse ma dévotion et mon attention être toujours présents à Tes pieds pareils-au-lotus. Tu as créé la Passion : aussi, quand Tu me jettes un regard passionné, je le reçois comme la plus grande bénédiction de mon existence. Mon ambition ne réclame que le bon augure de semblables moments. »

Point par point, Rukmiṇī avait répondu aux paroles dont Kṛṣṇa S’était servi pour provoquer sa colère amoureuse. Kṛṣṇa l’entendit et reprit : « Ma chère et chaste épouse, Ma chère princesse, J’attendais de toi semblables explications ; tous ces propos narquois, bien éloignés de Mes véritables sentiments, n’avaient pas d’autre but. Il est atteint. Tu as donné de Mes paroles des explications merveilleuses, et véridiques, que J’approuve. Ô Rukmiṇī, à la beauté sans égale, tu es Mon épouse la plus chère. Grande est Ma satisfaction quand Je vois quel amour intense tu Me portes. Sois-en sûre, Je t’en prie, quelles que soient tes ambitions, tes désirs, tout ce que tu attends de Moi te sera toujours accordé. Je demeure à jamais ton serviteur. Et il est bien vrai que Mes dévots, Mes amis et serviteurs les plus chers, sont libres de toute souillure matérielle, même s’ils ne veulent en rien implorer de Moi cette libération. Car ils ne désirent jamais rien de Moi, si ce n’est de Me servir. Cependant, puisqu’ils dépendent tout entiers de Ma Personne, s’il arrive qu’ils Me fassent une demande quelconque, elle ne saurait être d’ordre matériel. Leurs ambitions et désirs, au lieu de les lier à la matière, deviennent pour eux source de libération.

« Ma chère épouse, chaste et vertueuse, J’ai mis à l’épreuve ta chasteté, ton amour pour ton Époux, épreuve passée avec le plus grand succès. J’ai voulu te troubler, par des paroles qui ne s’accordent guère avec ce que tu es ; Me voilà maintenant surpris de voir que rien de ta dévotion pour Moi n’a perdu de sa force initiale. Ô chère épouse, c’est Moi qui accorde aux êtres toutes bénédictions, et même la libération de ce monde de matière ; et c’est Moi seul encore qui peut mettre un terme à l’existence matérielle pour rappeler auprès de Moi l’âme conditionnée, de retour en sa demeure originelle.

« Ceux dont la dévotion pour Moi est impure M’adorent pour obtenir quelque bienfait matériel, pour se garder dans un monde de bonheur matériel, culminant avec le plaisir sexuel. Ceux qui endurent de sévères austérités à seule fin de connaître ce bonheur, certes ils sont recouverts de l’illusion de mon énergie externe. Oui, ceux qui ne s’engagent dans Mon service de dévotion que dans un but matériel, pour donner quelque plaisir à leurs sens, sont des plus sots. Le bonheur matériel basé sur la vie sexuelle, on le trouve jusque dans les formes de vie les plus abominables, celles du porc ou du chien. Nul, pour un bonheur accessible même dans des conditions d’existence infernale, ne devrait M’approcher. Mieux vaut, si l’on n’aspire qu’au bonheur de ce monde, sans désir pour Ma Personne, demeurer dans cette condition infernale. »

La souillure de ce monde de matière est si profonde en les êtres conditionnés qu’ils travaillent très dur, jour et nuit, pour obtenir quelque bonheur matériel. Toute la parade de religiosité, d’austérité, de pénitence, d’humanitarisme, de philanthropie, de politique, de science…, à laquelle ils se prêtent n’a pour but que d’obtenir quelque bienfait matériel. Et pour un succès plus rapide dans cette voie, les matérialistes vouent en général leur adoration à différents devas ; ensorcelés par leurs inclinations matérielles, ils adoptent parfois le service de dévotion offert au Seigneur. Il arrive même que si une personne sert avec sincérité le Seigneur, tout en maintenant quelque ambition matérielle, Kṛṣṇa, par un effet de Sa grande bonté, la prive de ces sources de bonheur matériel. Alors, privé de recourir aux plaisirs de ce monde, le bhakta s’engage tout entier dans le service de dévotion pur.

Śrī Kṛṣṇa poursuivit : « Ô chère, ô meilleure d’entre les reines, il est clair à Mes yeux que tu ne nourris nulle ambition matérielle : ton seul dessein est de Me servir, et depuis longtemps tu te trouves absorbée dans Mon service de dévotion pur et sans mélange. Un tel service de dévotion, pur et exemplaire, a le pouvoir non seulement d’accorder au bhakta la libération de ce monde, mais encore de l’élever au Royaume spirituel, où il Me servira éternellement. Ceux qui sont trop attachés au plaisir matériel ne peuvent M’offrir un tel service. Les femmes dont le cœur est souillé, plein de désirs matériels, inventent force moyens de donner à leurs sens le plaisir tout en montrant une façade très dévouée à Ma Personne.

« Toi que J’aime et que J’honore, bien que Je possède des épouses par milliers, Je ne pense pas qu’aucune d’entre elles puisse M’aimer d’un amour plus grand que le tien. La preuve : tu ne M’avais jamais vu avant notre mariage ; tu avais seulement entendu parler de Ma Personne. Or ta foi en Moi n’en fut pas moins ferme, et en présence de nombreux princes, qualifiés, riches et beaux, tu as maintenu ton choix, Me préférant à eux. Tu les as tous négligés ; avec délicatesse, tu M’as envoyé une lettre secrète, pour M’inviter à te ravir. Rukmī, ton frère aîné, comme Je t’enlevais, protesta violemment, et voulut s’opposer à Moi. Il fut vaincu et disgracié sans merci. Puis lors du mariage d’Aniruddha, pendant que nous jouions tous aux échecs, une controverse eut lieu, qui provoqua une lutte entre Rukmī et Mon frère aîné, Balarāma. Celui-ci finit par mettre à mort ton frère. J’ai été surpris de n’entendre aucune protestation sortir de tes lèvres. Anxieuse seulement à l’idée que tu pouvais être séparée de Moi, tu as tout enduré sans dire mot. Par ce silence, ô chère épouse, tu M’as gagné pour l’éternité ; c’est à jamais que Je te suis soumis. Quand tu envoyas ton messager vers Moi, pour que Je t’enlève, Je vins tard, et tout le temps de Mon absence le monde entier te parut vide. Tu pensas que ton corps merveilleux ne devait être touché par personne d’autre, et croyant que Je ne viendrais pas, tu décidas de te suicider, d’en finir d’un coup avec ce corps. Ma chère Rukmiṇī, un tel amour pour Ma Personne, si grand, si haut, demeurera à jamais en Mon âme. Car comment pourrais-Je te rendre ta pure dévotion ? »

Dieu, la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa, n’a certes que faire d’être l’époux, le fils ou le père de qui que ce soit, car tout Lui appartient et chacun se trouve sous Son contrôle. Il est ātmārāma, satisfait en Lui-même ; Il peut par Lui-même connaître tout plaisir, sans intervention extérieure. Mais lorsqu’Il descend en ce monde et y joue le rôle d’un être humain, Il se fait – à la perfection – soit époux, soit fils, ami ou ennemi. Ainsi, jouant le rôle du parfait Époux des reines de Dvārakā, notamment Rukmiṇījī, Il prit plaisir à l’amour conjugal, de façon parfaite.

Selon la culture védique, la polygamie est permise, mais les épouses ne doivent pas être mal traitées. En d’autres termes, un homme peut prendre plusieurs épouses à la seule condition qu’il soit capable, en homme de famille idéal, de les satisfaire toutes également. Śrī Kṛṣṇa est le Précepteur du monde ; ainsi, bien qu’Il n’eût aucun besoin d’une épouse, Il Se multiplia en autant de Formes qu’Il avait pris d’épouses et vécut avec chacune d’entre elles en mari idéal, observant les principes régulateurs, les règles et les engagements prescrits par les Vedas, les lois et la tradition sociale. Pour chacune de Ses 16 108 femmes, Il entretint simultanément différents palais, avec différentes ambiances. Ainsi, le Seigneur, bien qu’unique, Se déploya en tant que 16 108 chefs de famille idéals.

Ainsi s’achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le soixantième chapitre du Livre de Kṛṣṇa, intitulé: « Conversations échangées entre Kṛṣṇa et Rukmiṇī ».

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