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SOIXANTE-TREIZIÈME CHAPITRE

Śrī Kṛṣṇa retourne à Hastināpura

Les rois et princes libérés par Śrī Kṛṣṇa après la mort de Jarāsandha se trouvaient gouverner différentes parties du monde. Jarāsandha jouissait d’une puissance militaire si grande qu’il avait conquis tous ces princes et rois, en tout vingt mille huit cents (20 800). Ils étaient incarcérés à l’intérieur d’une montagne, dans une caverne spécialement aménagée en forteresse, et ce, depuis bien longtemps. Quand la grâce de Śrī Kṛṣṇa vint les délivrer, ils avaient tous l’air malheureux, leurs vêtements n’étaient plus que haillons, et leurs visages s’étaient presque entièrement desséchés par manque de soin. La faim les avait fort affaiblis, et leurs visages avaient perdu toute beauté et tout éclat. Leur longue incarcération avait alangui et handicapé chacune des parties de leur corps.

Mais bien que soumis à cette misérable condition d’existence, et accablés par la souffrance, ils s’étaient vus accorder la grâce de pouvoir concentrer leurs pensées sur Dieu, la Personne Suprême, Śrī Viṣṇu.

Maintenant, ils pouvaient de leurs yeux contempler la carnation du Corps spirituel et absolu de Śrī Kṛṣṇa, carnation semblable à celle d’un nuage fraîchement formé dans le ciel. Le Seigneur apparut devant eux joliment vêtu de soies jaunes, doté de quatre bras, tel Viṣṇu, et portant les différents symboles : la masse, la conque, le disque et la fleur de lotus. Sur Son torse se distinguaient des lignes d’or, et les mamelons de Sa poitrine rappelaient le cœur des fleurs de lotus, Ses yeux s’allongeaient tels des pétales de lotus, et Son visage souriant brillait du symbole de la paix et de la prospérité éternelles. Il portait avec grâce d’étincelants pendants d’oreilles, ainsi qu’un casque incrusté de joyaux précieux. Son collier de perles et les bracelets qu’Il portait aux bras comme aux chevilles resplendissaient d’une beauté sublime. La pierre kaustubha, tombant sur Sa poitrine, scintillait d’un grand éclat. Le Seigneur portait aussi une magnifique guirlande de fleurs. Après tant de souffrance, lorsque les rois et princes virent Śrī Kṛṣṇa, lorsqu’ils purent contempler Ses traits merveilleux et sublimes, tous spirituels, ils fixèrent sur Lui leur regard jusqu’à ce que leur cœur se comble de satisfaction, comme si de leurs yeux ils buvaient du nectar, et de leur langue léchaient le Corps du Seigneur, comme si de leurs narines ils en humaient le parfum, et L’étreignaient de leurs bras. Le simple fait de se trouver devant Dieu, la Personne Suprême, les purifia de toutes les suites de leurs actes coupables. Aussi, sans nulle réserve, ils s’abandonnèrent aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur. La Bhagavad-gītā enseigne à cet effet qu’à moins d’être affranchi de toutes les suites de ses fautes, nul ne peut tout entier s’abandonner aux pieds pareils-au-lotus de Kṛṣṇa. Les princes qui Le virent oublièrent tous par là même leurs tribulations passées. Les mains jointes, et animés d’une grande dévotion, ils offrirent leurs prières à Śrī Kṛṣṇa  :

« Cher Seigneur, ô Personne Suprême, Maître de tous les devas, Tu peux dans l’instant effacer toutes les misères de Tes dévots, car ils se sont tout entiers abandonnés à Toi. Ô Śrī Kṛṣṇa, ô Dieu éternel de félicité et de connaissance spirituelle et absolue, Tu es impérissable : nous offrons notre hommage respectueux à Tes pieds pareils-au-lotus. C’est par Ta miséricorde immotivée que nous avons été libérés de la prison où nous avait enfermés Jarāsandha, et nous T’implorons à présent de nous libérer des chaînes de l’énergie illusoire qui nous gardent prisonniers de l’existence matérielle. Mets donc un terme, nous T’en prions, au cycle interminable de nos naissances et de nos morts. Nous avons maintenant une expérience suffisante de la misérable condition matérielle où nous nous trouvons pleinement absorbés ; en ayant goûté l’amertume, nous avons résolu de prendre refuge à Tes pieds pareils-au-lotus. Cher Seigneur, ô Vainqueur du monstre Madhu, nous pouvons maintenant voir avec clarté que Jarāsandha n’a commis aucune faute envers nous. C’est en vérité Ta miséricorde immotivée qui nous a privés de nos royaumes, car nous tirions grand orgueil de nos titres de rois et de maîtres. Tout dirigeant qui s’enorgueillit outre mesure de son prestige et de ses pouvoirs, perd l’occasion de comprendre sa véritable position originelle ainsi que la vie éternelle. Ces insensés, sous le nom de chef ou de roi, tirent vanité de leurs positions par l’influence de Ton énergie illusoire ; ils sont tel l’étourdi qui tient un mirage dans le désert pour une véritable oasis. Les sots croient que leurs possessions matérielles les protégeront contre tous maux, et ceux qui s’adonnent aux plaisirs des sens acceptent bien à tort cet univers matériel comme un lieu de jouissance éternelle. Ô Seigneur, ô Personne Suprême, il nous faut reconnaître qu’avant ces tribulations, nous étions enflés d’orgueil du fait de nos atouts matériels. À cause de l’envie que nous nourrissions les uns envers les autres, et du désir qui nous animait de conquérir nos royaumes respectifs, nous nous sommes tous battus pour la suprématie absolue, au prix même de la vie de nombreux citoyens. »

Telle est la maladie inhérente au pouvoir politique. Dès qu’un roi ou une nation devient riche d’atouts matériels, le désir de dominer autrui en l’assaillant de sa force militaire ne tarde pas à se manifester. Dans un même ordre d’idée, les commerçants aspirent au monopole d’un certain type de commerce, ou à la domination de leurs concurrents. Ainsi, dégradée par la vanité, et infatuée de ses valeurs matérielles, la société humaine, plutôt que de chercher à s’élever dans la Conscience de Kṛṣṇa, provoque le désordre et trouble la paix générale. Et les hommes en oublient naturellement le véritable but de l’existence : atteindre la faveur de Śrī Viṣṇu, Dieu, la Personne Suprême.

Les rois poursuivirent : « Ô Seigneur, à seule fin de satisfaire nos caprices politiques, nous conduisions simplement, pure abomination, nos citoyens à la mort, les incitant à se faire massacrer sans nécessité. Nous ne considérions point que Ta Grâce Se trouve à jamais présente devant nous sous la forme de la mort cruelle. Si grande notre sottise que nous causions la mort d’autrui sans songer à la nôtre propre, si imminente. Mais, cher Seigneur, la vengeance du facteur temps, lui qui Te représente, est pour le moins implacable ; il jouit d’une puissance telle que nul se saurait échapper à son emprise. Nous avons donc dû subir les conséquences de nos actes monstrueux, si bien que nous voilà à présent privés de tout, et debout devant Toi tels de pauvres hères mendiant dans les rues. Mais nous tenons notre position présente pour le résultat de Ta miséricorde pure et immotivée sur nos têtes, car nous comprenons à présent la vanité de notre orgueil, et que nos biens matériels peuvent nous être retirés en un instant si telle est Ta volonté. Et toujours par Ta grâce sans fin, et par elle seule, nous voilà à même de méditer sur Tes pieds pareils-au-lotus. Voilà bien le plus important de nos gains.

« Cher Seigneur, chacun sait que le corps représente un terrain favorable au développement de la maladie. À présent, nous voilà assez âgés, et la fierté de notre puissance physique a cédé la place à la réalisation de notre faiblesse chaque jour grandissante. Les plaisirs des sens, ou le faux bonheur obtenu par l’intermédiaire du corps matériel, ne nous intéressent plus. Par Ta grâce, nous sommes arrivés à la conclusion que d’aspirer à un tel bonheur matériel, ne vaut guère mieux que de chercher de l’eau dans un mirage. Les fruits de nos actes pieux, tel l’accomplissement de sacrifices pompeux visant l’élévation aux planètes édéniques, n’offrent plus d’attrait pour nous. Nous comprenons à présent qu’une telle promotion à un niveau de vie supérieur, bien qu’elle puisse sembler fort désirable, ne change rien au fait que le bonheur ne saurait exister en ce monde. Nous implorons donc Ta Grâce de nous favoriser en nous instruisant sur la façon de pratiquer le service d’amour sublime offert à Tes pieds pareils-au-lotus, afin que jamais nous n’oubliions la relation éternelle qui nous unit à Toi. Nous ne désirons point être libérés des griffes de l’existence matérielle. Si telle est Ta volonté, peu nous importe de renaître au sein de quelque espèce vivante que ce soit. Nous prions simplement de ne jamais oublier Tes pieds pareils-au-lotus en aucune circonstance. Cher Seigneur, nous nous abandonnons aujourd’hui à Tes pieds pareils-au-lotus en T’offrant notre hommage respectueux, car Tu es Dieu, la Personne Souveraine, Kṛṣṇa, le Fils de Vasudeva. Tu es l’Âme Suprême sise dans le cœur de chacun ; Tu es Śrī Hari, Celui qui peut nous soustraire à toutes les conditions misérables de l’existence. Cher Seigneur, Ton Nom est Govinda, Source intarissable de tout plaisir. Car, celui qui s’occupe à satisfaire Tes Sens, tout naturellement satisfait les siens aussi ; voilà bien qui Te vaut ce Nom. Ta renommée est éternelle, du fait que Tu peux mettre un terme à toutes les souffrances de Tes dévots. Nous T’en prions donc, accepte-nous comme Tes serviteurs soumis. »

Après avoir entendu les prières des rois délivrés de la prison de Jarāsandha, Śrī Kṛṣṇa, à jamais le Protecteur des âmes soumises, et Océan de miséricorde pour Ses dévots, leur répondit de Sa voix douce et sublime, mais aussi grave et pleine de sens : « Chers rois, J’étends sur vous Ma bénédiction. À compter de ce jour, vous serez attachés à Mon service de dévotion sans jamais défaillir. Comme vous l’avez désiré, Je vous accorde cette grâce. Sachez que Je suis toujours dans votre cœur en tant que l’Âme Suprême, et qu’à présent, puisque vous avez vers Moi tourné votre regard, Moi, Maître de tous les êtres, vous conseillerai désormais afin que jamais vous ne M’oubliiez et que peu à peu vous progressiez sur la voie du retour à Dieu, en votre demeure originelle.

« Mes chers rois, votre décision de renoncer au concept même du plaisir matériel pour vous tourner vers le service de dévotion offert à Ma Personne constitue le véritable signe de votre bonne fortune. À partir d’aujourd’hui, vous vous verrez toujours bénis d’une existence heureuse. Je confirme en outre la véracité de tout ce que vous avez dit à Mon sujet dans vos prières. Il est vrai que l’opulence matérielle de ceux qui ne sont pas tout entiers conscients de Kṛṣṇa entraîne leur chute, et que par elle ils deviennent victimes de l’énergie illusoire. Les temps passés virent tant de rois rebelles – Haihaya, Nahuṣa, Vena, Rāvaṇa et Narakāsura. Certains d’entre eux étaient devas, et d’autres asuras, mais les uns comme les autres, du fait de leur perception erronée de leur position, se virent choir de leur poste élevé, et perdirent leurs royaumes.

« Baignant dans la violence de l’existence conditionnée, chacun d’entre vous doit comprendre que toute chose matérielle connaît un début, une période de croissance, une autre de stabilisation, puis d’expansion, un déclin et une fin. Tout corps matériel est sujet à ces six conditions ; et toute acquisition relative à ce corps se trouve également, et sans qu’il soit permis d’en douter, sujette à la destruction finale. Par suite, nul ne devrait s’attacher aux choses périssables. Tant que l’on habite le corps matériel, il faut agir avec grande prudence en ce monde. Le mode de vie le plus parfait ici-bas, c’est simplement de se vouer à Mon service d’amour, spirituel et absolu, et de se soumettre de bonne foi aux devoirs que prescrivent à chacun les Écritures selon sa position. En ce qui vous concerne, vous appartenez tous à des familles kṣatriyas ; vous devez donc vivre honnêtement, selon les obligations qui incombent à l’ordre royal, et rendre vos citoyens heureux à tous les égards. Tenez-vous-en aux normes d’existence des kṣatriyas. N’engendrez point d’enfant pour le simple plaisir des sens ; veillez simplement au bien-être des hommes en général. Tous prennent naissance en ce monde en raison de désirs impurs nourris au cours de leur existence passée, et se voient dès lors assujettis aux sévères lois de la nature, telles la naissance et la mort, le malheur et le bonheur, le gain et la perte. Nul ne doit se laisser égarer par la dualité, mais bien plutôt demeurer ferme dans Mon service, et de ce fait garder un mental équilibré et satisfait en toutes circonstances, tenant toute chose pour un don de Ma Personne. Ainsi, chacun pourra vivre une existence des plus heureuses et des plus paisibles, même en ce monde. Pour tout dire, il s’agit de se montrer insoucieux du corps matériel et de ce qu’il peut produire sans jamais s’en laisser affecter. L’on doit demeurer pleinement satisfait dans la poursuite des intérêts de l’âme spirituelle, et se mettre au service de l’Âme Suprême. L’on ne devrait emplir son mental que de Moi, et seulement devenir Mon dévot, M’adorer, offrir à Moi seul l’hommage de son respect. Par cette voie, on pourra traverser l’océan de l’ignorance avec grande aise, et enfin revenir à Moi. Pour conclure, vos vies doivent tout entières être engagées à Mon service. »

Après avoir prodigué Ses enseignements aux rois et aux princes présents, Śrī Kṛṣṇa demande que de nombreux serviteurs et servantes veillent à leur confort et prennent soin d’eux. Śrī Kṛṣṇa prie Sahadeva, le fils du roi Jarāsandha, de fournir aux rois tout ce dont ils pourraient avoir besoin, et de leur accorder tout respect et tout honneur. Répondant au désir du Seigneur, Sahadeva comble les monarques et leur présente des habits, des parures, des guirlandes et bien d’autres objets. Après avoir pris leur bain et s’être bien vêtus, les rois paraissent heureux et paisibles. On leur offre alors de délicieux mets. Śrī Kṛṣṇa veille au moindre détail de leur confort comme l’exige leur position royale. Et ainsi traités par Śrī Kṛṣṇa, avec tant de miséricorde, tous ressentent une joie profonde, et leurs visages illuminés rappellent les étoiles dans le ciel à la fin de la saison des pluies. Tous sont fort agréablement vêtus et parés, et leurs pendants d’oreilles scintillent. Chacun est ensuite placé sur un char incrusté d’or et de pierreries, et tiré par des chevaux finement décorés. Puis, s’assurant que rien n’a été oublié, Śrī Kṛṣṇa, d’une voix douce, leur demande de s’en retourner dans leurs royaumes respectifs.

Dans son infinie libéralité, inégalée dans l’histoire du monde, Śrī Kṛṣṇa avait libéré tous les rois des griffes de Jarāsandha, et ceux-ci, se sentant comblés, commencèrent à chanter Son Saint Nom, à méditer sur Sa divine Forme, et à glorifier Ses Divertissements spirituels en tant que Dieu, la Personne Suprême. C’est ainsi absorbés qu’ils prirent le chemin de leurs royaumes, où leurs sujets se montrèrent fort heureux de leur retour, et transportés de joie en apprenant la bonté avec laquelle les avait traités Śrī Kṛṣṇa. Les rois reprirent leurs fonctions suivant les instructions du Seigneur, et tous vécurent avec leurs sujets des jours fort heureux. Tel est l’exemple vivant d’une société consciente de Kṛṣṇa. Si les peuples du monde divisent leur société en quatre groupes, déterminés par les attributs matériels de chacun et destinés à favoriser le progrès matériel aussi bien que spirituel de la population, quatre groupes centrés sur Kṛṣṇa, suivant Son enseignement – qu’Il prodigue dans la Bhagavad-gītā –, l’humanité tout entière connaîtra sans nul doute le bonheur. Telle est la leçon que nous devons tirer de ce récit.

Après avoir veillé à l’annihilation de Jarāsandha par Bhīmasena et avoir été dûment honoré par Sahadeva, fils de Jarāsandha, Kṛṣṇa, accompagné de Bhīmasena et d’Arjuna, S’en retourna à Hastināpura. Parvenus à l’enceinte de la ville, ils soufflèrent chacun dans leur conque ; entendant ce son et comprenant par qui il était produit, tous s’animèrent de joie. Mais les ennemis de Kṛṣṇa, pour leur part, perçurent dans ce même son une cause de détresse. Les habitants d’Indraprastha, eux, sentirent leurs cœurs s’emplir de joie dès qu’ils entendirent vibrer la conque de Kṛṣṇa, car ils pouvaient comprendre par-là que Jarāsandha avait trouvé la mort. Dès lors, l’accomplissement du sacrifice rājasūya par le roi Yudhiṣṭhira ne faisait plus de doute. Bhīmasena, Arjuna et Kṛṣṇa, Dieu, la Personne Suprême, se présentèrent devant le roi Yudhiṣṭhira et lui offrirent leurs respects. L’empereur prêta une oreille attentive à la narration de la mise à mort de Jarāsandha et de la délivrance des rois. Il apprit également par quelle tactique Kṛṣṇa avait détruit Jarāsandha. Le roi portait une affection toute naturelle au Seigneur, mais après l’écoute de ce récit, son amour pour Lui s’accrut encore. Des larmes d’extase coulèrent de ses yeux, et si grande fut sa stupeur qu’il se trouva presque incapable de parler.

Ainsi s’achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le soixante-treizième chapitre du Livre de Kṛṣṇa, intitulé: « Śrī Kṛṣṇa retourne à Hastināpura ».

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