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SOIXANTE-TROISIÈME CHAPITRE

Śrī Kṛṣṇa S’oppose à Bāṇāsura

Les quatre mois de la saison des pluies s’écoulèrent, et Aniruddha n’était toujours pas rentré. L’inquiétude grandissait dans la famille des Yadus. Son absence restait inexplicable. Mais par bonheur, le grand sage Nārada vint un jour les voir, et leur apprit ce qui s’était passé, depuis l’enlèvement d’Aniruddha dans la capitale de Bāṇāsura, jusqu’à la victoire du jeune homme sur les guerriers ennemis, et sa capture à l’aide d’un nāga-pāśa. Toute l’histoire fut révélée dans ses moindres détails. Alors, les membres de la dynastie Yadu, qui tous portaient à Kṛṣṇa une grande affection, se préparaient pour donner assaut à la ville de Śoṇitapura. Presque tous les chefs de la famille, y compris Pradyumna, Sātyaki, Gada, Sāmba, Sāraṇa, Nanda, Upananda et Bhadra, s’assemblèrent et réunirent en phalanges dix-huit divisions militaires akṣauhiṇīs. L’armée prit la route de Śoṇitapura, qui fut bientôt cernée de guerriers, d’éléphants, de chevaux et de chars.

Lorsque Bāṇāsura apprit que les soldats de la dynastie Yadu attaquaient sa ville, abattant de nombreux murs et portails, ravageant les jardins du voisinage, il entra dans une terrible colère et donna aussitôt l’ordre à ses troupes, égales en force à celles des Yadus, de les affronter. Si grande était la bienveillance de Śiva envers Bāṇāsura qu’il vint lui-même, assisté par ses fils héroïques, Kārttikeya et Gaṇapati, commander en chef ses armées. Assis sur son taureau favori, Nandīśvara, Śiva dirigea le combat contre Śrī Kṛṣṇa et Balarāma. On peut imaginer l’ardeur de la lutte : Śiva et ses fils d’un côté, de l’autre Śrī Kṛṣṇa, Dieu, la Personne Suprême, et Son Frère aîné Śrī Balarāmajī. Si féroce la bataille que ceux qui y assistèrent sentirent les poils se dresser sur leur corps ! Śiva luttait contre Śrī Kṛṣṇa, Pradyumna contre Kārttikeya, et Śrī Balarāma contre le général de Bāṇāsura, Kumbhāṇḍa, qu’assistait Kūpakarṇa. Sāmba, le fils de Kṛṣṇa, luttait contre le fils de Bāṇāsura, ce dernier affrontait Sātyaki, commandant en chef de la dynastie Yadu. Ainsi fut engagée la bataille.

La nouvelle s’en répandit partout dans l’univers. Les devas tel Brahmā, ainsi que des grands sages et saints, Siddhas, Cāraṇas, et Gandharvas, tous curieux d’assister à une bataille opposant Śiva, Śrī Kṛṣṇa et leurs lieutenants, étaient descendus des systèmes planétaires supérieurs pour planer au-dessus du champ de bataille à bord de leurs aéronefs. Śiva, appelé pour cette raison bhūta-nātha, se fit d’abord aider par toutes sortes de puissants esprits et habitants de l’enfer – bhūtas, pretas, pramathas, guhyakas, ḍākinīs, piśācas, kuṣmāṇḍas, vetālas, vināyakas et brahma-rākṣasas. (De tous les spectres, les brahma-rākṣasas sont les plus puissants. Il s’agit de brāhmaṇas transformés en fantômes).

Dieu, la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa, n’eut qu’à les battre du bois de son arc fameux, le Śārṅga-dhanu, pour chasser tous ces fantômes du champ de bataille. Alors, Śiva se mit à lancer sur le Seigneur les plus redoutables de ses armes. Mais Śrī Kṛṣṇa n’eut aucun mal à les neutraliser par d’autres armes. Un brahmāstra (arme comparable à la bombe atomique) se heurta à un autre brahmāstra ; une arme d’air à une arme-montagne ; à Śiva qui lançait l’arme d’air, provoquant un cyclone sur le champ de bataille, Śrī Kṛṣṇa opposa une arme-montagne qui arrêta l’ouragan. De même, lorsque Śiva lança un feu dévastateur, Kṛṣṇa lui opposa des torrents de pluie.

Enfin, Śiva lança son arme personnelle, le pāśupata-astra, qui fut arrêté par celle de Kṛṣṇa, le nārāyaṇa-astra. Śiva en fut exaspéré, et le Seigneur en prit parti pour lancer contre lui son « arme à bailler », sous l’effet de laquelle l’adversaire se sent las, se met à bailler, cesse de combattre. Śiva sentit l’envahir une lassitude si accablante qu’il refusa, en baillant, de poursuivre le combat ; ce qui permit à Kṛṣṇa de porter Son attention sur les attaques de Bāṇāsura : de Ses sabres et de Ses masses, Il fit périr les guerriers attachés à sa personne. Pendant ce temps, le fils de Kṛṣṇa, Pradyumna, luttait férocement contre Kārttikeya, le général des devas. Ce dernier était blessé ; de son corps coulaient des flots de sang : son état était tel qu’il cessa de combattre, et quitta le champ de bataille, sur le dos du paon qui le porte. Semblablement, Śrī Balarāma écrasait à coups de masse le commandant en chef de Bāṇāsura, Kumbhāṇḍa, et son assistant, Kūpakarṇa. Tous deux tombèrent sur le champ de bataille – Kumbhāṇḍa succombant à une blessure mortelle. Désormais privés de leur chef, les guerriers de Bāṇāsura s’éparpillèrent dans toutes les directions.

La défaite de ses guerriers ne fit qu’augmenter la colère de Bāṇāsura. Il jugea plus sage de cesser le combat avec Sātyaki, commandant en chef des armées de Kṛṣṇa, pour s’attaquer au Seigneur Lui-même. C’était l’occasion de faire usage de ses mille mains ! Il se rua sur Kṛṣṇa, actionnant dans un même temps cinq cents arcs et deux mille flèches. Mais jamais l’insensé ne comprend la puissance de Kṛṣṇa. Sans le moindre effort, Il brisa en deux chacun des arcs de Bāṇāsura et, pour que ce dernier ne prenne pas la fuite, fit tomber au sol les chevaux attelés à son char, qui se brisa en morceaux. Puis, Śrī Kṛṣṇa souffla dans Sa conque, la Pāñcajanya.

Bāṇāsura adorait une déesse du nom de Koṭarā ; entre eux s’échangeait une relation de mère et de fils. Mère Koṭarā, ulcérée de voir Bāṇāsura en danger de mort, apparut sur la scène, nue, les cheveux épars, debout devant Śrī Kṛṣṇa. Le Seigneur, n’aimant guère la vue de cette femme nue, détourna Son regard. L’asura saisit l’occasion pour s’enfuir du champ de bataille. Toutes les cordes de ses arcs tranchées, sans char et sans conducteur, il n’avait rien d’autre à faire que rentrer dans sa ville. Il avait tout perdu dans la bataille.

Harcelés par les flèches du Seigneur, tous les compagnons de Śiva, les esprits et les fantomatiques bhūtas, pretas et kṣatriyas quittèrent le champ de bataille. Alors Śiva eut recours à son arme ultime, la plus mortelle, le Śiva-jvara, qui détruit par une formidable élévation de température. Il est dit qu’à la fin de la création, le soleil brûle douze fois plus qu’à l’ordinaire. C’est cette température, douze fois la chaleur du soleil, que l’on appelle Śiva-jvara. Le Śiva-jvara, quand il fut lancé, avait trois têtes et trois jambes. Fonçant sur Kṛṣṇa, il sembla réduire tout en cendres sur son passage. Un feu ardent parut dans toutes les directions, mais Kṛṣṇa vit qu’il se dirigeait particulièrement vers Lui.

En face de l’arme Śiva-jvara, il existe également l’arme Nārāyaṇa-jvara. Elle a pour effet de produire un froid glacial. On peut, d’une façon ou d’une autre, supporter les hautes températures, mais le froid anéantit tout – comme on en fait l’expérience à l’instant de la mort (la température du corps commence par monter jusqu’à 42 degrés, puis le corps tout entier s’affaisse et se glace). Ainsi, pour réduire à rien la chaleur torride du Śiva-jvara, il n’existait pas d’autre parade que le Nārāyaṇa-jvara.

Lorsque Śrī Kṛṣṇa S’aperçut que Śiva avait lancé son arme ultime, Lui-même n’eut pas d’alternative, et ne put que lâcher le Nārāyaṇa-jvara. Śrī Kṛṣṇa est le Nārāyaṇa originel, et donc le Maître de l’arme Nārāyaṇa-jvara. Un combat gigantesque opposa les deux jvaras. Lorsqu’une chaleur excessive rencontre un froid extrême, elle diminue peu à peu : c’est ce qui arriva. La température du Śiva-jvara baissa peu à peu, et il se mit à crier en implorant l’aide de Śiva. Mais ce dernier se trouvait impuissant devant le Nārāyaṇa-jvara. Ainsi délaissé, le Śiva-jvara comprit qu’il ne lui restait plus qu’un choix : s’abandonner à Nārāyaṇa, Śrī Kṛṣṇa en Personne ; puisque Śiva, le plus grand d’entre les devas, ne lui était d’aucune aide, que dire des autres devas, inférieurs. Le Śiva-jvara finit par se prosterner devant Kṛṣṇa et Lui offrir une prière pour que, satisfait, Il le couvre de Sa protection.

Cet exemple montre bien que ne peut être mis à mort celui à qui Kṛṣṇa accorde Sa protection. Mais celui à qui Il la refuse, nul ne peut le sauver. Śiva porte le nom de Mahādeva, le plus grand d’entre les devas, bien que parfois on tienne pour tel Brahmā, parce qu’il a le pouvoir de créer ; mais Śiva peut anéantir les créations de Brahmā. Cependant, l’un et l’autre n’agissent que dans un seul sens. Brahmā crée, Śiva annihile, mais aucun d’eux ne peut maintenir l’existence, Or Śrī Viṣṇu, Lui, a la maîtrise de ces trois actes. Et en vérité, la création n’est pas l’œuvre de Brahmā, car lui-même est créé par Śrī Viṣṇu. Et Śiva est né de Brahmā. Śiva-jvara comprit donc que sans Kṛṣṇa, ou Nārāyaṇa, nul ne pouvait l’aider. Il se rendit à la raison, prit refuge aux pieds de Śrī Kṛṣṇa, et les mains jointes il se mit à prier :

« Ô cher Seigneur, je T’offre mon hommage respectueux, à Toi dont les puissances sont sans limites. Nul ne pouvant les surpasser, Tu demeures le Seigneur universel. Souvent on tient Śiva pour l’être le plus puissant dans le monde matériel, mais il ne possède pas comme Toi la toute-puissance. Telle est la vérité. Tu es la Conscience, la Connaissance, originelles. Sans conscience ou connaissance, il n’existe pas de puissance. Un objet peut receler en lui une grande puissance, mais privé de connaissance ou de conscience, il ne peut agir. Une machine peut être énorme et merveilleuse, mais sans l’intervention d’un être conscient, et jouissant d’un certain savoir, elle perd toute utilité. Ô Seigneur, Tu es le Savoir parfait, et en Ta Personne ne se trouve aucune trace de souillure matérielle. Śiva est sans doute un puissant deva, puisqu’il peut anéantir la création tout entière ; sans doute Brahmā, capable de créer l’univers, jouit d’une grande puissance, mais en vérité, ni l’un ni l’autre ne sont la cause originelle de la manifestation cosmique. Tu es la Vérité Absolue, le Brahman Suprême, et la Cause originelle. La radiance du Brahman impersonnel, qui dépend de Toi, n’est pas la Cause originelle. Comme le confirme la Bhagavad-gītā, la cause du Brahman impersonnel, c’est Toi, Śrī Kṛṣṇa. Le brahmajyoti est pareil aux rayons qui émanent du globe solaire. Comment pourrait-il être la Cause ultime ? Non, la Cause ultime de toute chose est la Forme éternelle, suprême, de Ta Personne, Śrī Kṛṣṇa. Dans le Brahman impersonnel vivent encore tous les actes matériels, avec leurs conséquences. Dans le Brahman personnel, l’éternelle Forme de Kṛṣṇa, l’action qui engendre des conséquences n’existe pas. C’est pourquoi, ô Seigneur, Ton Corps se trouve totalement paisible, plein de félicité et libre de souillure matérielle.

« Dans le corps matériel s’engendrent les actions et les réactions des trois guṇas. S’y ajoute le temps, d’une importance suprême puisqu’il met en action les éléments qui font que l’Univers matériel se manifeste. Ainsi vient à l’existence le monde phénoménal, engendrant aussitôt les actes intéressés. Ceux-ci déterminent la forme que prend l’être vivant, lequel acquiert une nature déterminée ; il s’enveloppe d’un corps subtil et d’un corps grossier, constitués de l’air vital, de l’ego, des dix organes des sens, du mental et des cinq éléments grossiers. Ces éléments se combinent pour créer un type de corps qui devient la racine, la cause, de nombreux autres, acquis successivement au cours des transmigrations de l’âme. Toutes ces manifestations phénoménales représentent les interactions de Ton énergie matérielle. Non affecté par les interactions des différents éléments, Tu es la Cause de cette énergie externe. Transcendant ces mouvements imposés par l’énergie matérielle, Tu demeures la Sérénité suprême. Parce que Tu représentes l’affranchissement total de la souillure matérielle, j’abandonne tout, et je choisis pour refuge Tes pieds pareils-au-lotus.

« Ô cher Seigneur, apparaître en tant que Fils de Vasudeva, dans le rôle d’un être humain, c’est l’un de Tes Divertissements, qui prouve Ta liberté absolue. Pour apporter tous bienfaits aux bhaktas et vaincre les abhaktas, Tu apparais sous forme de multiples avatāras, qui descendent en ce monde accomplir la promesse faite par Toi dans la Bhagavad-gītā : « Chaque fois que se dressent des obstacles sur la voie du progrès spirituel, alors J’apparais. » Chaque fois que des principes impies engendrent des troubles, ô Seigneur, Tu apparais par la force de Ton énergie interne. Ton premier souci est de protéger et de maintenir les devas et les hommes enclins à la spiritualité ; de maintenir, également, la loi et l’ordre matériels. C’est pourquoi Tu T’attaques aussi, justement et à bon droit, aux mécréants et aux asuras. Ce n’est pas la première fois que Tu descends en ce monde ; comprenons que Tu es venu maintes fois auparavant.

« Ô cher Seigneur, voici mon seul vœu : que Tu saches que j’ai été sévèrement châtié par Ton Nārāyaṇa-jvara qui, peut-être rafraichissant, est pour nous tous un grand danger, et intolérable. Ô Seigneur, aussi longtemps que l’être qui a accepté un corps matériel oublie la Conscience de Kṛṣṇa, il est conduit par l’emprise des désirs matériels, et ignorant le refuge ultime – Tes pieds pareils-au-lotus – se voit assailli par les trois sortes de souffrances imposées par la nature matérielle. Celui qui ne s’abandonne pas à Toi doit perpétuellement souffrir. »

Śrī Kṛṣṇa répondit : « Ô toi, qui as trois têtes, tes paroles Me comblent. Sois sûr désormais que le Nārāyaṇa-jvara ne te causera plus de souffrance. Tu ne le craindras plus, et bien plus : quiconque gardera simplement le souvenir de ce combat entre le Śiva-jvara et le Nārāyaṇa-jvara se verra lui aussi libre de toute crainte. » Ayant ouï les paroles de Dieu, la Personne Suprême, Śivajvara offrit à Ses pieds pareils-au-lotus son hommage respectueux et prit congé de Lui.

Cependant, Bāṇāsura s’était de façon ou d’autre remis de sa défaite, et armé d’une énergie nouvelle, il retournait au combat. Il apparut devant Śrī Kṛṣṇa, qui Se trouvait assis sur Son char, en brandissant diverses armes dans ses mille mains. Dans un état d’agitation extrême, il les lança l’une après l’autre sur le Corps de Śrī Kṛṣṇa : cela faisait comme des torrents de pluie. Lorsque le Seigneur vit les armes voler vers Lui comme des filets d’eau coulant avec force d’une passoire, Il saisit Son disque sudarśana, au fil tranchant, et commença à couper l’un après l’autre les mille bras de l’asura comme un jardinier émonde un arbre. Lorsque Śiva se rendit compte que même en sa présence, son dévot, Bāṇāsura, n’était pas épargné, il retrouva la raison et s’approcha de Śrī Kṛṣṇa pour L’apaiser par l’offrande de prières.

Śiva dit : « Ô cher Seigneur, c’est Toi qu’adorent les hymnes védiques. Qui ne Te connaît pas tient l’impersonnel brahmajyoti pour la Vérité Suprême, pour l’Ultime Absolu. Mais c’est qu’il ignore Ton existence en Ta Demeure éternelle, derrière Ta radiante spirituelle. Ô cher Seigneur, on T’appelle donc le Param Brahman, – ce mot Te désigne dans la Bhagavad-gītā. Les saints qui ont lavé leur cœur de toute souillure matérielle peuvent réaliser Ta Forme absolue. Bien que Tu sois partout présent comme le ciel, non affecté par la matière, nul autre que le bhakta ne peut Te réaliser. Selon la conception impersonnaliste de Ton existence suprême, le ciel est Ton nombril, le feu Ta bouche, et l’eau Ta semence. Les planètes édéniques sont Ta tête, toutes les directions Tes oreilles, la planète Urvī Tes pieds pareils-au-lotus, la lune Ton mental et le soleil Ton œil. Et moi, j’agis comme Ton ego. L’océan est Ton abdomen et le roi des planètes édéniques, Indra, Ton bras. Arbres et plantes sont sur Ton Corps les poils, les nuages sont Tes cheveux et Brahmā Ton intelligence. Tous les grands géniteurs, les Prajāpatis, sont Tes représentants symboliques, et la religion Ton cœur. Ainsi se conçoit l’aspect impersonnel de Ton Corps suprême, mais Tu restes, si l’on va au fond, la Personne Suprême : l’aspect impersonnel de Ton Corps souverain ne représente qu’une petite émanation de Ton énergie. On Te compare au feu originel, et Tes émanations sont Ta chaleur et Ta lumière. »

« Ô cher Seigneur, poursuivit Śiva, bien que Tu Te manifestes de façon universelle, les différentes parties de l’univers représentent les diverses parties de Ton Corps ; par Ton énergie inconcevable, Tu es à la fois universel et localisé. La Brahma-saṁhitā précise sur ce point qu’habitant à jamais dans Ta Demeure, Goloka Vṛndāvana, Tu n’en est pas moins partout présent. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, Tu apparais afin de protéger les bhaktas, et Ton Apparition est le signe d’un grand bonheur pour l’univers tout entier. Les devas qui dirigent différents domaines de l’univers le font seulement par l’effet de Ta grâce. C’est par Ta grâce que se trouvent maintenus les sept systèmes planétaires supérieurs. Quand vient la fin de cette création, toutes les manifestations de Tes énergies, qu’elles aient forme de devas, d’êtres humains ou d’animaux inférieurs, rentrent en Toi ; alors, toutes les causes directes ou indirectes de la manifestation cosmique reposent en Toi sans présenter d’aspect distinct. Enfin, on ne peut faire aucune différence entre Ta Personne et toute autre entité, égale ou inférieure à Toi. Car, Tu es en même temps la Cause et les matériaux de cette manifestation cosmique. Tu es le Tout Suprême, l’Un sans second. On distingue, dans le monde phénoménal, trois états : l’état de conscience, de semi-conscience (dans le rêve) et d’inconscience. Mais Ta Grâce transcende ces trois états de l’existence matérielle. Tu existes donc dans une quatrième dimension, et Ton Apparition, Ta Disparition, ne dépendent que de Toi-même. Tu es la Cause Suprême – car rien n’a d’origine qu’en Toi. C’est Toi-même qui causes Tes propres Apparitions et Disparitions. Bien que Tu transcendes la matière, Seigneur, afin de faire voir Tes six excellences et de déployer Tes Attributs absolus, Tu as multiplié Tes Apparitions sous forme de différents avatāras – l’avatāra-Poisson, l’avatāra-Tortue, l’avatāra-Sanglier, Nṛsiṁha, Keśava… – par Ta manifestation personnelle. Par Ta manifestation distincte, Tu es apparu comme différents êtres vivants. Par Ta puissance interne, Tu apparais comme les différents avatāras de l’ordre de Viṣṇu : par Ta puissance externe comme le monde phénoménal.

« Voyant un ciel nuageux, l’homme du commun dira que le soleil est couvert. Mais en vérité, c’est le soleil qui par ses rayons crée les nuages, et même s’ils emplissent le ciel tout entier, le soleil ne peut jamais être vraiment couvert. De même, les hommes à l’esprit obscurci prétendent qu’il n’existe pas de Dieu, car ils ne voient que les différents êtres vivants et leurs activités. Mais les hommes illuminés par la connaissance Te voient présent en chaque atome, présent à travers le médium de Tes énergies externe et marginale. Tes activités, à la puissance sans limite, sont perçues des bhaktas les plus éclairés, mais ceux qu’égare l’emprise de Ton énergie externe, s’identifiant à ce monde de matière, s’attachent à la société, à l’amitié, à l’amour qu’on y trouve. Ils boivent ainsi aux trois sources de souffrance propres à l’existence matérielle et se trouvent assujettis aux dualités des joies et des peines. Tantôt ils se noient dans l’océan de l’attachement, tantôt en émergent.

« Ô cher Seigneur, seule Ta grâce, Ta miséricorde, accorde à l’être vivant, avec la forme de vie humaine, l’occasion de sortir de la condition misérable propre à l’existence matérielle. Cependant, la vie humaine ne suffit pas – l’homme incapable de dompter ses sens se trouve emporté par les vagues du plaisir sensoriel. Il est empêché de prendre refuge à Tes pieds pareils-au-lotus et de s’engager ainsi dans Ton service de dévotion. Son existence se charge de mauvaise fortune : c’est une vie de ténèbres – où l’être se trompe certes lui-même et trompe autrui. Voilà pourquoi on qualifie la société humaine privée de conscience de Kṛṣṇa, de société de trompeurs et de trompés.

« Ô Seigneur, Tu es en vérité l’Âme Suprême, l’Être le plus cher, et de tout le Maître souverain. L’homme en proie à l’illusion craint la mort ultime. Celui qui se trouve attaché aux plaisirs des sens accepte volontairement la misérable existence matérielle, et erre ainsi à la poursuite du feu follet des joies de la chair. C’est bien le plus sot des hommes, puisqu’il boit le poison et rejette le nectar. Mon cher Seigneur, tous les devas, y compris moi-même et Brahmā, tous les grands saints et sages qui ont lavé leurs cœurs de ces attaches matérielles, ont par Ta grâce et de tout leur être pris refuge à Tes pieds pareils-au-lotus. Tous, nous nous réfugions auprès de Toi, car nous T’avons accepté comme le Seigneur Suprême, notre vie, notre âme la plus chère. Tu es la Cause originelle de cette manifestation cosmique, le Souverain de ceux qui la maintiennent et aussi la Cause de son annihilation. Tu Te montres égal envers tous, l’Ami suprême, porteur de paix. Pour nous tous, Tu représentes l’Objet souverain d’adoration. Ô Seigneur, puissions-nous sans cesse nous absorber dans Ton service d’amour spirituel et absolu, pour nous défaire de cet empiègement dans la matière.

« Enfin, mon Seigneur, je voudrais que Tu saches combien Bāṇāsura m’est cher. Il m’a rendu un précieux service, et mon désir est de le voir toujours heureux. Comme j’étais satisfait de lui, je lui ai assuré qu’il se trouverait auprès de moi en sécurité. Je Te prie, mon Seigneur, de Te montrer satisfait de lui comme Tu l’as été de ses ancêtres, le roi Prahlāda et Bali Mahārāja. »

Après avoir écouté la prière de Śiva, Śrī Kṛṣṇa, en lui donnant à son tour le nom de seigneur, lui dit : « Seigneur Śiva, J’accepte ta requête et je fais Mien ton désir de bonheur pour Bāṇāsura. Je sais qu’il est le fils de Bali Mahārāja, et que Je ne peux le tuer, car J’en ai fait la promesse. Jadis, en effet, j’ai accordé au roi Prahlāda cette bénédiction que jamais Je ne mettrai à mort les asuras qui paraîtront dans sa famille. Voilà pourquoi, sans le tuer, J’ai simplement tranché les bras de Bāṇāsura, pour le soulager de son vain orgueil. Les guerriers qu’il entretenait en grand nombre étaient devenus un fardeau pour la Terre, que J’ai soulagée en les détruisant. Lui restent à présent quatre bras, et il demeurera immortel, non affecté par les joies et les peines de ce monde. Je ne suis pas sans savoir qu’il est l’un des plus grands dévots de ta grâce : sois donc maintenant sûr qu’il n’aura plus désormais à connaître la crainte. »

Ainsi béni par Kṛṣṇa, Bāṇāsura s’avança vers le Seigneur et se prosterna devant Lui, touchant la terre de son front. Il fit venir, assis sur un char somptueux, Aniruddha et sa fille Ūṣā, qu’il présenta à Śrī Kṛṣṇa. Puis, le Seigneur prit avec lui le jeune couple, qui jouissait désormais d’une grande opulence matérielle grâce aux bénédictions de Śiva. Ainsi, gardant au-devant une division akśauhiṇī de guerriers, Kṛṣṇa prit le départ pour Dvārakā. Et pendant ce temps, tous les habitants de la capitale, qui avaient appris le retour en grande pompe de Śrī Kṛṣṇa accompagné d’Aniruddha et d’Ūṣā, parèrent toute la ville d’étendards, de festons et de guirlandes. Grandes routes et carrefours furent lavés avec soin et aspergés d’un mélange d’eau et de pulpe de santal, dont partout se dégageait l’arôme.

Les habitants, accompagnés de leurs proches et de leurs amis, accueillirent tous Śrī Kṛṣṇa dans la joie, avec beaucoup de faste. En son honneur vibrèrent tumultueusement conques, tambours et bugles. C’est ainsi que Dieu, la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa, pénétra dans Sa capitale, Dvārakā.

Śukadeva Gosvāmī assura le roi Parīkṣit que le récit du combat opposant Śiva et Kṛṣṇa n’avait pas le caractère défavorable qui s’attache à la glorification de batailles ordinaires. Bien au contraire, car celui qui se la remémore au matin et prend plaisir à la victoire de Śrī Kṛṣṇa s’assure de ne pas trouver d’échec dans sa lutte pour l’existence.

Cet épisode, la lutte de Bāṇāsura avec Kṛṣṇa, et plus tard sa délivrance par la grâce de Śiva, confirme le verset de la Bhagavad-gītā enseignant que les adorateurs des devas ne peuvent en obtenir de bénédiction sans la sanction du Seigneur Suprême, Śrī Kṛṣṇa. Dans notre récit, il est visible que même un grand dévot de Śiva, Bāṇāsura, attaqué par Kṛṣṇa, ne dut la vie sauve qu’au fait que Śiva fit appel au Seigneur pour sauver son dévot. Telle est la position de Śrī Kṛṣṇa. Les mots exacts dont fait usage à ce propos la Bhagavad-gītā sont mayaiva vihitān hi tān : sans la sanction du Seigneur Suprême, nul deva ne peut accorder de bénédiction à son adorateur.

Ainsi s’achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le soixante-troisième chapitre du Livre de Kṛṣṇa, intitulé: « Śrī Kṛṣṇa S’oppose à Bāṇāsura ».

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