TROISIÈME CHAPITRE
Et Kṛṣṇa apparaît
Comme l’enseigne le Seigneur dans la Bhagavad-gītā, Son Avènement et Ses Actes sont tous absolus, et celui qui en saisit véritablement la nature obtient aussitôt d’entrer dans le Royaume spirituel. On ne saurait comparer l’Avènement du Seigneur à la naissance d’un être ordinaire, contraint d’accepter un corps matériel en fonction de ses actes passés. Nous avons vu dans le chapitre précédent que l’Apparition du Seigneur est commandée par Son bon plaisir. À l’approche de cet heureux moment, les constellations s’ordonnèrent de façon particulièrement propice. Et l’influence astrologique prédominante devint celle de l’étoile Rohiṇī. Cet astre, tenu pour éminemment favorable, se trouve sous la supervision directe de Brahmā. Selon les calculs des astrologues, outre la disposition adéquate des étoiles, ce sont les différentes positions occupées par les systèmes planétaires qui déterminent si l’heure présente un caractère favorable ou défavorable. Au moment de l’Apparition de Kṛṣṇa, les systèmes planétaires se placèrent spontanément selon l’ordre qu’il fallait pour que tout baigne dans d’heureux augures.
À ce moment, dans toutes les directions, à l’est et à l’ouest, comme au sud et au nord, partout, régna une atmosphère de paix et de prospérité. Dans le ciel, on voyait des étoiles favorables, et sur Terre, dans toutes les villes et villages, dans les pâturages et dans le mental de chacun, se manifestaient des signes de bonne fortune. Les rivières coulaient à grand flot et les lacs se paraient de belles fleurs de lotus. Les forêts foisonnaient d’oiseaux et de paons merveilleux. Tous ces chantres des bois se mirent à moduler leurs plus doux ramages et les paons, avec leurs compagnes, ouvrirent la danse. Une brise plaisante répandait le parfum de fleurs diverses, et tout, au contact du corps, procurait une agréable sensation. Les brāhmaṇas, qui avaient coutume de faire des sacrifices dans le feu, trouvèrent à nouveau que leur demeure se prêtait à de telles offrandes. En effet, le feu sacrificiel avait presque été banni de la maison des brāhmaṇas, à cause de la persécution des rois démoniaques. Désormais, il pouvait reprendre sa place en paix. L’offrande de sacrifices interdite, la tristesse dans leur mental, leur intelligence et leurs actes, avait rongé les brāhmaṇas ; mais juste avant l’Apparition de Kṛṣṇa, lorsqu’ils entendirent résonner dans le ciel les profondes vibrations spirituelles qui annonçaient l’Avènement de Dieu, la Personne Suprême, ils baignèrent à nouveau dans la joie.
Les habitants des planètes Gandharvas et Kinnaras se mirent à chanter, et ceux de Siddhaloka ainsi que les Cāraṇas, sur leurs propres planètes, commencèrent à offrir leurs prières à Dieu, la Personne Suprême. Et sur les planètes édéniques, les anges et leurs compagnes, auxquels s’étaient jointes les Apsarās, se mirent à danser.
Comblés, les grands sages et les devas lancèrent des pluies de fleurs. Sur les plages, on entendait le clapotis des douces vagues, et dans le ciel, au-dessus des eaux, le tonnerre résonnait plaisamment au milieu des nuages.
Lorsque tout fut ainsi en harmonie, Śrī Viṣṇu, qui habite le cœur de tous les êtres, apparut dans les ténèbres de la nuit, sous Sa Forme de Personne Suprême. Il apparut devant Devakī, laquelle prit alors l’apparence d’une déesse. On compare la venue de Śrī Viṣṇu en ces temps propices à la pleine lune quand à l’est elle se lève. Certains objecteront que Śrī Kṛṣṇa apparut le huitième jour du déclin de la lune, à un moment où elle ne pouvait donc pas être pleine. Mais on leur répondra ainsi : Śrī Kṛṣṇa apparut au sein d’une dynastie dont le premier chaînon n’est autre que la lune en personne ; aussi, bien qu’en cette nuit elle n’aurait dû montrer d’elle-même qu’un croissant, la voici dans sa plénitude, par la grâce de Kṛṣṇa, inondée de joie puisque le Seigneur entre dans son lignage.
Le traité d’astronomie du nom de Khamaṇikya précise dans le détail l’ordre des constellations au moment où paraît Śrī Kṛṣṇa. Il y est confirmé que l’enfant mis au monde en ces instants propices n’était nul autre que le Brahman Suprême, la Vérité Absolue.
Vasudeva voit devant lui l’Enfant merveilleux : Il a quatre mains, qui tiennent respectivement la conque, la masse, le disque et la fleur de lotus ; le signe du Śrīvatsa Le décore ; Il est paré du collier portant la pierre kaustubha et Il est vêtu de soie jaune ; une lumière émane de Lui comme d’un nuage sombre mais radieux ; sur Sa tête, une couronne incrustée de la pierre vaidūrya ; des bracelets précieux, des pendants d’oreilles et de nombreux autres bijoux ornent partout Son Corps, et Son visage s’entoure d’une abondante chevelure. Cet aspect extraordinaire de l’Enfant frappe d’émerveillement Vasudeva. Comment un nouveau-né peut-il montrer ces parures ? Vasudeva comprend alors que Śrī Kṛṣṇa est apparu, et l’événement le subjugue. Avec humilité, il s’étonne : comment lui, un être ordinaire, conditionné par la nature matérielle et emprisonné par Kaṁsa, peut-il voir Viṣṇu, ou Kṛṣṇa, Dieu la Personne Suprême, omniprésente, apparaître comme un tout petit enfant, et dans toute Sa gloire, sous son toit ? Certes, aucun enfant jamais sur cette Terre n’est apparu doté de quatre bras, tout paré de joyaux et d’une vêture merveilleuse, portant tous les signes de Dieu, la Personne Suprême. Encore et encore, Vasudeva pose sur l’Enfant son regard : comment célébrer comme il convient cet heureux moment ? « Selon la coutume, lorsque naît un fils, les gens fêtent l’événement par des célébrations joyeuses, et voilà que dans ma maison, bien qu’il s’agisse de la prison de Kaṁsa, Dieu, la Personne Suprême, est apparu. Il aurait fallu que je prépare des millions et des millions de fois l’accomplissement de telles célébrations ! »
Lorsque Vasudeva, que l’on nomme également Ānakadundubhi, contemplait le nouveau-né, il éprouvait une joie telle qu’en lui brûlait le désir de faire aux brāhmaṇas le don charitable de milliers de vaches. Selon l’usage védique, lorsque dans le palais d’un roi kṣatriya se célèbre une heureuse cérémonie, le souverain offre en charité de nombreuses richesses. Les brāhmaṇas et les sages reçoivent alors des vaches ornées de parures d’or. Vasudeva désirait accomplir de telles cérémonies, se livrer à de tels actes charitables, mais la prison et les chaînes, de Kaṁsa rendaient la chose impossible. Il n’en offrit pas moins des milliers de vaches aux brāhmaṇas, dans son mental.
Lorsque Vasudeva eut vraiment reconnu dans l’Enfant nouveau-né Dieu, la Personne Suprême, il se prosterna devant Lui, mains jointes, et entama des prières. Il se trouva porté alors au niveau spirituel, où la crainte qu’il avait de Kaṁsa se dissipa tout entière. Dans toute la pièce où Il apparut, l’enfant Kṛṣṇa répandit Sa radiance.
Et telle fut la prière de Vasudeva : « Ô cher Seigneur, je peux comprendre de quelle nature est Ta Personne. Tu es Dieu, l’Être Souverain, l’Âme Suprême sise dans le cœur de chacun, et la Vérité Absolue. Tu es apparu dans Ta Forme personnelle, éternelle, qu’à présent nous pouvons voir. Je comprends que Tu es apparu à seule fin de m’affranchir de la peur de Kaṁsa, dont j’étais la victime. Tu n’appartiens certes pas à l’Univers matériel, et c’est Toi-même qui, d’un simple regard sur la nature matérielle, permet l’existence de la manifestation cosmique. »
Certains contesteront et soutiendront que Dieu, la Personne Suprême, Créateur, par un simple regard, de l’entière manifestation cosmique, ne saurait pénétrer dans le sein de Devakī, l’épouse de Vasudeva. Mais ce dernier infirme l’argument : « Ô cher Seigneur, que Tu apparaisses dans le sein de Devakī n’a rien qui surprenne, car, pour la mettre en mouvement, Tu es de même apparu dans le sein de la création. Allongé sur l’Océan des causes, sous Ta Forme de Mahā-viṣṇu, Tu fis émaner de Ta respiration d’innombrables univers. Puis Tu pénétras en chacun d’eux en tant que Garbhodakaśāyī Viṣṇu. Là, Tu T’es à nouveau multiplié pour devenir Kṣīrodakaśāyī Viṣṇu et pénétrer dans le cœur de tous les êtres vivants, et même dans chaque atome. Et maintenant, voilà que pareillement Tu es entré dans le sein de Devakī. Tu es entré dans son sein, mais Tu n’en demeures pas moins partout présent. » Un exemple matériel nous aidera à comprendre ce mystère : l’ensemble de l’énergie matérielle demeure intacte même une fois divisée en seize éléments. Le corps matériel n’est rien d’autre que la combinaison des cinq éléments bruts : la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther. Chaque fois que se forme un corps matériel, il semble que ses éléments soient créés à neuf, mais en vérité, ils ont toujours existé et existeront toujours en dehors de la forme corporelle. De même, bien que Tu apparaisses tel un enfant dans le sein de Devakī, Tu continues d’exister en dehors de lui. Tu demeures toujours en Ton Royaume, mais Tu peux simultanément Te multiplier en des millions de Formes.
« Saisir la nature de Ton Avènement demande une grande intelligence, car l’énergie matérielle émane également de Ta Personne. Tu en es la Source originelle, tout comme le soleil est la source de ses rayons. Ses rayons ne peuvent voiler le soleil ; de même, l’énergie matérielle, émanant de Ta Personne, ne peut Te voiler. Bien que Tu sembles agir dans leur cadre, les trois guṇas ne peuvent T’envelopper. Telle est la conclusion des grands philosophes. En d’autres termes, Tu peux paraître Te situer dans l’énergie matérielle, mais jamais elle ne Te voile. »
Les Écrits védiques nous enseignent que le Brahman Suprême manifeste Sa radiance, faisant que tout s’illumine. La Brahma-saṁhitā nous aide à comprendre que le brahma-jyotir, ou la radiance du Brahman, émane du Corps du Seigneur Suprême. Et c’est à partir de ce brahma-jyotir que s’opère toute la création. La Bhagavad-gītā affirme elle aussi que le Seigneur constitue le fondement de la radiance du Brahman. Il est la racine originelle de toute chose. Mais les hommes de moindre intelligence croient que lorsque Dieu, la Personne Suprême, descend en ce monde, Il emprunte des attributs matériels. De telles conclusions ne prouvent rien d’autre que le manque de raison et de maturité de leurs auteurs.
Dieu, la Personne Suprême, existe partout, directement ou indirectement ; Il Se situe aussi bien à l’extérieur de la création matérielle qu’en son sein. Dans la création matérielle, Il n’est pas seulement présent en tant que Garbhodakaśāyī Viṣṇu, mais également sous la forme de Kṣīrodakaśāyī Viṣṇu, dans chaque atome.
Rien ne peut être séparé de la Personne du Seigneur : Sa seule présence permet l’existence de toute chose. Le savoir védique enseigne que l’Âme Suprême, ou la Racine, la Cause de toute chose, doit être recherchée par tous, car rien n’existe indépendamment d’Elle. La manifestation matérielle représente elle aussi une transformation de Sa puissance. La matière inerte de même que la force de vie, l’âme, émanent du Suprême. Seuls les sots concluent que lorsqu’apparaît le Seigneur, Il Se trouve nécessairement soumis aux conditions de la matière, car même s’Il semble avoir revêtu un corps de matière, aucune condition matérielle ne peut L’assujettir. Dieu, la Personne Suprême, est donc apparu dans Sa Forme originelle de Kṛṣṇa, et a par là même infirmé toutes les conclusions imparfaites quant à Ses Apparitions et Disparitions.
« Mon Seigneur, Ton Apparition, Ton séjour en ce monde et Ta Disparition se situent au-delà de l’influence des trois guṇas. Parce que Tu es le Maître de toutes choses et le repos du Brahman Suprême, rien en Toi n’est impossible ou contradictoire. Comme Tu l’as Toi-même enseigné, la nature matérielle agit sous Ton ordre, comme un fonctionnaire conformant ses actes aux ordres de son supérieur. Ses influences, avec leurs conséquences, ne peuvent donc T’affecter. Le Brahman Suprême ainsi que le monde phénoménal tout entier reposent en Toi, et le moindre mouvement de la nature matérielle, Tu le domines.
« On T’appelle śuklam. Śuklam, ou la blancheur, constitue la représentation symbolique de la Vérité Absolue, que jamais ne colorent les trois guṇas. On donne à Brahmājī le qualificatif de rakta, ou rouge, car il représente la Passion nécessaire à la création. Et l’Ignorance, ou les ténèbres, est du domaine de Śiva, car il détruit le cosmos. La création, le soutien et la destruction de la manifestation cosmique sont conduits par Tes puissances, sans que jamais, cependant, Tu ne sois touché par les guṇas, dans lesquels baignent ces trois phases. Comme le confirment les Vedas : harir hi nirguṇaḥ sākṣāt, Dieu, la Personne Suprême, demeure toujours au-delà des trois guṇas. Il est également dit que ni la Passion ni l’Ignorance n’existent en la Personne du Seigneur Suprême. »
« Ô Seigneur, Tu es le Maître Suprême, Dieu, l’Être à la grandeur souveraine, qui maintient l’harmonie dans la manifestation cosmique. Et nonobstant cette grandeur, Te voilà apparu avec une immense bonté en ma maison. Le but de Ton Avènement est d’anéantir ceux qui soutiennent les maîtres démoniaques du monde, lesquels, bien que vêtus de l’habit royal, ne sont en vérité que des asuras. Je suis certain qu’eux tous, avec leur cour et leurs soldats, Tu les feras périr. »
« Je peux comprendre que Tu es apparu afin de tuer le sauvage Kaṁsa et ceux qui l’appuient. Mais sachant qu’à cette fin Tu allais apparaître, il a fait déjà périr tous ceux qui vinrent avant Toi, Tes frères. Et maintenant il guette pour agir l’annonce de Ta naissance. Aussitôt averti, il va venir, armé jusqu’aux dents, pour Te mettre à mort. »
Après que Vasudeva eut offert ses prières au Seigneur, Mère Devakī à son tour prit la parole. Grande était sa frayeur des crimes de son frère. Elle dit : « Ô cher Seigneur, Tes Formes éternelles, telles Nārāyaṇa, Śrī Rāma, Śeṣa, Varāha, Nṛsiṁha, Vāmana, Baladeva, et celles des millions d’autres avatāras émanant de Viṣṇu, sont toutes décrites comme originelles dans les Écrits védiques. C’est qu’aucune de Tes Formes, ni aucun avatāra, n’appartiennent à la création matérielle. Elles existaient avant la manifestation cosmique, certes éternelles et partout présentes. Elles trouvent en elles-mêmes leur radiance, elles sont immuables et jamais souillées par les trois guṇas. Ces Formes éternelles sont toutes de connaissance et de félicité. Établies dans la Vertu absolue, elles se livrent sans fin à d’innombrables Divertissements. Tu n’es pas astreint à une forme unique, et toutes Tes Formes, éternelles et absolues, se suffisent à elles-mêmes. Je peux comprendre sans aucun doute que Tu es Śrī Viṣṇu, le Seigneur Suprême. »
« Après des millions et des millions d’années d’existence, lorsque prend fin la vie de Brahmājī, survient alors l’anéantissement de la manifestation cosmique. Là, les cinq éléments, la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther, rentrent dans le mahat-tattva, qui lui-même se résorbe, par la force du temps, dans l’ensemble total et non manifesté de l’énergie matérielle, lequel, à son tour rentre dans le pradhāna énergétique ; enfin, ce pradhāna rentre en Toi. Ainsi, après la destruction de tous les univers matériels, Toi seul demeures, Toi ainsi que Ton Nom, Ta Forme, Tes Attributs, Ton Entourage absolus. »
« Ô Seigneur, je T’offre mon hommage respectueux. Toi qui diriges l’entière énergie non manifestée, Toi qui es le repos ultime de la nature matérielle. Ô Seigneur, la manifestation cosmique tout entière se trouve sous l’influence du temps, lequel revêt la forme de l’instant jusqu’à celle de l’année. Et chaque chose agit sous Ton ordre. C’est Toi qui originellement diriges tout et contiens toute énergie, toute puissance. »
“All the conditioned souls are continually fleeing from one body to another and one planet to another, yet they do not get free from the onslaught of birth and death. But when one of these fearful living entities comes under the shelter of Your lotus feet, he can lie down without anxiety of being attacked by formidable death.” This statement by Devakī is confirmed in the Bhagavad-gītā by the Lord Himself. There the Lord says that even after traveling all over the universe, from Brahmaloka to Pātālaloka, one cannot escape the attack of birth, death, disease and old age. But one who enters the kingdom of God, the Lord says, is never again obliged to come to the material world.
« Aussi, mon Seigneur, je T’implore de me sauver des mains cruelles de Kaṁsa, le fils d’Ugrasena. Je prie Ta Grâce de bien vouloir me dégager de cette condition terrifiante, car je Te sais toujours prêt à couvrir de toute protection Tes serviteurs. » Le Seigneur a confirmé les paroles de Devakī dans la Bhagavad-gītā, où Il assure à Arjuna : « Tu peux le proclamer avec force, ô fils de Kuntī, jamais Mon dévot ne périra. »
Tout en priant ainsi le Seigneur de la sauver des griffes de Kaṁsa, Mère Devakī Lui exprima son affection maternelle : « Je sais qu’en général, les grands sages peuvent à travers la méditation percevoir la Forme absolue de Ta Personne qui est maintenant présente devant nous, mais tout de même, j’ai peur encore, car aussitôt que Kaṁsa aura réalisé Ton Apparition, il pourra Te causer du tort. Aussi, je T’implore de faire que pour l’instant Tu deviennes invisible à nos yeux matériels. » En d’autres mots, Devakī demanda au Seigneur d’assumer la forme d’un enfant ordinaire. « Que Tu sois apparu est pour moi la seule raison de craindre mon frère Kaṁsa. Ô Seigneur, Madhusūdana, il en a peut-être déjà connaissance. Je T’en prie, dissimule cette Forme de Ta Personne qui tient les quatre symboles de Viṣṇu, la conque, le disque, la masse et la fleur de lotus. Ô cher Seigneur, après l’anéantissement de la manifestation cosmique, Tu places l’univers tout entier dans Ton abdomen ; néanmoins, par Ta pure miséricorde, Tu es apparu en mon sein. Je suis surprise de voir comment Tu imites les actes des hommes dans le seul but de plaire à Ton dévot. »
Après avoir entendu les prières de Devakī, le Seigneur lui répond : « Mère chérie, dans l’âge du Svāyambhuva Manu, Mon père Vasudeva était l’un des prajāpatis, et son nom, en ces temps, était Sutapā ; et toi, tu étais sa femme, et portais le nom de Pṛśni. À cette époque, Brahmā, désireux d’accroître la population, vous demanda de servir ses desseins en vous prêtant à l’engendrement. Vous avez alors entrepris de maîtriser vos sens, et accompli de sévères austérités. Par la pratique des exercices respiratoires préconisés par la méthode du yoga, toi et ton époux avez pu supporter toutes les influences des lois matérielles : les rigueurs de la saison des pluies, les attaques du vent et la chaleur écrasante du soleil. Vous vous êtes également soumis à tous les principes de la religion. Ainsi, vous avez pu laver votre cœur de toute impureté et dominer l’influence des lois matérielles. Vous ne mangiez, dans le cours de vos austérités, que les feuilles des arbres tombées d’elles-mêmes sur le sol. Puis, le mental stabilisé, les impulsions sexuelles domptées, vous M’avez offert votre adoration, afin d’obtenir de Moi quelque bienfait merveilleux. Tous deux vous avez accompli des austérités sévères pendant 12 000 années, selon le calcul des devas. Tout au long de ces années, vous avez maintenu votre mental absorbé en Moi. Vous voyant ainsi Me servir avec dévotion, penser toujours à moi, Me garder toujours en votre cœur, Je fus grandement satisfait. Ô mère, toi sans péché, ton cœur est toujours pur. En ces temps aussi, J’apparus devant vous sous cette Forme, à seule fin de combler vos désirs, que Je vous demandai de formuler. Votre désir, c’était de M’avoir comme fils. Il vous avait été donné de Me voir en Personne ; et cependant, au lieu d’implorer de Moi votre libération totale de l’asservissement à la matière, vous M’avez demandé, sous l’influence de Mon énergie, que Je devienne votre fils. »
En d’autres termes, le Seigneur choisit un père et une mère, Pṛṣni et Sutapā, à seule fin de pouvoir apparaître dans l’Univers matériel. Chaque fois que le Seigneur descend en ce monde sous la forme humaine, Il requiert pour la perfection de ce Divertissement un père et une mère : Il désigna Pṛśni et Sutapā pour remplir éternellement ce rôle. Voilà pourquoi ni Pṛśni ni Sutapā ne purent demander au Seigneur la libération, laquelle en réalité n’a pas autant d’importance que le service de dévotion. Le Seigneur, qui aurait pu accorder à Pṛśni et à Sutapā une libération immédiate, préféra les garder dans l’Univers matériel afin qu’ils jouent le rôle de Ses parents lors de Ses diverses Apparitions, ce que confirment les lignes qui vont suivre. Après avoir reçu la bénédiction du Seigneur, la promesse qu’ils deviendraient Sa mère et Son père, Pṛśni et Sutapā abandonnèrent leur sévère ascèse pour vivre comme mari et femme et ainsi engendrer un enfant qui serait le Seigneur Suprême en Personne.
Le temps venu, Pṛśni fut enceinte et mit au monde l’Enfant. Le Seigneur dit à Devakī et à Vasudeva : « Mon Nom était alors Pṛśnigarbha. Et dans l’âge suivant, quand vous fûtes Aditi et Kaśyapa, je devins votre fils sous le Nom d’Upendra. Ma Forme était celle d’un nain, et pour cette raison, J’étais également connu sous le Nom de Vāmanadeva. Cette bénédiction, M’avoir pour fils, devait vous échoir trois fois. La première, J’étais Pṛśnigarbha, né de Pṛśni et Sutapā ; puis Je devins Upendra, né d’Aditi et Kaśyapa, et Je parais maintenant en tant que Kṛṣṇa, né de vous, Devakī et Vasudeva. Si Je Me suis montré à vous dans cette Forme de Viṣṇu, c’est à seule fin de vous convaincre que Je suis la même Personne Suprême, qui de nouveau apparaît. J’aurais pu Me montrer sous l’aspect d’un enfant ordinaire, mais auriez-vous compris alors que Moi, Dieu, la Personne Suprême, J’étais descendu dans le sein de Devakī ? Mon cher père, Ma chère mère, vous M’avez donc élevé nombre de fois comme votre enfant, avec grand amour et affection ; comment ne serais-Je pas satisfait de vous et ne Me sentirais-Je pas obligé envers vous ? Je vous promets que cette fois, vous retournerez au Royaume spirituel, en la Demeure originelle, car vous aurez assuré la perfection de votre mission. Je sais que vous avez grand souci de Ma Personne et pour cela redoutez Kaṁsa. Je vous demande donc de Me porter immédiatement à Gokula et de M’échanger avec la fille que vient de mettre au monde Yaśodā. »
Ayant ainsi parlé à Son père et à Sa mère, le Seigneur Se transforma en un enfant semblable aux autres et garda le silence.
Comme il en avait reçu l’ordre de son Fils, Dieu en Personne, Vasudeva entreprit de Le faire sortir de la pièce où Il était apparu. À ce moment précis, une fille naissait de Nanda et Yaśodā. Cette fille n’était autre que Yogamāyā, la puissance interne du Seigneur. Par l’influence de Yogamāyā, tous les habitants du palais de Kaṁsa, et surtout les gardes, furent plongés dans un profond sommeil. Toutes les portes, bien que barrées et cadenassées par des chaînes de fer, s’ouvrirent largement. Bien que la nuit fût très obscure, aussitôt que Vasudeva sortit du palais de Kaṁsa, portant Kṛṣṇa dans ses bras, il put voir aussi clair qu’en plein jour.
Le Caitanya-caritāmṛta nous dit que Kṛṣṇa est comme la radiance du soleil ; là où Se trouve Kṛṣṇa, l’énergie illusoire, comparable aux ténèbres, ne peut demeurer. Lorsque Vasudeva emporta Kṛṣṇa, les ténèbres de la nuit se dissipèrent. Toutes les grilles de la prison s’ouvrirent d’elles-mêmes. Dans le même temps, le tonnerre grondait dans le ciel et la pluie s’abattait violemment. Mais Śrī Śeṣa, le Seigneur sous Sa Forme de serpent, dilata Son cou et l’allongea au-dessus du père et de son Fils, afin qu’ils ne soient pas gênés par la tempête. Arrivé sur le bord de la Yamunā, Vasudeva vit que les eaux de la rivière s’agitaient violemment, formant de fortes vagues et se couvraient d’écume sur toute leur étendue. Mais la rivière déchaînée creusa en elle un passage facile pour Vasudeva, tout comme l’avait fait pour Śrī Rāma l’immense océan Indien. Ainsi, Vasudeva franchit la rivière Yamunā. Une fois sur l’autre rive, il se rendit à la demeure de Nanda Mahārāja, à Gokula, où il vit que tous les pâtres dormaient profondément. Il pénétra donc silencieusement dans la maison, et là, sans difficulté, il échangea son Fils avec la fille qui venait de naître de Yaśodā. Puis, il s’en retourna à la prison de Kaṁsa, et, toujours en silence, plaça le bébé sur les genoux de Devakī. Enfin, il referma de nouveau sur lui les chaînes, pour que Kaṁsa ne puisse soupçonner que tant d’événements étaient survenus cette nuit-là.
Mère Yaśodā savait qu’elle avait mis au monde un enfant, mais épuisée par l’accouchement, elle s’était profondément endormie. Et à son réveil, elle ne se souvenait plus si elle avait mis au monde un garçon ou une fille.
Ainsi s’achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le troisième chapitre du Livre de Kṛṣṇa, intitulé : « Et Kṛṣṇa apparaît ».