QUATRE-VINGT-SEPTIÈME CHAPITRE
Les prières des Vedas personnifiés
Le roi Parīkṣit s’enquit auprès de Śukadeva Gosvāmī d’un sujet de première importance dans l’entendement de la spiritualité. Telle fut sa question : « Puisque le savoir védique s’attache généralement au chapitre des trois guṇas, dans les limites de l’Univers matériel, comment peut-il vraiment traiter de la Transcendance, qui gît au-delà de l’influence des guṇas ? Le mental étant matériel, et les mots s’identifiant eux-mêmes à des émissions sonores matérielles, comment le savoir védique, exprimant en mots des notions issues du mental, pourrait-il toucher à la Transcendance ? Pour décrire un objet, il faut nécessairement définir sa source, ses attributs et son action, et telle description n’est rendue possible que par l’usage de mots matériels traduisant des considérations nées du mental matériel. Or, le Brahman, ou la Vérité Absolue, n’a point d’attributs matériels ; comment, dès lors, peux-tu Le dépeindre en mots, puisque notre pouvoir d’expression verbale n’est effectif que dans le champ des attributs matériels ? Je ne vois guère comment la Transcendance pourrait être perçue à travers des vibrations sonores matérielles. »
Par cette question, le roi Parīkṣit demandait à Śukadeva Gosvāmī d’établir la nature ultime de la Vérité Absolue selon les Vedas : était-elle personnelle ou impersonnelle ? Or, nous savons que la réalisation de la Vérité Absolue s’échelonne selon ces trois aspects : le Brahman impersonnel, puis le Paramātmā localisé dans le cœur de chacun, et enfin, Dieu, la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa.
Les Vedas traitent de trois secteurs d’activités : le karma-kāṇḍa, auquel appartiennent les actes accomplis selon les prescriptions védiques, et qui purifient peu à peu leur auteur, jusqu’à ce qu’il puisse comprendre sa véritable nature ; le jñāna-kāṇḍa, ou la voie qui consiste à approcher la Vérité Absolue par le biais de la spéculation philosophique ; et l’upāsanā-kāṇḍa, qui s’attache à l’adoration de Dieu, la Personne Suprême, ou parfois à celle des devas aussi. L’adoration des devas telle que prescrite par les Textes védiques, repose sur le fait de comprendre leur relation avec le Seigneur Suprême. De Dieu procèdent d’innombrables émanations, qui représentent autant de fragments de Sa Personne ; certaines, identiques à Lui-même, portent le nom de svāṁśas, les autres de vibhinnāṁśas : ce sont les êtres distincts. Toutes ces émanations, les svāṁśas comme les vibhinnāṁśas, aussi appelées Viṣṇu-tattvas et jīva-tattvas, procèdent de Dieu, la Personne originelle. Notons au passage que les multiples devas appartiennent aux jīva-tattvas. Les âmes conditionnées se voient le plus souvent impliquées dans les activités du monde matériel en vue de la satisfaction des sens ; et comme l’indique la Bhagavad-gītā, pour modérer les élans de ceux qui recherchent avec trop d’ardeur les différentes formes de plaisirs matériels, le culte des devas est parfois recommandé. Ainsi les Écrits védiques préconisent-ils le culte de la déesse Kālī pour ceux qui sont par trop attachés à la consommation de la viande ; suivant les règles précises contenues dans le karma-kāṇḍa, ils devront sacrifier une chèvre (et aucun autre animal) devant la déesse ; dans ces conditions seulement peuvent-ils être autorisés à consommer de la viande. Le but d’un tel enseignement n’est point d’encourager la consommation de chair animale, mais de permette aux obstinés d’en manger sous certaines conditions. Donc, le culte des devas n’est en rien l’adoration de la Vérité Absolue, mais il peut néanmoins permettre d’accepter graduellement Dieu, la Personne Suprême, de façon indirecte. Or, cette voie indirecte est qualifiée d’avidhi dans la Bhagavad-gītā, ce qui signifie « non autorisée. » Et pour cette raison, les impersonnalistes préconisent la concentration sur l’aspect impersonnel de la Vérité Absolue. Le roi Parīkṣit, par sa question, désirait donc percer le but ultime du savoir védique : s’agissait-il de porter toute son attention vers l’aspect impersonnel de la Vérité Absolue ou plutôt vers Son aspect personnel ? Car, somme toute, l’un comme l’autre se situent au-delà de notre entendement matériel. L’aspect impersonnel de l’Absolu, la radiance du Brahman, n’est autre que l’éclat émanant du Corps de la Personne de Śrī Kṛṣṇa. Cette lumière s’étend à travers l’entière Création du Seigneur, dont la partie qu’obscurcit le nuage matériel porte le nom de cosmos créé, règne des trois guṇas – sattva, rajas et tamas. Or, comment les êtres vivant dans la région ennuagée de l’Univers matériel pourraient-ils concevoir la Vérité Absolue à travers la méthode spéculative ?
Pour répondre à sa question, Śukadeva Gosvāmī instruisit Mahārāja Parīkṣit de ce que Dieu, la Personne Suprême, a créé le mental, les sens et l’énergie vitale pour que les êtres conditionnés satisfassent leurs désirs matériels à travers des transmigrations successives d’un corps à un autre, mais aussi afin qu’ils s’affranchissent des conditions matérielles. En d’autres mots, les sens, le mental et l’énergie vitale peuvent être utilisés pour la satisfaction des sens et le passage répété d’un corps à un autre, ou encore pour obtenir la libération. Or, les préceptes védiques sont précisément destinés à permettre aux âmes conditionnées de connaître les plaisirs de ce monde suivant certains principes régulateurs, leur offrant par là l’occasion de connaître des conditions de vie supérieures, pour enfin, une fois leur conscience purifiée, retrouver leur position d’origine, et retourner en leur demeure première, dans le Royaume de Dieu.
La force de vie est dotée d’intelligence, et cette intelligence doit prévaloir sur le mental et les sens. Ces derniers purifiés par un usage approprié de l’intelligence, l’âme conditionnée devient libérée ; sinon, lorsque l’intelligence n’est pas employée à la maîtrise des sens et du mental, l’âme conditionnée continue de transmigrer d’une forme de corps à une autre, poursuivant sans trêve la satisfaction des sens. Un autre point ressort clairement de la réponse de Śukadeva Gosvāmī, lorsqu’il enseigne que le Seigneur a créé le mental, les sens et l’intelligence de l’être vivant et distinct : il ne mentionne aucunement que les êtres vivants eux-mêmes aient jamais été créés. En effet, de même que les brillantes particules qui composent les rayons du soleil ont toujours existé avec le soleil, les êtres vivants existent éternellement en tant que fragments de Dieu, la Personne Suprême. Cependant, il arrive parfois que certains de ces fragments éternels du Seigneur Souverain, les âmes distinctes, deviennent conditionnés et se voient recouverts par le nuage que forme la conception matérielle de l’existence, dans les ténèbres de l’ignorance. L’ensemble des prescriptions védiques vise à dissiper cette noire condition. En dernier lieu, lorsque les sens et le mental de l’être conditionné se voient totalement sanctifiés, ce dernier revient à sa position originelle, que l’on appelle la conscience de Kṛṣṇa : et telle est la libération.
Dans le Vedānta-sūtra, le premier aphorisme, ou sūtra, soulève une question : Athāto brahma-jijñāsā, quelle est la nature de la Vérité Absolue ? Et le deuxième répond que la Vérité Absolue incarne l’Origine de tout ce qui est. Tout ce que nous percevons, même à l’état conditionné, ou sur le plan matériel, émane de cet Être Suprême, la Vérité Absolue, qui a en outre créé le mental, les sens et l’intelligence des êtres vivants. Ce qui revient à dire que la Vérité Absolue n’est pas Elle-même dépourvue de mental, d’intelligence et de sens, ou en d’autres mots, qu’Elle n’est pas impersonnelle. Car, le fait même qu’Il « crée » implique que l’Être Suprême possède une intelligence absolue. Lorsqu’un enfant naît, par exemple, c’est à l’image de son père, avec des sens, des mains, des jambes… Pour cette même raison, on dit parfois que l’homme est fait à l’image de Dieu. Ainsi, la Vérité Absolue est la Personne Suprême, dotée d’un mental, d’une intelligence et de sens spirituels et absolus. Et lorsque le mental, l’intelligence et les sens de l’être distinct deviennent purifiés de la souillure matérielle, il peut alors saisir la nature originelle, la nature personnelle, de la Vérité Absolue.
La voie préconisée par les Vedas consiste à élever graduellement l’âme conditionnée de l’influence de l’Ignorance à celle de la Passion, puis de la Vertu, laquelle donne suffisamment de lumière pour percevoir les choses sous leur vrai jour. Lorsque de la terre pousse un arbre, on peut, de son bois, allumer un feu. Surgit d’abord la fumée, puis la chaleur, et enfin la flamme, que nous pouvons utiliser à des fins diverses. Dans cet exemple, le feu représente donc le but ultime. De même, au niveau de l’existence matérielle grossière, l’Ignorance prédomine ; mais elle se dissipe, et cède peu à peu la place à la Passion, au fur et à mesure que l’on progresse de la barbarie à la civilisation. À l’état barbare, sous l’influence de l’Ignorance, c’est de façon grossière que l’on cherche à satisfaire les sens, alors que dans la Passion, ou à l’état civilisé, le plaisir prend une forme plus raffinée. Mais lorsqu’on s’élève jusqu’à la Vertu, on est à même de comprendre que les sens et le mental ne s’absorbent dans des activités matérielles que du fait d’une conscience dénaturée. Celle-ci, pas à pas, se transforme en conscience de Kṛṣṇa, et s’ouvre alors la voie de la libération. Ce n’est donc pas qu’il est impossible d’approcher la Vérité Absolue à travers les sens et le mental. Certes, les sens, le mental et l’intelligence, tant qu’ils évoluent au niveau grossier, et qu’ils sont souillés par la matière, ne peuvent estimer la nature de la Vérité Absolue ; mais lorsqu’on les purifie, ces mêmes sens, mental et intelligence peuvent effectivement permettre de saisir la Vérité Absolue. Et le moyen de les purifier, c’est le service de dévotion, ou la Conscience de Kṛṣṇa.
La Bhagavad-gītā enseigne clairement que le but du savoir védique est de connaître Kṛṣṇa, et Kṛṣṇa n’est compris qu’à travers le service de dévotion, qui commence par l’abandon à Sa Personne. Pour reprendre les mots de la Bhagavad-gītā, il faut constamment penser à Kṛṣṇa, Le servir avec amour et dévotion, L’adorer et se prosterner devant Lui. Par cette pratique seule pourrons-nous, sans nul doute, pénétrer dans le Royaume de Dieu.
Sitôt que dans la Vertu l’âme devient illuminée par la pratique du service de dévotion, elle se voit affranchie des influences de l’Ignorance comme de la Passion. Le mot ātmane désigne précisément le niveau brahmanique, où l’on acquiert qualité pour étudier les Écrits védiques que sont les Upaniṣads. Celles-ci décrivent de diverses manières les Attributs spirituels de la Vérité Absolue, du Seigneur Suprême, qu’on qualifie de nirguṇa. Ce mot n’implique en rien qu’Il soit dépourvu d’attributs. Au contraire, c’est seulement du fait qu’Il possède des attributs que l’âme conditionnée en est elle-même dotée. Or, l’étude des Upaniṣads a pour but de saisir les Attributs spirituels de la Vérité Absolue, opposés aux attributs matériels de l’Ignorance, de la Passion et de la Vertu. Telles sont les voies de l’entendement védique. De grands sages, tels les quatre Kumāras, avec à leur tête Sanaka, ont adhéré à cette voie de la connaissance védique, et se sont ainsi élevés d’une compréhension impersonnelle de l’Absolu au niveau de l’adoration personnelle du Seigneur Suprême. Il est donc recommandé de marcher sur les traces de tels maîtres en matière de savoir spirituel. Śukadeva Gosvāmī compte lui-même parmi ces hauts personnages, et sa réponse à la question de Mahārāja Parīkṣit revêt de ce fait un caractère d’autorité. Certes, quiconque emprunte la voie tracée par ces sages progressera sans mal sur la voie de la libération, et à la fin retournera en sa demeure originelle, dans le Royaume de Dieu. Tel est le sentier qui mène à la perfection de la vie humaine.
Śukadeva Gosvāmī dit encore à Mahārāja Parīkṣit : « Cher roi, je vais te raconter à ce propos une bien belle histoire. Ce récit revêt une grande importance, car il a trait à Nārāyaṇa, le Seigneur Suprême. Il s’agit d’une conversation échangée entre le grand sage Nārada et Nārāyaṇa Ṛṣi, lequel habite encore à Badarīkāśrama, dans les Himalayas, et est reconnu comme une manifestation de Nārāyaṇa. Un jour, alors que Nārada, le grand bhakta et ascète parmi les devas, voyageait à travers différentes planètes, il désira rencontrer en personne l’ascète Nārāyaṇa à Badarīkāśrama et lui offrir ses respects. Ce grand sage et avatāra, Nārāyaṇa Ṛṣi, s’était soumis à de grandes austérités depuis les tout premiers temps de la création, cela afin d’enseigner aux habitants de Bhārata-varṣa le moyen d’atteindre le plus haut niveau de perfection : retourner à Dieu. Ses pénitences constituent des pratiques exemplaires pour l’être humain. »
Badarīkāśrama se situe dans la partie la plus au nord des Himalayas et se trouve toujours couvert par la neige. Les hindous se rendent encore en ce lieu pendant l’été, lorsque les chutes de neige ne sont pas trop abondantes.
Un jour, l’avatāra Nārāyaṇa Ṛṣi se trouvait assis parmi de nombreux bhaktas dans le village du nom de Kalāpa-grāma. Certes, il ne s’agissait pas là de sages ordinaires, et le noble Nārada se rendit lui aussi en ce lieu. Or, après avoir offert ses respects à Nārāyaṇa Ṛṣi, Nārada lui posa exactement la même question que le roi Parīkṣit soumit à Śukadeva Gosvāmī. Lorsqu’il interrogea ainsi le ṛṣi, ce dernier lui répondit selon les enseignements de ses prédécesseurs. Il lui raconta comment cette même question avait été discutée sur Janaloka, laquelle se situe au-delà des planètes dites Svargaloka, parmi lesquelles la lune, Vénus, etc. Là vivent de grands sages et des saints, qui s’entretinrent donc de ce point concernant la connaissance du Brahman et de sa véritable identité.
Ainsi parla le grand sage Nārāyaṇa : « Ô Nārada, je vais te rapporter le récit d’événements qui se déroulèrent il y a très, très longtemps. C’était lors d’une importante rencontre entre les habitants des planètes édéniques et presque tous les éminents brahmacārīs, tels que les quatre Kumāras – Sanātana, Sanandana, Sanaka et Sanat-Kumāra. Et leurs échanges portaient sur la compréhension de la Vérité Absolue, du Brahman. Tu ne te trouvais point dans cette assemblée car tu t’étais alors rendu sur l’île de Śvetadvīpa afin de t’y entretenir avec Aniruddha, Mon émanation. Lors de cette rencontre, tous les grands sages et brahmacārīs discutèrent et élaborèrent longuement sur ce qui fait aujourd’hui l’objet de ta question : débat du plus haut intérêt, et si profond que même les Vedas se trouvèrent incapables de répondre aux questions complexes qui furent alors soulevées. »
Ainsi, Nārāyaṇa Ṛṣi apprit à Nāradajī que sa question avait déjà été discutée lors de l’assemblée de Janaloka. On reconnaît ici la voie qui permet d’acquérir le savoir : celle de la paramparā, la succession disciplique. Mahārāja Parīkṣit fut envoyé à Śukadeva Gosvāmī, Śukadeva Gosvāmī rapporta la question à Nārada, qui à son tour en fit part à Nārāyaṇa Ṛṣi, lequel avait lui-même soulevé la question auprès d’autorités supérieures sur la planète de Janaloka où elle avait été discutée parmi les illustres Kumāras – Sanaka, Sanātana, Sanat-Kumāra et Sanandana. Ces quatre brahmacārīs sont reconnus comme érudits dans les Vedas et autres śāstras. Leur savoir illimité, soutenu par leurs austérités, ressort dans leur caractère sublime, idéal. Très amènes et doux de comportement, il n’est pour eux nulle distinction entre amis, bienfaiteurs et ennemis. Ayant transcendé la matière, les personnages de l’envergure des Kumāras se situent au-delà de toute considération matérielle, et se montrent toujours neutres face aux dualités de ce monde. Pour leurs entretiens de Janaloka, donc, l’un des quatre frères, Sanandana, fut choisi pour prendre la parole, et les autres devinrent son audience.
Sanandana dit : « Après l’annihilation totale de la manifestation cosmique, toute l’énergie matérielle ainsi que la création à l’état de noyau pénètrent dans le Corps de Garbhodakaśāyī Viṣṇu. Le Seigneur demeure alors assoupi pendant longtemps, très longtemps, et lorsqu’il devient nécessaire que soit manifestée à nouveau la création, les Vedas personnifiés entourent alors le Seigneur et Le glorifient en décrivant Ses merveilleux Divertissements absolus. N’en est-il pas de même pour un roi ? Au matin, les chantres professionnels entourent sa chambre à coucher et se mettent à chanter les gloires de ses actes chevaleresques, et c’est en entendant le chant de ses actes glorieux que le roi s’éveille.
« Les narrateurs et conteurs védiques, les Vedas personnifiés, entonnèrent : Ô Toi l’Invincible, Tu es la Personne Suprême, nul ne T’est égal ou supérieur. Nul ne peut jouir de plus de gloire dans ses actes ! Gloire à Toi ! Gloire à Toi ! Par Ta propre nature spirituelle et absolue Tu jouis pleinement des six perfections. Tu peux donc libérer toutes les âmes conditionnées des griffes de māyā. Ô Seigneur, nous T’implorons de nous conférer cette grâce. Tous les êtres vivants, les fragments de Ta Personne, sont par nature joyeux, éternels et pleins de connaissance, mais de par leur propre faute, ils essaient de T’imiter en voulant tirer jouissance de tout pour eux-mêmes, ainsi manquent-ils d’obéir à Ta suprématie et commettent des offenses à Ton endroit. Et du fait de leurs offenses, Ton énergie matérielle les a placés sous sa tutelle. Leurs attributs spirituels de joie, félicité et sagesse disparaissent alors sous les nuages des trois guṇas. Cette manifestation cosmique, faite des trois influences matérielles, est comme une prison pour les âmes conditionnées. Ces dernières luttent avec force pour échapper aux chaînes de la matière, et selon les diverses condition de leur existence, se voient attribuer différentes occupations. Or la connaissance de Ta Personne forme la base de toute occupation. Et ainsi, les actes vertueux ne peuvent-ils s’accomplir que lorsque Ta miséricorde inspire leurs auteurs. Si bien qu’à moins de prendre refuge à Tes pieds pareils-au-lotus, nul ne peut surmonter l’influence de l’énergie matérielle. En vérité, nous qui personnifions le savoir védique sommes toujours occupés à Te servir, et ce afin d’aider les âmes conditionnées à Te mieux comprendre. »
Cette prière des Vedas personnifiés illustre le fait que les Vedas ont pour but d’aider les âmes conditionnées à saisir la nature de Kṛṣṇa. Tous les śrutis ou Vedas personnifiés louèrent le Seigneur à plusieurs reprises en chantant « Jaya ! Jaya ! », ce qui indique que le Seigneur reçoit l’éloge de tous pour Ses gloires. Et de toutes, la plus importante est la miséricorde sans cause qu’Il montre envers les âmes conditionnées, lorsqu’Il les arrache des griffes de māyā.
Il existe un nombre sans limites d’êtres vivants incarnés en diverses sortes de corps ; certains dotés du pouvoir de se mouvoir, mais d’autres devant se tenir immobiles en un lieu fixe. La cause du conditionnement de tous ces êtres réside essentiellement dans l’oubli du lien éternel qui les unit à Dieu, la Personne Suprême. Quand l’être vivant désire dominer l’énergie matérielle, voulant ainsi imiter Kṛṣṇa, il est aussitôt saisi par l’énergie matérielle puis, selon son désir, se voit offrir un corps parmi l’une ou l’autre des huit millions quatre cent mille formes de vie. Bien que soumis aux trois sortes de souffrances liées à l’existence matérielle, l’être placé sous l’emprise de l’illusion se croit à tort le maître de tout ce qui l’entoure. Ensorcelé par l’influence matérielle des trois guṇas, il n’a aucune chance de connaître la libération à moins qu’il ne reçoive la grâce du Seigneur Suprême. De par ses propres efforts, il reste incapable de conquérir l’influence des trois guṇas, mais le Seigneur, Lui, Se trouve au-delà de leur emprise car la nature matérielle tout entière agit sous Ses ordres. Exception faite de Sa Personne, tous les êtres vivants, depuis Brahmā jusqu’à la plus petite fourmi, sont prisonniers de la nature matérielle.
Parce qu’Il possède dans leur totalité les six perfections, à savoir richesse, puissance, renom, beauté, savoir et renoncement, seul le Seigneur Se trouve au-delà de l’influence de la nature matérielle. À moins que l’être ne s’établisse dans la conscience de Kṛṣṇa, il ne peut approcher la Personne Suprême. Le Seigneur, toutefois, de par Sa toute-puissance, dicte de l’intérieur en tant que l’Âme Suprême, la conduite de chaque être distinct. Dans la Bhagavad-gītā, le Seigneur enseigne : « Quoi que tu fasses, que tu manges, que tu sacrifies et prodigues, quelque austérité que tu pratiques, que ce soit d’abord pour Me l’offrir. » Ainsi, les karmīs sont-ils guidés de façon à ce qu’ils développent peu à peu leur conscience de Kṛṣṇa. Pareillement, Kṛṣṇa guide progressivement les philosophes vers Sa Personne en leur permettant de distinguer le Brahman de māyā. Enfin, lorsque l’être atteint la maturité dans son savoir, il s’abandonne à Kṛṣṇa. Comme l’enseigne le Seigneur dans la Bhagavad-gītā : « Après de nombreuses renaissances, lorsqu’il sait que Je suis tout ce qui est, la Cause de toutes les causes, l’homme au vrai savoir s’abandonne à Moi. » Les yogīs sont également guidés de manière à fixer leur méditation sur Kṛṣṇa en leur cœur de sorte qu’en persévérant dans cette voie de la conscience de Kṛṣṇa ils puissent s’affranchir des griffes de l’énergie matérielle. Mais, comme l’enseigne encore la Bhagavad-gītā, parce que d’emblée les bhaktas s’engagent avec amour dans le service de dévotion offert au Seigneur, Ce dernier les guide directement vers Lui leur évitant difficultés et égarements. C’est par la grâce du Seigneur seule que l’être vivant peut donc comprendre la position exacte du Brahman, du Paramātmā et de Bhagavān.
Les assertions des Vedas personnifiés nous démontrent avec clarté que les Écrits védiques n’ont été révélés qu’à seule fin de comprendre Kṛṣṇa. La Bhagavad-gītā confirme à cet effet que le but de tour les Vedas est seulement de connaître Kṛṣṇa. Le bonheur de Kṛṣṇa s’accroît sans cesse, que ce soit dans l’univers matériel ou dans le monde spirituel. Parce qu’Il est Celui qui a jouissance de tout, Il voit d’un œil égal les mondes matériel et spirituel. Si l’univers matériel représente un obstacle pour les êtres distincts dans leur masse du fait qu’il les domine, il n’en est rien pour Kṛṣṇa, car c’est en maître qu’Il règne sur l’univers. Voilà pourquoi diverses sections des Upaniṣads attestent : « Le Brahman est tout d’éternité, de connaissance et de félicité spirituelles, mais l’unique Personne Suprême Se trouve également dans le cœur de chacun. » Du fait de Son omniprésence, le Seigneur pénètre non seulement dans le cœur de tous les êtres vivants, mais en chaque atome. En tant qu’Âme Suprême, Il dirige l’action de tous les êtres. Vivant en leur cœur et témoin de leurs actions, Il leur permet d’agir selon leurs désirs, et leur accorde le fruit de leurs actes.
De toutes choses, Il est la force vitale, mais Il demeure toutefois bien eau-delà des attributs matériels. Tout-puissant, maître dans l’art de créer et fort par nature d’une connaissance supérieure, Il peut ramener tous les êtres sous Son empire. Ainsi, de tous est-Il le maître. Il apparaît parfois sur la surface du globe, mais Il n’en est pas moins partout présent. Désirant Se multiplier en d’innombrables formes, Il posa son regard sur l’énergie matérielle et c’est ainsi que furent manifestées des myriades d’êtres vivants. Tout est créé par le jeu de Son énergie supérieure, et tout dans Sa création jouit d’une parfaite harmonie, sans qu’on y trouve la moindre incongruité.
Ceux qui aspirent à se libérer de ce monde matériel doivent donc vouer leur adoration à Dieu, la Personne Suprême, la Cause originelle de toutes les causes. Il est semblable à la terre dont on peut fabriquer diverses poteries : les pots eux-mêmes sont faits de terre, ils reposent sur la terre, et une fois détruits, se fondent à nouveau dans la terre.
Or bien que la Personne Suprême soit la Cause originelle de toutes manifestations variées, les impersonnalistes aiment toutefois s’attarder sur l’assertion védique selon quoi tout est Brahman, sarvaṁ khalv idaṁ brahma. Ils ne tiennent nul compte de la variété des manifestations qui émane de la Cause originelle du Brahman. Ils considèrent simplement que tout émane du Brahman, et que lorsque survient la destruction finale, tout retournera au Brahman, et que l’état intermédiaire de cette manifestation est également Brahman. Mais bien que ces māyāvādīs croient que le cosmos, avant sa manifestation, se situe dans le Brahman, qu’il y demeure après sa création pour enfin s’y fondre lorsque vient sa destruction, ils n’en ignorent pas moins la nature du Brahman.
Cette vérité se trouve clairement décrite dans la Brahma-saṁhitā : les êtres vivants, l’espace, le temps et les éléments matériels tels le feu, la terre, l’éther, l’eau et le mental, constituent l’ensemble de la manifestation cosmique nommée Bhūḥ, Bhuvaḥ et Svaḥ, et qui est l’œuvre de Govinda. C’est en effet par la puissance de Govinda que cette manifestation cosmique s’épanouit, puis, une fois détruite, pénètre en Govinda et y demeure. Brahmā s’exclame donc : « J’adore Govinda, la Personne originelle, la Cause de toutes les causes. »
Le mot Brahman indique le plus grand de tous, Celui qui maintient toute chose. Les impersonnalistes sont fascinés par la grandeur du ciel, mais en raison de leur pauvre fond de connaissance ils demeurent indifférents devant la grandeur de Kṛṣṇa. L’expérience de tous les jours démontre toutefois que nous sommes davantage attirés par la grandeur d’une personne que par le caractère imposant d’une montagne. À vrai dire, le terme Brahman ne peut s’appliquer qu’à Kṛṣṇa ; voilà pourquoi, dans la Bhagavad-gītā, Arjuna reconnut en Śrī Kṛṣṇa le Para-brahman, le souverain Refuge de tout ce qui existe.
Kṛṣṇa est le Brahman Suprême en raison du caractère infini de Son savoir, de Ses pouvoirs, de Sa puissance, de Son influence, de Sa beauté et de Son renoncement. Si bien que le mot Brahman ne peut être appliqué qu’à Kṛṣṇa. Arjuna affirme que parce que le Brahman impersonnel constitue la radiance qui émane du corps spirituel et absolu de Kṛṣṇa, Ce dernier doit être tenu pour Para-brahman. Tout repose sur le Brahman, mais le Brahman lui-même repose sur Kṛṣṇa. Kṛṣṇa est donc le Brahman Suprême, le Para-brahman. On tient les éléments matériels pour les énergies inférieures de Kṛṣṇa ; par leurs interactions, ils rendent manifeste la création cosmique, qui repose alors sur Kṛṣṇa. Une fois détruite, celle-ci retourne dans le Corps de Kṛṣṇa où elle réside comme une énergie subtile de Sa Personne. Śrī Kṛṣṇa Se fait donc la Cause de la manifestation ainsi que de la dissolution de l’univers cosmique.
Sarvaṁ khalv idaṁ brahma ; ces mots signifient que tout est Kṛṣṇa, et telle est la vision des mahā-bhāgavatas. En effet, ceux-ci voient tout en relation avec Kṛṣṇa. Les impersonnalistes eux prétendent que Kṛṣṇa est tout pour S’être transformé jusqu’à prendre Lui-même la forme de toute la variété matérielle. Ils affirment ainsi qu’en adorant n’importe quoi, on adore toujours Kṛṣṇa. Mais le Seigneur réfute Lui-même dans la Bhagavad-gītā cet argument sans valeur : bien que tout ne soit qu’une transformation de l’énergie de Kṛṣṇa, Ce dernier ne Se trouve pas personnellement présent en toute chose. Pour tout dire, Il est simultanément absent et présent en tout. Il est certes omniprésent à travers Ses énergies, mais Lui-même, la Source de toute énergie, ne réside pas en tout ce qui existe. Cette présence et absence simultanée du Seigneur reste inconcevable à nos sens conditionnés par la matière. Mais les premières pages de l’Īśopaniṣad en donnent une claire explication : le Seigneur Suprême est à ce point complet que bien que d’innombrables énergies avec leurs transformations émanent de Lui, Sa Personne même n’est en rien transformée. Ainsi, puisque Kṛṣṇa représente la Cause de toutes les causes, tout homme d’intelligence devra prendre refuge à Ses pieds pareils-au-lotus.
Kṛṣṇa exhorte chacun de simplement s’abandonner à Lui, et à Lui seul, et cette instruction va de concert avec l’enseignement des Vedas. Puisque Kṛṣṇa est le principe même de toute cause, Il est adoré par tous les saints et tous les grands sages à travers leur observance des principes régulateurs de l’existence. Lorsqu’ils doivent méditer, les grands personnages s’absorbent en la Forme spirituelle de Kṛṣṇa sise en leur cœur. Ainsi, leur pensée est-elle toujours axée vers Kṛṣṇa. Leur pensée captivée par le Seigneur, c’est tout naturellement que les bhaktas ne parlent que de ce qui touche à Sa Personne.
Lier ses propos à Kṛṣṇa ou chanter Ses Noms, Ses Gloires, voilà ce qu’on entend par kīrtanas. Or, Śrī Caitanya recommande : kīrtanīyaḥ sadā hariḥ, il nous faut toujours penser à Kṛṣṇa et en faire l’unique objet de nos conversations. Et cette conscience de Kṛṣṇa est si sublime que quiconque l’adopte se voit élevé à la plus haute perfection de l’existence – bien au-delà du concept de la libération. Dans la Bhagavad-gītā, Kṛṣṇa conseille donc à chacun de toujours penser à Lui, de Le servir avec amour et dévotion, de L’adorer et de Lui offrir hommage et respect. Ainsi le bhakta devient-il pleinement « Kṛṣṇaïsé. » Toujours établi dans la conscience de Kṛṣṇa, il retourne enfin au Seigneur.
Bien que les Vedas préconisent l’adoration de différents devas en les tenant pour divers fragments de Kṛṣṇa, il nous faut comprendre toutefois que ces instructions sont destinées aux hommes de moindre intelligence, qu’attirent encore les plaisirs matériels. Mais celui qui véritablement désire s’acquitter parfaitement de la mission qu’offre la vie humaine, devra porter son adoration vers Kṛṣṇa seul ; ce qui aura pour effet de simplifier son existence et d’assurer la perfection de la vie humaine. Bien que l’espace, l’eau et la terre fassent partie du monde matériel, lorsqu’un être se tient sur la terre ferme, sa position est certes plus sûre que lorsqu’il se trouve dans les airs ou dans l’eau. Pareillement, l’homme d’intelligence ne se placera en aucun cas sous la protection de quelque deva, même s’ils représentent des fragments de Kṛṣṇa, mais s’établira plutôt sur la terre ferme de la conscience de Kṛṣṇa. Ceci aura pour effet de rendre sa position des plus sûres.
Les impersonnalistes citent parfois l’exemple suivant : celui qui se tient sur une pierre ou sur une planche se tient certes par là même sur la terre, car la pierre et le bois y reposent. Mais il peut leur être répondu que celui qui se tient directement sur la surface de la terre se trouve dans une position plus sûre encore que s’il se tenait sur le bois ou la pierre. En d’autres mots, prendre refuge du Paramātmā ou encore du Brahman impersonnel ne constitue pas une voie aussi sûre que celle qui consiste à prendre directement refuge auprès de Kṛṣṇa, en toute conscience de Sa Personne. La position des jñānīs et des yogīs n’est donc pas aussi sûre que celle des dévots de Kṛṣṇa. Śrī Kṛṣṇa a donc enseigné dans la Bhagavad-gītā que seul l’insensé se voue à l’adoration des devas. Quant à ceux qui se sont attachés au Brahman impersonnel, le Śrīmad-Bhāgavatam en parle comme suit : « Ô Seigneur, ceux qui se pensent libérés grâce à la spéculation intellectuelle n’ont pas encore échappé à la souillure de la nature matérielle, en raison de leur incapacité à trouver le refuge de Tes pieds pareils-au-lotus. Bien qu’ils s’élèvent jusqu’à l’existence spirituelle du Brahman impersonnel, ils choiront certes de cette haute position pour avoir manqué d’aspirer à Tes pieds pareils-au-lotus. » Śrī Kṛṣṇa enseigne donc que les adorateurs des devas possèdent une bien piètre intelligence car les fruits de leur adoration ne sont qu’éphémères et limités. Leurs efforts marquent en eux-mêmes leur manque d’intelligence. Le Seigneur assure toutefois que Son dévot ne doit avoir aucune crainte de choir de sa position.
Les Vedas personnifiés poursuivirent leurs prières : « Cher Seigneur, tenant compte de tous ces points de vue, si l’homme doit vouer son adoration à quelqu’un qui lui soit supérieur, alors, fût-ce par simple vertu, il lui faut adhérer à l’adoration de Tes pieds pareils-au-lotus, Toi le Maître souverain de la création, du maintien et de la dissolution de l’univers ; Toi qui règnes sur les trois mondes, Bhūḥ, Bhuvaḥ et Svaḥ, sur les quatorze divisions cosmiques supérieures et inférieures et sur les trois sources d’influences matérielles. Les devas et les êtres haut placés dans le savoir spirituel se trouvent toujours absorbés dans l’écoute et le chant de Tes Divertissements sublimes, car cette écoute et ce chant jouissent du pouvoir unique de réduire à néant les conséquences accumulées de toute une vie de péché. Les hommes d’intelligence se baignent véritablement dans l’océan nectaré de Tes Actes et prêtent à leur récit une oreille attentive. Ainsi se voient-ils aussitôt affranchis de la souillure des trois guṇas, sans avoir à se soumettre à de sévères austérités pour progresser dans la vie spirituelle. Ce chant et cette écoute de Tes Divertissements sublimes tracent la voie de réalisation spirituelle la plus aisée. Par une simple écoute soumise du message spirituel, le cœur se voit balayé de toutes impuretés, en sorte que la conscience de Kṛṣṇa s’établit à jamais dans le cœur du bhakta.
« Bhīṣmadeva, grande autorité spirituelle, a également révélé sa pensée quant à la pratique du chant et de l’écoute des gloires de Dieu, la Personne Suprême : “En elle réside l’essence de tous les rituels védiques”.
« Cher Seigneur, le bhakta qui désire s’élever par cette voie du service de dévotion, dont les plus importants aspects sont l’écoute et le chant de Tes gloires, se voit bientôt libéré des dualités de l’existence matérielle. Par cette simple austérité du bhakta, l’Âme Suprême, sise en son cœur, Se voit comblée et le guide de l’intérieur vers sa demeure originelle, le Royaume de Dieu. La Bhagavad-gītā enseigne que celui qui engage ses actes et ses sens dans le service dévotionnel offert au Seigneur découvre une sérénité parfaite car il a su plaire à l’Âme Suprême. Si bien que le bhakta s’élève au-delà de toute dualité, comme le froid et la chaleur, l’honneur et le déshonneur. Libre des dualités, il éprouve une félicité toute spirituelle, et ne souffre plus des soucis et des angoisses de l’existence matérielle. La Bhagavad-gītā confirme que le bhakta toujours absorbé dans la Conscience de Kṛṣṇa est affranchi de toute angoisse relative à son maintien ou à sa protection personnelle. C’est ainsi qu’il atteint finalement la plus haute perfection. Alors qu’il se trouve en ce monde, il vit dans la paix et la félicité parfaites, libre de tout souci et de toute angoisse. Puis, lorsqu’il quitte l’enveloppe matérielle, son corps, il retourne en sa demeure originelle, auprès de Kṛṣṇa. Le Seigneur confirme dans la Bhagavad-gītā : “Ma Demeure souveraine est un royaume spirituel et absolu d’où l’on ne revient plus en ce monde de matière. Quiconque atteint la perfection suprême, occupé à Me servir personnellement avec dévotion en cette Demeure éternelle, atteint la plus haute perfection de la vie humaine et n’a certes plus à revenir en ce monde où règne la souffrance.”
« Ô Seigneur aimé, il est impératif pour les êtres vivants qu’ils s’engagent dans la conscience de Kṛṣṇa, qu’ils Te servent toujours avec dévotion selon la voie recommandée de l’écoute et du chant de Tes gloires, et qu’ils accomplissent enfin Ta volonté. Pour celui qui n’est pas engagé dans la conscience de Kṛṣṇa, dans le service de dévotion, il est même vain de manifester quelque signe de vie. En général, on considère une personne vivante si elle respire encore. Toutefois, celui à qui manque la conscience de Kṛṣṇa est comparable à un soufflet de forge, soit un grand sac de peau qui inspire et expire de l’air. En effet, l’être humain qui se contente de vivre dans le sac de chair et d’os qu’est son corps, sans adopter la conscience de Kṛṣṇa et le service d’amour dévotionnel, ne vaut guère mieux qu’un soufflet. Pareillement, la longévité d’un non-bhakta se compare à la longue existence d’un arbre, sa capacité de manger avec voracité avec celle des chiens, et le plaisir qu’il tire de la vie sexuelle à celui des chèvres et des porcs.
« Si la manifestation cosmique a pu être créée, elle le doit à ce que Dieu, la Personne Suprême, pénètre au sein de l’univers matériel dans Sa Forme de Mahā-viṣṇu. Lorsque l’ensemble de l’énergie matérielle devient animé par le regard de Mahā-viṣṇu, alors commence l’interaction des trois guṇas. Nous devons donc conclure que quelles que soient les facilités matérielles dont nous nous efforçons de profiter, elles ne nous seront disponibles que par la grâce du Seigneur Suprême.
« Dans le corps se trouvent différents stades d’existence, du nom d’anna-maya, prāṇa-maya, mano-maya, vijñāna-maya, et enfin ānanda-maya. Aux premiers jours de son existence, l’être est conscient de son alimentation. Un enfant ou un animal n’est satisfait que par quelque bonne nourriture. Ce niveau de conscience, dans lequel le but consiste à bien manger, porte le nom d’anna-maya. Le mot anna signifie nourriture. Puis, l’être en vient à prendre conscience qu’il est bien vivant. Parce qu’il poursuit son existence sans être attaqué ni tué, il se pense alors très heureux. Cette conscience porte le nom de prāṇa-maya, celle de sa propre existence. Puis, quand l’être se situe au niveau du mental, sa conscience a nom mano-maya. Une civilisation axée sur la matière connaît principalement ces trois niveaux d’existence, à savoir anna-maya, prāṇa-maya et mano-maya. Le premier souci des êtres civilisés réside dans l’accumulation de biens, leur seconde réside ensuite dans la défense, l’instinct de conservation, et leur troisième dans la spéculation intellectuelle, soit l’approche philosophique des valeurs de l’existence.
« Si, dans le cours de son évolution philosophique, l’homme s’élève au niveau de l’intelligence lui permettant de concevoir qu’il ne doit pas s’identifier à son corps matériel mais plutôt réaliser qu’il est une âme spirituelle, il parvient au niveau spirituel, et saisit la nature du Seigneur Suprême, de l’Âme Suprême. Développer sa relation avec le Seigneur et Le servir avec dévotion, voilà le niveau d’existence qu’on nomme conscience de Kṛṣṇa, le niveau de l’ ānanda-maya. L’ānanda-maya s’identifie à une existence de félicité, de connaissance et d’éternité. Comme l’enseigne le Vedānta-sūtra : ānanda-mayo ’bhyāsāt, le Brahman Suprême de même que le Brahman subordonné – ou encore Dieu, la Personne Suprême, et les êtres vivants – connaissent par nature une existence joyeuse. Aussi longtemps que les êtres vivants se situent aux quatre niveaux inférieurs de l’existence : anna-maya, prāṇa-maya, manomāyā et vijñānamāyā, on considère qu’ils se trouvent conditionnés par la matière ; mais dès qu’ils atteignent le niveau de l’ānanda-maya, ils deviennent alors âmes libérées. La Bhagavad-gītā identifie le niveau d’ānanda-maya à celui du brahma-bhūta. L’Écriture sacrée enseigne en effet qu’à ce niveau il n’est nulle angoisse, nul désir. Au début, ce niveau de conscience se caractérise par le fait de voir tous les êtres vivants d’un œil égal, pour ensuite évoluer jusqu’à la conscience de Kṛṣṇa, où l’on brûle toujours du désir de servir Dieu, la Personne Suprême. Ce désir de progresser dans la voie du service de dévotion n’est en rien comparable au désir lié au plaisir matériel. En d’autres mots, on retrouve également le désir dans la vie spirituelle, mais sous une forme purifiée. Une fois nos sens purifiés, ils s’affranchissent alors de tous les niveaux matériels – anna-maya, prāṇa-maya, mano-maya et vijñāna-maya – pour s’établir au plus haut niveau ; celui de l’ānanda-maya, celui d’une existence empreinte de félicité dans la conscience de Kṛṣṇa. Les philosophes māyāvādīs tiennent l’ānanda-maya pour le niveau où l’on se fond dans le Suprême. Pour eux, l’ānanda-maya signifie que l’Âme Suprême et l’âme individuelle deviennent Une. Mais en vérité, cette unité n’implique en rien que l’on se fonde dans le Suprême en perdant sa propre existence individuelle. Se fondre dans l’existence spirituelle revient pour l’être vivant à réaliser son unité qualitative avec le Seigneur Suprême dans Son aspect d’éternité et de connaissance. Retenons toutefois que le véritable niveau de l’ānanda-maya, du bonheur, ne s’atteint qu’une fois engagé dans le service de dévotion. Ce que confirme la Bhagavad-gītā : mad bhaktiṁ labhate parām, le niveau du brahma-bhūta ou ānanda-maya ne se voit parfaitement atteint que lorsque s’établit un échange d’amour entre l’Être Suprême et l’être vivant à Lui subordonné. À moins de parvenir à ce niveau de l’ānanda-maya, notre respiration est semblable à celle d’un soufflet de forge, notre longévité semblable à celle d’un arbre et notre condition à celle d’animaux inférieurs tels le chameau, le chien et le porc. »
Que l’être éternel ne puisse jamais être annihilé ne fait aucun doute. Mais les espèces inférieures mènent une vie misérable quand l’être engagé au service de dévotion du Seigneur Suprême connaît, lui, le bonheur de l’ānanda-maya. Où qu’ils se situent dans l’un ou l’autre des niveaux d’existence décrits ci-dessus, les êtres sont toujours unis à Dieu par un lien éternel. Bien que et le Seigneur et les êtres vivants existent en toutes circonstances, le Seigneur vit toujours au niveau de l’ānanda-maya quand les êtres, fragments infimes de Sa Personne à Lui subordonnés, sont enclins à choir à un niveau d’existence inférieur. Bien qu’à tous les niveaux le Seigneur Suprême ainsi que les êtres vivants continuent d’exister, le Seigneur demeure à jamais au-delà de tout concept d’existence propre aux âmes distinctes, qu’elles soient à l’état d’esclavage ou à celui d’âme libérée. La manifestation cosmique tout entière est créée par la grâce du Seigneur Suprême, elle existe par cette même grâce, et une fois détruite se fond à nouveau dans l’existence du Seigneur Suprême. Ainsi, ce dernier représente-t-Il l’Existence suprême, la Cause de toutes les causes. En conclusion, nous dirons donc que sans développer la conscience de Kṛṣṇa, notre existence ne se résume qu’à une simple perte de temps.
Les matérialistes confirmés, qui ne peuvent concevoir le monde spirituel, ne peuvent certes pas saisir la nature de la Demeure de Kṛṣṇa. Pour eux, les grands sages se sont limités à préconiser la méthode yogique selon laquelle on médite sur un point situé dans le bassin, – méditation dite mūlādhāra ou maṇipūraka –, pour s’élever ensuite progressivement vers des niveaux supérieurs. Les termes mūlādhāra et maṇipūraka réfèrent aux intestins situés dans l’abdomen. Les matérialistes grossiers croient que l’essor économique est d’une importance primordiale, car ils pensent que l’être n’existe que par le fait de manger. Ils oublient qu’ils peuvent manger autant qu’ils veulent, mais que si la nourriture n’est pas assimilée, elle ne produit que des troubles digestifs et des acidités. Voilà pourquoi l’acte de manger en lui-même n’est certes pas la cause de l’énergie vitale propre à l’existence. Pour que la nourriture soit digérée, il nous faut prendre refuge d’une autre énergie, supérieure celle-là, et que mentionne la Bhagavad-gītā : le vaiśvānara. Śrī Kṛṣṇa enseigne qu’Il aide Lui-même à la digestion sous la forme du vaiśvānara. Dieu, la Personne Suprême, est partout présent, et son existence en tant que le vaiśvānara n’a donc rien d’extraordinaire.
Kṛṣṇa est véritablement omniprésent. Et c’est la raison pour laquelle le vaiṣṇava marque son corps du signe qui distingue les temples de Viṣṇu : ces marques portent le nom de tilaka. Le vaiṣṇava applique ce tilaka sur son ventre, sa poitrine, sa gorge, son front, puis le sommet de sa tête, le brahma-randhra. Les treize temples de tilaka marqués sur le corps du vaiṣṇava sont comme suit ; sur le front, c’est le temple de Keśava ; sur le ventre celui de Nārāyaṇa ; sur la poitrine celui de Mādhava ; sur la gorge celui de Govinda. Sur la hanche droite celui de Viṣṇu ; sur le bras droit celui de Madhusūdana ; sur l’épaule droite celui de Trivikrama ; sur la hanche gauche, celui de Vāmanadeva ; sur le bras gauche celui de Śrīdhara ; sur l’épaule gauche celui de Hṛṣīkeśa ; sur la nuque, celui de Padmanābha ; sur le bas du dos celui de Dāmodara ; et sur le sommet de la tête, celui de Vāsudeva. Telle est la méthode de méditation sur le Seigneur situé aux différentes parties du corps, mais pour les non-vaiṣṇavas, les grands sages ont recommandé la méditation sur le corps en lui-même – sur les intestins, le cœur, la gorge, les sourcils, le front, puis le sommet de la tête. Certains sages qui appartiennent à la lignée disciplique du saint Aruṇa méditent sur le cœur parce que l’Âme Suprême S’y trouve en la compagnie de l’être distinct. Ce que confirme la Bhagavad-gītā au quinzième chapitre, lorsque le Seigneur affirme : « Je suis dans le cœur de chacun. »
Pour le vaiṣṇava, protéger le corps afin de pouvoir servir le Seigneur fait partie du service de dévotion, mais les matérialistes grossiers vont jusqu’à s’identifier au corps de matière. Ils vouent à ce corps leur adoration à travers la voie yogique qui préconise de méditer sur les différentes parties de son propre corps, soit le maṇipūraka, le dahara et le hṛdaya, s’élevant peu à peu jusqu’au brahma-randhra, le sommet de la tête. En dernier lieu, le yogī de premier ordre, qui a atteint la perfection dans la pratique du yoga, s’échappe de son corps en passant par l’orifice crânien, le brahma-randhra, pour se transporter sur la planète de son choix, dans l’univers matériel ou dans le monde spirituel. Ceci se trouve fort bien décrit dans le deuxième Chant du Śrīmad-Bhāgavatam.
À ce propos, Śukadeva Gosvāmī a recommandé aux néophytes d’adorer le virāṭ-puruṣa, la forme universelle et gigantesque du Seigneur. Pour celui qui ne peut croire que le Seigneur peut aussi bien être vénéré dans Sa Forme arcā, celle de la mūrti dans le temple, ou qui ne peut se concentrer sur cette Forme, il est conseillé d’adorer la forme universelle du Seigneur. Les sphères inférieures de l’univers sont tenues pour les pieds et les jambes de cette forme universelle, les sphères médianes de l’univers pour le nombril ou le bassin du Seigneur ; et les systèmes planétaires supérieurs, tels Janaloka et Maharloka, sont tenus pour le cœur du Seigneur. Les sphères les plus hautes, celles de Brahmaloka, sont tenues pour le sommet de la tête du Seigneur. Les grands sages recommandent des processus divers selon la condition de l’adorateur, mais le but ultime de toutes ces méthodes de méditation et de yoga est de retourner en notre demeure originelle, auprès du Seigneur. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, quiconque atteint la plus haute planète, soit la Demeure de Kṛṣṇa, ou seulement les planètes Vaikuṇṭhas, n’a plus jamais à revenir à cette condition d’existence misérable qu’est le monde matériel.
L’enseignement védique veut donc que les pieds pareils-au-lotus de Viṣṇu deviennent le but de tous nos efforts. Tad viṣṇoḥ paramaṁ padam : les Viṣṇulokas – les planètes où règne Viṣṇu – se situent au-delà des planètes matérielles. Ces planètes Vaikuṇṭhas sont également qualifiées de sanātana-dhāma, de Demeure éternelle, car jamais elles ne sont détruites, même lorsque se produit l’annihilation du monde matériel. Ainsi, à moins que l’homme ne s’acquitte avec succès de la mission dont le charge sa forme humaine en vouant son adoration au Seigneur Suprême et en retournant par là en sa demeure originelle, auprès de Lui, on peut dire qu’il a échoué dans l’effort de parvenir au but principal de l’existence.
La prière suivante des Vedas personnifiés concerne la présence du Seigneur au sein des différentes formes de vie. La Bhagavad-gītā révèle au quatorzième chapitre qu’une âme spirituelle, partie intégrante du Seigneur Suprême, anime tous les êtres au sein de chaque espèce. Le Seigneur en Personne affirme dans la Bhagavad-gītā être le Père qui donne la semence pour toutes les espèces et formes d’existence et que toutes doivent être tenues pour Ses fils, les fils de Dieu. La présence du Seigneur Suprême dans le cœur de chacun en tant que Paramātmā déroute parfois les impersonnalistes, qui conçoivent en termes d’égalité les êtres vivants et le Seigneur Suprême. Ils s’imaginent que si le Seigneur Souverain pénètre dans les différents corps en même temps que l’âme individuelle, il ne peut y avoir de distinction entre cette âme et le Seigneur. Et tel est leur défi : « Pourquoi les âmes individuelles devraient-elles vouer leur adoration au Paramātmā, à l’Âme Suprême ? » Car, selon eux, l’Âme Suprême et l’âme individuelle sont égales en tout point : rien ne les distingue. Cependant, il est une différence entre l’Âme Suprême et l’âme individuelle, ce qu’explique la Bhagavad-gītā au quinzième chapitre : le Seigneur y enseigne que malgré Sa présence dans le corps auprès de l’être vivant, Il lui est supérieur, Il lui dicte ses actes de l’intérieur et c’est Lui qui donne l’intelligence.
La Bhagavad-gītā atteste que le Seigneur donne l’intelligence à l’âme distincte et que la mémoire et l’oubli sont également issus de l’influence de l’Âme Suprême. Nul ne peut agir indépendamment de l’Âme Suprême. Si bien que l’âme individuelle doit agir selon son karma passé, que lui rappelle le Seigneur. L’âme distincte est oublieuse par nature, mais la présence du Seigneur en son cœur lui fait se souvenir des désirs exprimés lors de sa vie passée. L’intelligence de l’âme individuelle se manifeste à la manière du feu dans le bois. Bien que le feu demeure toujours feu, il se manifeste dans une ampleur toujours proportionnelle à celle de son combustible. Pareillement, bien que l’âme distincte soit qualitativement une avec le Seigneur Suprême, elle ne se manifeste que selon les limites du corps qui la recouvre.
Le Seigneur Suprême, ou l’Âme Suprême, est qualifié d’eka-rasa. Eka signifie « unique » et rasa « sentiment. » De par Sa position spirituelle et absolue, le Seigneur Suprême jouit d’une éternité, d’une félicité et d’une connaissance parfaites. Mais Sa position d’eka-rasa ne subit pas la moindre altération lorsqu’Il devient dans chaque corps le témoin et conseiller de l’âme distincte. L’âme distincte révèle sa puissance spirituelle selon la nature du corps qui la recouvre, qu’il s’agisse de Brahmā ou d’une minuscule fourmi. Les devas comptent également parmi les âmes distinctes, au même titre que l’homme ou l’animal. Les intelligences vives ne vouent donc pas leur adoration aux différents devas, qui ne sont que d’infimes représentants de Kṛṣṇa, manifestés à travers des formes corporelles également conditionnées. L’âme distincte, répétons-le, ne peut démontrer sa puissance que dans une proportion égale à celle de la constitution et de la forme du corps qu’elle revêt. Toutefois, l’Être Suprême peut déployer Ses puissances dans toute leur plénitude quelle que soit la Forme qu’Il revête. La thèse des philosophes māyāvādīs selon laquelle Dieu et l’âme distincte ne font qu’Un ne peut être acceptée car l’âme individuelle ne peut déployer ses pouvoirs et puissances que selon le développement de son type de corps. L’âme dans le corps d’un nourrisson ne peut montrer la pleine puissance d’un homme adulte, mais Śrī Kṛṣṇa, le Seigneur Souverain, alors qu’Il était encore le tout jeune enfant que portait Sa mère, manifesta toute Sa puissance en tuant Pūtanā et les autres asuras qui voulurent L’agresser. La puissance spirituelle de Dieu, la Personne Suprême, est donc qualifiée d’eka-rasa : elle demeure inchangée. Cette Personne Absolue représente donc l’unique objet d’adoration ; voilà ce qu’ont parfaitement réalisé ceux qui sont affranchis des souillures de la nature matérielle. En bref, seules les âmes libérées sont à même d’adorer Dieu, le Seigneur Souverain. Les māyāvādīs, d’intelligence moindre, portent leur adoration vers les devas, considérant que ces derniers se situent à un niveau égal à celui de Dieu.
Les Vedas personnifiés offrirent encore leur hommage : « Cher Seigneur, après de très nombreuses existences, ceux qui ont véritablement atteint la sagesse vouent leur adoration à Tes pieds pareils-au-lotus, avec un savoir parfait. » Ce que confirme la Bhagavad-gītā, où le Seigneur enseigne qu’après de très nombreuses renaissances, l’âme magnanime, le mahātmā, s’abandonne à Lui, sachant bien que Vāsudeva, Śrī Kṛṣṇa, est la Cause de toutes les causes. Les Vedas poursuivirent : « Comme nous l’avons déjà expliqué, puisque notre mental, notre intelligence et nos sens nous ont été donnés par Dieu, lorsque ces instruments se trouvent véritablement purifiés, il n’est d’autre choix que de les engager tous dans le service de dévotion offert au Seigneur. L’enchaînement de l’être au sein de diverses formes de vie ne résulte que du mauvais emploi de ses pensées, de son intelligence et de ses sens. Diverses sortes de corps sont attribués en conséquence des actes matériels d’un être, ceux-ci sont créés par la nature matérielle selon les désirs des êtres qui les revêtiront. Lorsque l’être vivant désire et mérite un corps particulier, celui-ci lui est attribué sur l’ordre du Seigneur Suprême par la nature matérielle. »
Le troisième Chant du Śrīmad-Bhāgavatam explique que sous le contrôle d’une autorité supérieure, l’être vivant se voit placé dans la semence d’un mâle et introduit dans la matrice d’une certaine femelle afin de développer un corps particulier. L’être utilise ses sens, son intelligence et ses pensées d’une manière bien spécifique, qu’il a lui-même choisie, et développe ainsi un type déterminé de corps dans lequel il sera emprisonné. Ainsi, l’être distinct se situe-t-il en nombre d’espèces différentes ; parfois il revêt la forme d’un deva, parfois d’un homme ou d’un animal, selon les situations et circonstances où il se voit plongé.
Les Écrits védiques expliquent que les êtres emprisonnés dans diverses formes d’existence sont en vérité des fragments du Seigneur Suprême. Les philosophes māyāvādīs confondent l’être distinct avec le Paramātmā, qui en réalité est sis auprès de l’âme distincte tel un ami. Parce que le Paramātmā, qui représente l’aspect localisé de la Personne Suprême, et l’être distinct se trouvent tous deux à l’intérieur du corps, la vérité demeure parfois voilée, et certains croient qu’il n’existe aucune différence entre les deux. Mais il en est pourtant une, bien définie, comme l’explique le Varāha Purāṇa : il est deux sortes d’êtres faisant parties intégrantes du Seigneur Suprême : l’âme distincte, appelée vibhinnāṁśa, et l’Âme Suprême, le Paramātmā, l’émanation plénière du Seigneur Suprême, appelée svāṁśa. Cette dernière possède une puissance égale à celle de Dieu Lui-même. En sorte qu’il n’existe pas même la moindre différence entre la puissance du Seigneur Suprême et celle de Son émanation plénière, le Paramātmā. Mais les fragments vibhinnāṁśa, eux, ne sont dotés que d’une infime partie des puissances du Seigneur. Le Nārada Pañcarātra affirme que les êtres distincts, qui forment l’énergie marginale du Seigneur, sont sans nul doute de la même nature spirituelle que Lui mais sujets toutefois à l’influence matérielle des guṇas. Et de ce fait, les minuscules êtres distincts portent le nom de jīva. La Personne Suprême porte parfois le nom de Śiva, ce qui signifie « Source de toute heureuse fortune. » Ainsi, la différence entre Śiva et jīva est que le Seigneur Suprême, Source de toute heureuse fortune, n’est jamais touché par l’influence matérielle des guṇas quand les jīvas, fragments infimes de Dieu, sont, eux, sujets à cette influence.
Bien qu’elle ne soit qu’une émanation plénière du Seigneur, l’Âme Suprême, sise dans le corps, est digne de l’adoration de l’être distinct. Les grands sages ont donc conclu que la méditation a été conçue afin de permettre à l’être distinct de fixer son attention sur les pieds pareils-au-lotus de la Forme de l’Âme Suprême, Viṣṇu. Tel est le véritable samādhi. Les seuls efforts de l’âme distincte ne peuvent l’affranchir de l’empêtrement matériel. Il lui faut pour cela adopter le service de dévotion offert aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur, l’Âme Suprême sise dans le cœur. Śrīdhara Svāmī, le grand commentateur du Śrīmad-Bhāgavatam, a composé à ce propos un fort beau verset, dont voici le sens : « Ô cher Seigneur, éternellement je demeure une parcelle de Ta Personne, mais les puissances matérielles m’ont encagé, ces puissances qui sont aussi une émanation de Ta Personne. Toi, Cause de toutes les causes, Tu as pénétré dans mon corps sous la forme de l’Âme Suprême, ainsi ai-je la fortune de jouir d’une existence de savoir et de bonheur parfaits à Tes côtés. Ô Seigneur aimé, ordonne-moi donc de Te servir avec amour afin que je puisse à nouveau recouvrer ma nature originelle de félicité absolue. »
Les grands sages savent l’âme distincte empêtrée dans ce monde et incapable de s’en affranchir par ses propres moyens. Armées de dévotion et d’une foi ferme, ces âmes magnanimes s’engagent dans le service d’amour absolu offert au Seigneur. Voilà ce à quoi ont conclu les Vedas personnifiés.
Ceux-ci poursuivirent : « Cher Seigneur, il est très malaisé d’atteindre la connaissance parfaite de la Vérité Absolue. Ta Grâce est si pleine de bonté envers les âmes déchues, que Tu apparais sous les traits de divers avatāras et accomplis des Actes nombreux. Tu fais même personnage historique, et les Écrits védiques relatent fort bien Tes Divertissements, aussi séduisants que l’océan de la félicité spirituelle. Les gens dans leur masse ont un penchant naturel pour la lecture de récits glorifiant les jīvas du commun, mais lorsqu’ils deviennent séduits par les Écrits védiques, qui narrent Tes Divertissements éternels, ils plongent véritablement dans un océan de félicité spirituelle. De même qu’un homme pris de lassitude se sent rafraîchi en pénétrant dans l’onde, l’âme conditionnée, lasse et dégoûtée des activités matérielles, se voit rafraîchie et oublie tout de sa lassitude en s’immergeant simplement dans l’océan spirituel de Tes Divertissements, pour enfin se fondre dans cet océan de félicité sublime. Les bhaktas les plus intelligents n’adoptent aucun autre moyen de réalisation spirituelle que le service de dévotion et la pratique assidue des neuf activités dévotionnelles, dont les deux premières sont l’écoute et le chant de Tes gloires. Lorsqu’ils écoutent et chantent la gloire de Tes Divertissements spirituels, Tes dévots ne se soucient pas même de la félicité spirituelle née de la libération ou de la fusion dans l’existence du Suprême. Ces bhaktas ne montrent pas même d’intérêt pour la pseudo-libération et certes moins encore pour les activités matérielles qui permettent de s’élever aux planètes édéniques pour un plus grand plaisir des sens. Tes purs dévots ne recherchent que la compagnie des paramahaṁsas, des grands bhaktas libérés, afin de pouvoir perpétuellement entendre et chanter Tes gloires. À cette fin, les purs bhaktas sont prêts à sacrifier tous les conforts de l’existence, même ceux de la vie familiale ainsi que les prétendus plaisirs que procurent les liens sociaux, l’amitié et l’amour matériels. Ceux qui ont goûté au nectar de la dévotion en savourant la vibration spirituelle et absolue du chant de Tes gloires : Hare Kṛṣṇa, Hare Kṛṣṇa, Kṛṣṇa Kṛṣṇa, Hare Hare, Hare Rāma, Hare Rāma, Rāma Rāma, Hare Hare, ne se soucient guère des autres plaisirs spirituels ou encore moins des conforts matériels, lesquels semblent, aux yeux des purs bhaktas, moins importants que la paille qui traîne dans la rue.
« Cher Seigneur, lorsqu’un homme est à même de purifier ses pensées, ses sens et son intelligence en s’engageant dans le service de dévotion, en pleine conscience de Kṛṣṇa, ses pensées deviennent alors ses amies. Sinon, elles demeurent à jamais ses ennemies. Quand les pensées s’abîment dans le service de dévotion offert au Seigneur, elles se font des amies intimes de l’être distinct, car alors il peut constamment méditer sur le Seigneur Suprême. Ta Grâce est à jamais chère à l’être vivant, et lorsque son mental est absorbé dans la pensée de Ta Personne, il ressent cette grande satisfaction à laquelle il avait tant aspiré, vie après vie. Quand les pensées se trouvent ainsi fixées sur les pieds pareils-au-lotus de la Personne Suprême, il n’est nul besoin d’adopter quelque autre sorte d’adoration, inférieure, ou d’emprunter quelque autre voie de réalisation spirituelle, elle aussi inférieure. En essayant d’adorer un deva ou en adoptant toute autre méthode de réalisation spirituelle, l’âme distincte demeure une victime du cycle des morts et des renaissances successives, et nul ne peut s’imaginer sa dégradation lorsqu’elle choit dans les espèces abominables, comme celles des chats et des chiens. »
Śrī Narottama dāsa Ṭhākura explique dans ses chants dévotionnels que ceux qui n’adoptent pas le service de dévotion offert au Seigneur mais se trouvent au contraire séduits par la spéculation philosophique et par les actes intéressés, ceux-là boivent le poison des fruits qu’engendrent de tels actes. Ils se voient alors contraints à naître en diverses formes d’existence, contraints encore d’adopter des pratiques infâmes – la consommation de chair animale et l’intoxication sous toutes ses formes. Les matérialistes vouent généralement leur adoration au corps matériel, éphémère, et oublient de veiller au bien-être de l’âme spirituelle vivant en ce corps. Certains se réfugient auprès de la science matérialiste afin d’améliorer les conforts corporels, et d’autres adorent les devas afin de se voir élevés aux planètes édéniques. Leur but dans l’existence est d’assurer le confort de leur corps, oubliant ainsi l’intérêt de l’âme spirituelle. Ces hommes, selon les Écritures védiques, vont droit au suicide, car l’attachement pour le corps matériel et son bien-être contraint l’être vivant à errer à travers le cycle des naissances et des morts, errances perpétuelles et à jamais sujettes aux souffrances de ce monde. La forme humaine représente pour l’être l’occasion de saisir le sens de sa nature véritable ; et les intelligences les plus perçantes adoptent le service de dévotion afin de vouer leurs pensées, leurs sens et leur corps au service du Seigneur, sans aucune déviation.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Cher Seigneur, il est de nombreux yogīs dotés de pouvoirs surnaturels, fort érudits et décidés à atteindre la plus haute perfection de l’existence. Ils pratiquent la méthode yogique qui consiste à maîtriser l’air vital dans le corps. Fixant leurs pensées sur la Forme de Viṣṇu, et maîtrisant leurs sens avec rigueur, ils pratiquent certes le yoga, mais même après tant de rudes austérités et de pénitences, ils ne font qu’obtenir le même destin que Tu réserves à ceux qui Te sont hostiles. Bref, et les yogīs et les grands philosophes imprégnés de sagesse atteignent en dernier lieu la radiance du Brahman impersonnel, que rejoignent tout naturellement les asuras, les ennemis persistants du Seigneur. Des asuras tels Kaṁsa, Śiśupāla et Dantavakra ont également atteint la radiance du Brahman, car ils méditaient constamment sur le Seigneur Suprême. Des femmes telles les gopīs se trouvaient attachées à Kṛṣṇa et captivées par Sa beauté ; la concentration de leurs pensées sur Kṛṣṇa résultait de leur convoitise à Son égard : elles désiraient l’étreinte des bras de Kṛṣṇa, ces bras qui rappellent la belle forme ronde d’un reptile. De même, nous, les hymnes védiques, fixons nos pensées sur les pieds pareils-au-lotus de Ta Grâce. Les gopīs concentrent sur Toi leur attention, mues par la convoitise et nous faisons de même, mais afin de retourner dans notre demeure originelle, auprès de Toi, Seigneur Souverain, Tes ennemis fixent également leurs pensées sur Ta Personne, méditant constamment sur les moyens qu’ils pourraient employer pour Te détruire, et les yogīs se soumettent à de grandes pénitences et austérités à seule fin de rejoindre Ta radiance impersonnelle. Tous, bien qu’ils dirigent vers Toi leurs pensées de diverses manières, atteignent la perfection spirituelle selon leur différente perspective, car Tu Te montres égal envers tous Tes dévots. »
À ce propos, Śrīdhara Svāmī a composé un fort beau verset : « Ô cher Seigneur, il est très malaisé de toujours s’absorber dans la pensée de Tes pieds pareils-au-lotus. En vérité, cela n’est accessible qu’aux grands bhaktas qui déjà ont atteint pour Toi le pur amour et qui Te servent avec dévotion. Ô cher Seigneur, je souhaite que mes pensée puissent également se porter de façon ou d’autre vers Tes pieds pareils-au-lotus, ne fût-ce que pour quelque temps. »
Comment différents spiritualistes atteignent-ils la perfection spirituelle ? Voilà ce qu’explique la Bhagavad-gītā, quand le Seigneur affirme qu’Il confère au bhakta la perfection qu’il souhaite atteindre, cela en proportion de l’abandon de ce bhakta à Sa Personne. Les impersonnalistes, les yogīs et les ennemis du Seigneur pénètrent dans Sa radiance spirituelle, mais les personnalistes, qui suivent les traces des habitants de Vṛndāvana ou qui suivent strictement la voie du service de dévotion, se voient élevés à la Demeure personnelle de Kṛṣṇa, Goloka Vṛndāvana, ou aux planètes Vaikuṇṭhas. Ensemble, les impersonnalistes et les personnalistes atteignent le royaume spirituel, mais les premiers se voient attribuer leur place dans la radiance impersonnelle du Brahman, quand les seconds atteignent les planètes Vaikuṇṭhas, ou la planète de Vṛndāvana, selon le sentiment dans lequel ils désirent servir le Seigneur.
Les Vedas personnifiés affirmèrent que tous les êtres de ce monde ne peuvent comprendre l’existence de Dieu, la Personne Suprême, par une simple manipulation de leur savoir matériel. Tout comme on ne saurait connaître la personnalité d’un ancêtre qui vécut avant que naisse la génération présente, de même sommes-nous incapables de saisir la nature de la Personne Suprême, Nārāyaṇa, ou Kṛṣṇa, qui existe éternellement dans le monde spirituel. La Bhagavad-gītā enseigne clairement au huitième chapitre que la Personne Souveraine, vivant à jamais en Son royaume spirituel, le sanātana-dhāma, ne peut être approchée que par le service de dévotion.
Des êtres créés en ce monde, Brahmā fut le premier. Avant lui nulle créature n’y vivait ; tout n’était que vide et ténèbres jusqu’au moment où Brahma naquit dans la fleur de lotus qui poussa du nombril de Garbhodakaśāyī Viṣṇu. Garbhodakaśāyī Viṣṇu est une émanation de Kāraṇodakaśāyī Viṣṇu, lequel est Lui-même une émanation de Saṅkarṣaṇa, qui à Son tour est une émanation de Balarāma ; et Balarama est une émanation directe de Śrī Kṛṣṇa. Après la création de Brahmā, deux sortes de devas naquirent : les devas tels les quatre frères Kumāras, – Sanaka, Sanātana, Sanandana et Sanat-kumāra –, lesquels personnifient le renoncement au monde ; et les devas tels Marīci et ses descendants, destinés à jouir de ce monde. De ces deux ordres de devas furent peu à peu manifestés tous les êtres vivants, dont les hommes. Brahmā, tous les devas et tous les rākṣasas, ainsi que toute créature vivante en ce monde, doivent être tenus pour contemporains car tous naquirent à une époque relativement récente. De même qu’un nouveau-né ne peut saisir la position de son ancêtre, nul en ce monde matériel n’est à même de comprendre la position du Seigneur Suprême dans le monde spirituel, car le monde matériel n’est qu’une création récente. Bien qu’elles jouissent d’une longue durée d’existence, toutes les manifestations du monde matériel, soit le temps en lui-même, les êtres vivants, les Vedas, les éléments grossiers et subtils…, tous furent créés à un moment précis. Ainsi doit-on tenir pour récente toute chose créée ou reconnue comme un moyen de comprendre la source originelle de la création.
Voilà pourquoi nul ne peut, par les voies de réalisation spirituelle que représentent les actes intéressés, la spéculation philosophique ou le yoga des pouvoirs, approcher véritablement la source première de toute chose. Enfin lorsque la création se voit complètement annihilée, lorsque n’existent plus les Vedas ni le temps matériel, ni les éléments grossiers et subtils, et lorsque tous les êtres vivants à l’état non manifesté reposent en Nārāyaṇa, toutes ces voies d’action, créées de toutes pièces, perdent alors toute valeur, toute efficacité. Le service de dévotion, cependant, se poursuit éternellement dans le monde spirituel, lui aussi éternel. Voilà pourquoi le service de dévotion constitue le seul véritable processus de réalisation spirituelle, de réalisation de Dieu.
Śrīla Śrīdhara Svāmī a composé un verset à ce propos, verset qui exprime que la Personne Souveraine, Source suprême de toute chose, est si grande et sans limites qu’il n’est pas possible pour l’être vivant de La comprendre par un moyen matériel acquis, quel qu’il soit. Chacun doit donc implorer le Seigneur d’être éternellement engagé dans Son service de dévotion, afin de pouvoir comprendre par Sa grâce, cette Source souveraine de la création. Et cette Source, le Seigneur en Personne, Se révèle uniquement aux bhaktas. Dans le quatrième chapitre de la Bhagavad-gītā, le Seigneur dit à Arjuna : « Ô cher Arjuna, si Je t’enseigne aujourd’hui cette science très ancienne, l’art de Me connaître, c’est parce que tu es Mon ami et Mon dévot et que tu peux ainsi en percer le mystère sublime. » Ce qui revient à dire que la Source originelle de la création, la Personne Suprême échappe à nos efforts de La saisir par nos propres moyens. Il nous faut satisfaire le Seigneur par notre service de dévotion, alors seulement Se révélera-t-Il à nous ; alors seulement pourrons-nous en quelque sorte Le comprendre.
Il est différentes sortes de philosophes qui se sont efforcés de saisir la Source originelle au moyen de leurs propres élucubrations mentales. On compte en général six sortes de tels raisonneurs, que l’on regroupe sous le nom de ṣaḍ-darśana. Tous ces philosophes sont impersonnalistes, māyāvādīs. Tous s’efforcent d’établir leur propre opinion, bien qu’ils en viennent à se compromettre, à nier leurs premières théories pour affirmer que toutes pensées mènent à un même but et qu’elles sont donc toutes valables. Selon les prières des Vedas personnifiés, cependant, aucune de ces opinions n’est valide, car elles naissent d’un savoir lui-même issu du monde matériel éphémère. En vérité les māyāvādīs se sont tous écartés de la question : seul le service de dévotion donne de saisir Dieu, la Personne Suprême, la Vérité Absolue.
Certains philosophes, les mīmāṁsakas, qui ont à leur tête des sages tels que Jaimini, ont conclu que chacun doit être engagé dans des actes vertueux, prescrits par les Écritures, et que ces actes mèneront leurs auteurs, à la plus haute perfection. Mais cela se trouve contredit dans le neuvième chapitre de la Bhagavad-gītā, où Śrī Kṛṣṇa enseigne qu’à travers les actes vertueux on peut s’élever aux planètes édéniques, mais qu’aussitôt que s’épuisent les fruits de ces actes vertueux, il faut quitter plaisirs édéniques et prospérité matérielle inhérents à la vie dans les planètes supérieures pour à nouveau choir au niveau des planètes inférieures où la durée de l’existence est brève et la norme de bonheur matériel au plus bas niveau. Les mots exacts dont fait usage la Bhagavad-gītā sont : kṣīṇe puṇye martya-lokaṁ viśanti. Par suite, on ne peut tenir pour valide la conclusion des philosophes mīmāṁsakas selon laquelle les actes vertueux conduisent à la Vérité Absolue. Bien que le pur bhakta soit par nature enclin à la vertu, nul ne peut atteindre la faveur de la Personne Suprême par ses seuls actes de vertu. Ceux-ci peuvent purifier leur auteur de la souillure de l’Ignorance et de la Passion, mais cette purification sera tout naturellement obtenue par le bhakta qui s’absorbe constamment dans l’écoute du message spirituel et absolu du Seigneur, soit de la Bhagavad-gītā, du Śrīmad-Bhāgavatam ou d’autres tels Écrits. À la lumière de la Bhagavad-gītā nous comprenons que même celui qui n’est pas tout à fait parfait dans l’accomplissement d’actes vertueux, mais qui toutefois s’absorbe totalement dans le service de dévotion, doit être tenu pour bien établi sur la voie de la perfection spirituelle. La Bhagavad-gītā enseigne encore que le Seigneur Suprême guide de l’intérieur celui qui se trouve engagé dans le service de dévotion avec amour et foi. En effet le Seigneur en Personne en tant que Paramātmā, le maître spirituel sis dans le cœur de chacun, transmet au bhakta les instructions précises qui le guideront pas à pas jusqu’à Lui. La conclusion des philosophes mīmāṁsakas n’est donc pas cette vérité qui nous mène à l’entendement véritable.
Pareillement, les philosophes sāṅkhyas, métaphysiciens, ou hommes de science, étudient cette manifestation cosmique par les méthodes scientifiques qu’ils ont eux-mêmes inventées, et ne reconnaissent pas l’autorité suprême de Dieu en tant que le Créateur de la manifestation cosmique. Plutôt, ils concluent à tort que l’interaction des éléments matériels représente en elle-même la cause originelle de la création. La Bhagavad-gītā, cependant, rejette cette théorie. Il y est clairement établi que derrière l’activité cosmique se trouvent les directives de Dieu, la Personne Suprême. Ce que corrobore l’enseignement védique : sad vā saumyedam agra āsīt, l’origine de la création existait avant la manifestation cosmique. Les éléments matériels ne constituent donc pas la cause de la création. Bien qu’on les tienne pour une cause matérielle, la Cause ultime de toute chose est le Seigneur Suprême Lui-même. La Bhagavad-gītā enseigne que la nature matérielle agit donc sous les ordres de Kṛṣṇa.
La philosophie athée du sāṅkhya tire la suivante conclusion : puisque les produits de l’univers matériel sont éphémères et illusoires, leur cause première doit donc également posséder une semblable nature. Les philosophes sāṅkhyas chérissent la philosophie du néant, mais en vérité, la Personne Suprême représente la Cause originelle de toutes les causes, de sorte que l’univers cosmique constitue la manifestation temporaire de Son énergie matérielle. Une fois celle-ci annihilée, sa cause, soit l’existence éternelle du monde spirituel, se poursuit telle quelle. On qualifie donc le monde spirituel de sanātana-dhāma, de Demeure éternelle. La conclusion des philosophes sāṅkhyas ne saurait donc être tenue pour valide.
Puis viennent les philosophes conduits par Gautama et Kaṇāda. Ceux-ci ont minutieusement étudié la cause et l’effet des éléments matériels et ont conclu en dernière analyse que la combinaison des atomes constitue la cause originelle de la création. Nos hommes de science contemporains marchent également sur les traces de Gautama et de Kaṇāda, qui se firent les propagateurs de cette théorie qu’ils nommèrent paramāṇuvāda. Théorie qui, cependant, ne peut être acceptée du fait que des atomes inertes ne sauraient être la cause originelle de tout ce qui existe. Ce que corroborent la Bhagavad-gītā et le Śrīmad-Bhāgavatam, ainsi que les Vedas, où il est dit : eko nārāyaṇa āsīt ; seul Nārāyaṇa existait avant la création. Le Śrīmad-Bhāgavatam et le Vedānta-sūtra révèlent également que la cause originelle est dotée de sens et qu’elle est parfaitement consciente, directement comme indirectement, de toute chose dans la création. Dans la Bhagavad-gītā, Kṛṣṇa dit : ahaṁ sarvasya prabhavaḥ, « Je suis la Cause originelle de toute chose. » Puis : mattaḥ sarvaṁ pravartate, « de Moi tout procède. » Ainsi, peut-être les atomes forment-ils la structure première sur laquelle se fonde l’existence matérielle, mais ces atomes ont eux-mêmes été créés par Dieu. Ainsi doit-on rejeter la philosophie de Gautama et Kaṇāda.
De même, les impersonnalistes qui eurent à leur tête Aṣṭāvakra et plus tard Śaṅkarācārya, tiennent la radiance du Brahman impersonnel pour la cause souveraine de toute chose. Selon leur théorie, la manifestation matérielle est fausse et éphémère, quand la radiance du Brahman impersonnel est réalité. Théorie qui n’a guère plus de valeur que les précédentes, car le Seigneur affirme dans la Bhagavad-gītā que cette même radiance du Brahman repose sur Sa Personne. La Brahma-saṁhitā enseigne également que la radiance du Brahman n’est autre que la radiance émanant de la Forme personnelle de Śrī Kṛṣṇa. Ainsi, le Brahman impersonnel ne peut se montrer la cause originelle de la manifestation cosmique. Cette Cause originelle, c’est Govinda, la Personne Suprême, l’Infiniment parfait et conscient.
La plus dangereuse d’entre toutes les théories impersonnalistes va comme suit : lorsque Dieu descend en ce monde en tant qu’avatāra, Il accepte pour cela un corps matériel créé par les trois guṇas. Śrī Caitanya rejeta cette théorie māyāvādī et la tint pour la plus offensante de toutes. Le Seigneur Caitanya affirma que quiconque tient le Corps spirituel et absolu du Seigneur pour une création de la nature matérielle commet la plus grande offense aux pieds pareils-au-lotus de Śrī Viṣṇu. Pareillement, la Bhagavad-gītā déclare que seuls les sots et les crapules dénigrent la Personne Divine, lorsqu’Elle apparaît sous une forme humaine. À vrai dire, Kṛṣṇa, Rāma, et Śrī Caitanya parurent en ce monde comme s’Ils fussent Eux-mêmes des êtres humains.
Les Vedas personnifiés condamnèrent le concept impersonnel en le tenant pour une erreur grossière. La Brahma-saṁhitā dépeint le Corps du Seigneur en Le qualifiant d’ānanda-cinmaya-rasa. En effet, la Personne Suprême possède un Corps spirituel, qui n’a donc rien de commun avec la matière. Tout-puissant, le Seigneur peut prendre jouissance de n’importe quoi à travers n’importe quelle partie de Son Corps. Les membres d’un corps matériel ne peuvent accomplir qu’une seule fonction spécifique : les mains, par exemple, peuvent saisir et manipuler des objets, mais elles ne peuvent ni voir ni entendre. Mais parce que le Seigneur possède un Corps fait d’ānanda-cinmaya-rasa, un Corps sac-cid-ānanda-vigraha, Celui-ci est à même de jouir de n’importe quel objet et d’accomplir n’importe quelle action à l’aide de n’importe lequel de Ses membres. Tenir le Corps spirituel du Seigneur pour matériel, c’est répondre à cette tendance de faire du Seigneur l’égal de l’âme conditionnée. L’âme conditionnée, elle, revêt un corps matériel. Aussi, si l’on affirme que Dieu possède Lui aussi un corps matériel, il sera fort aisé de propager la théorie impersonnaliste selon laquelle la Personne Suprême et les êtres vivants ne font qu’une seule et même entité.
Lorsque le Seigneur apparaît en ce monde, Il déploie différents Divertissements. Mais il n’y a aucune différence entre Son Corps d’enfant, blotti contre Sa mère, Yaśodā, et Son Corps « d’adulte » lorsqu’Il combat les asuras tels Pūtanā, Tṛṇāvarta, Aghāsura… avec une force égale à celle qu’il déploya plus tard contre Dantavakra, Śiśupāla et d’autres. Dès que l’âme conditionnée transmigre à un autre corps, au sein de l’existence matérielle, elle oublie tout de son corps précédent. Mais la Bhagavad-gītā nous révèle que Kṛṣṇa, parce que doté d’un Corps sac-cid-ānanda, n’avait pas oublié qu’Il avait transmis l’enseignement de la Bhagavad-gītā au dieu Soleil quelques millions d’années auparavant. Le Seigneur porte donc également le Nom de Puruṣottama, car Il Se situe au-delà de l’existence matérielle comme spirituelle. Dire qu’Il est la Cause de toutes les causes signifie qu’Il est à la fois la Cause des mondes spirituel et matériel. Dieu, la Personne Suprême, est tout-puissant et omniscient. Le corps matériel n’est capable ni de toute-puissance ni d’omniscience ; par conséquent le Corps du Seigneur n’a certes rien de matériel. Ainsi, la théorie māyāvādī selon laquelle la Personne Suprême vient en ce monde dotée d’un corps matériel ne peut être acceptée d’aucune manière.
Nous pouvons donc conclure que toutes les théories des philosophes matérialistes sont le fruit d’une existence temporaire et illusoire, comme le sont les conclusions d’un rêve. Ces conclusions, certes, ne peuvent nous amener à l’Absolue Vérité, laquelle ne peut être réalisée qu’à travers le service de dévotion. Comme l’enseigne le Seigneur dans la Bhagavad-gītā ; bhaktyā mām abhijānāti : « À travers le service de dévotion, et seulement ainsi, on peut Me connaître tel que Je suis. » Śrīla Śrīdhara Svāmī a également composé à ce propos un fort beau verset : « Ô Seigneur aimé, laissons les autres se complaire en de fausses hypothèses et dans la spéculation aride, développant toutes sortes de théories à partir de leurs grandes thèses philosophiques. Qu’ils croupissent dans les ténèbres de l’ignorance et de l’illusion, jouissant faussement du monde comme s’ils étaient de hauts érudits, eux qui n’ont nulle connaissance de Dieu, la Personne Suprême. Quant à moi, je souhaite connaître la libération à travers le simple chant des Saints Noms du Seigneur à l’infinie beauté : Mādhava, Vāmana, Trinayana, Saṅkarṣaṇa, Śrīpati et Govinda. Que je puisse m’affranchir de la souillure de l’existence matérielle par le simple chant de ces Noms spirituels et absolus. »
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Cher Seigneur, lorsqu’un être distinct, en vient, par Ta seule grâce, à la juste conclusion concernant Ta position sublime et absolue, alors il ne se préoccupe plus des diverses théories créées de toutes pièces par les pseudo-philosophes, ces élucubrateurs. » Il s’agit là des théories spéculatives de Gautama, Kaṇāda, Patañjali et Kapila (nirīśvara). Il existe en vérité deux Kapilas : l’un, fils de Kardama Muni, est un avatāra, et l’autre, un athée d’une époque plus récente. L’athée Kapila est souvent confondu avec l’avatāra apparu comme le fils de Kardama Muni à l’ère du Svāyambhuva Manu.
Śrī Kapila, l’avatāra, apparut dans des temps beaucoup plus anciens, quand le « faux Kapila » parut à l’époque récente du Manu Vaivasvata. Revenons à la philosophie māyāvādī ; selon celle-ci le monde manifesté, l’univers de matière, serait mithyā ou māyā, faux. La prédication māyāvādī se fonde sur ces quelques mots : brahma satyaṁ jagan mithyā, seule est réelle la radiante du Brahman ; la manifestation cosmique, elle, est illusoire et fausse. La philosophie vaiṣṇava, toutefois, révèle que c’est Dieu, la Personne Souveraine, qui engendre la manifestation cosmique. Le Seigneur, dans la Bhagavad-gītā, enseigne qu’Il pénètre au sein du monde matériel à travers l’une de Ses émanations plénières : c’est ainsi qu’Il crée l’univers. Les Vedas expliquent encore que ce monde temporaire, ou asat, représente également une émanation du sat suprême, la Vérité Absolue. Le Vedānta-sūtra nous permet en outre de comprendre que tout a émané du Brahman Suprême. Ainsi, loin de tenir cette manifestation cosmique pour fausse, le philosophe vaiṣṇava voit toute chose en ce monde en relation avec le Seigneur Suprême.
Śrīla Rūpa Gosvāmī explique fort bien cette conception du monde matériel lorsqu’il dénonce le faux renoncement de ceux qui proclament que ce monde est faux ou illusoire, sans savoir qu’il est également une manifestation du Seigneur Suprême. Les vaiṣṇavas, eux, sont libres de l’attachement à ce monde en tant qu’objet de plaisir pour les sens. Les vaiṣṇavas ne chérissent aucunement le plaisir des sens et ne conçoivent donc aucun attachement pour l’action matérielle. Si bien qu’ils n’agissent dans ce monde que selon les principes régulateurs énoncés dans les Vedas. Puisque Dieu, la Personne Suprême, représente la Cause originelle de toutes choses, le vaiṣṇava voit tout en relation avec Kṛṣṇa, même en ce monde ; de sorte que ce haut savoir rend toute chose spirituelle. Ce qui revient à dire que tout, dans le monde matériel, est déjà spirituel, mais notre manque de savoir nous le fait percevoir sous un aspect matériel.
Les Vedas personnifiés donnèrent à ce propos l’exemple de chercheurs d’or qui ne rejetteront jamais des pendants d’oreilles, des bracelets ou tout autre objet en or du simple fait qu’ils revêtent une forme différente de celle de l’or tel qu’on le trouve dans son état originel. Pareillement, tous les êtres distincts représentent des fragments du Seigneur Suprême, dotés des mêmes attributs que Lui, mais revêtant de multiples formes au sein des huit millions quatre cent mille espèces, comme différents bijoux façonnés à partir du même or. Pareil à un chercheur d’or, le vaiṣṇava, fort du savoir que tous sont qualitativement égaux à la Personne Suprême, voit tous les êtres vivants comme des serviteurs éternels de Dieu. Un vaiṣṇava se voit donc offrir sans cesse l’occasion de servir le Seigneur Suprême, par le simple fait de secourir les êtres fourvoyés, de les éduquer dans la conscience de Kṛṣṇa et de les conduire à leur demeure originelle, auprès de Dieu. Comprenons ici que les êtres conditionnés voient leur mental troublé par les trois guṇas, si bien qu’ils transmigrent d’un corps à un autre comme dans un rêve. Toutefois, lorsque leur conscience se métamorphose en conscience de Kṛṣṇa, ils ont tôt fait d’établir Kṛṣṇa en leur cœur, et pavent ainsi la voie qui mène à la libération.
On trouve partout mentionné dans les Vedas, que le Seigneur Suprême et les êtres vivants possèdent une même nature spirituelle – cetana. Ce que vient confirmer le Padma Purāṇa, où il est précisé qu’il existe deux sortes d’êtres spirituels : le jīva et le Seigneur Suprême. Depuis Brahmā jusqu’à la plus petite fourmi, tous sont jīvas, quand le Seigneur demeure, Lui, le Viṣṇu Suprême, ou Janārdana, doté de quatre bras. Le mot ātmā ne peut être utilisé que pour indiquer Dieu, la Personne Suprême, mais du fait que les êtres distincts constituent Ses fragments, ce mot peut parfois aussi les désigner. Ceux-ci sont donc qualifiés de jīvātmā et le Seigneur Suprême de Paramātmā. Ensemble, le Paramātmā et les jīvātmās se trouvent dans l’univers matériel, ce qui prouve que ce monde existe à des fins autres que le plaisir des sens. Le concept d’une existence axée sur le plaisir des sens est certes illusion, mais celui du service offert par le jīvātmā au Paramātmā, même en ce monde, n’a pour sa part rien d’illusoire. Une personne qui a conscience de Kṛṣṇa demeure parfaitement consciente de cette vérité et ne tient donc pas le monde matériel pour faux ; bien plutôt, elle y agit dans la réalité du service spirituel et absolu offert au Seigneur. Ce qui explique qu’en ce monde, le bhakta voit dans toute circonstance une occasion de servir le Seigneur. Il ne rejette rien du fait qu’il s’agisse de matière, mais fait usage de tout au service du Seigneur. Ainsi, le bhakta se trouve-t-il toujours établi au niveau spirituel : tout ce dont il fait usage, objet désormais au service du Seigneur, devient alors sanctifié.
Śrīdhara Svāmī a composé à ce propos un beau verset : « J’adore Dieu, la Personne Souveraine, qui Se manifeste à jamais comme la réalité, même en ce monde que certains tiennent pour faux. » Le concept qui veut que ce monde matériel soit faux n’est que la conséquence d’un manque de savoir ; de fait, le bhakta avancé dans la conscience de Kṛṣṇa voit le Seigneur Suprême en toutes choses. Telle est la juste révélation de l’aphorisme védique : sarvaṁ khalv idaṁ brahma, tout est Brahman.
Et les Vedas personnifiés de poursuivre : « Cher Seigneur, les hommes d’intelligence moindre empruntent diverses voies de réalisation spirituelle, mais en vérité, ils n’ont aucune chance de se voir purifiés de la souillure matérielle ou de mettre un terme au cycle incessant des morts et des renaissances à moins qu’au plus profond d’eux-mêmes ils ne deviennent purs bhaktas. Ô Seigneur, tout repose sur Tes puissances diverses et Tu donnes soutien à tous les êtres. Ainsi parlent les Vedas : eko bahūnāṁ yo vidadhāti kāmān. Ta Grâce est donc le Soutien et le Protecteur de tous les êtres vivants – devas, hommes et bêtes. Chacun est par Toi maintenu, Toi qui encore Te trouves en leur cœur. Oui, Tu es la Racine de la création tout entière. Voilà pourquoi ceux qui s’engagent dans Ton service de dévotion, sans jamais dévier, Te vouent à jamais leur adoration. De tels bhaktas nourrissent, en vérité, les racines de l’arbre universel. À travers le service de dévotion, on ne satisfait pas seulement Dieu, l’Être Souverain, mais aussi tous les autres, parce que chacun trouve en Lui son soutien. Réalisant l’omniprésence de la Personne Suprême, le bhakta est, d’entre tous, le philanthrope et l’altruiste le plus efficace. De tels purs bhaktas, profondément engagés dans la conscience de Kṛṣṇa, échappent fort aisément au cycle des morts et des renaissances successives, jusqu’à monter sur la tête de la mort. »
Le bhakta n’a jamais peur de mourir ou de changer de corps ; sa conscience s’est métamorphosée en conscience de Kṛṣṇa et même s’il ne retourne pas auprès de Dieu, même s’il doit se réincarner dans un autre corps matériel, pour lui rien n’est à craindre. Bharata Mahārāja en est l’exemple vivant. Bien qu’à la fin de sa vie il dut prendre la forme d’un cerf, lorsque son existence de cerf fut à son tour terminée, il obtint un corps dans lequel il s’affranchit parfaitement de toute souillure matérielle et fut élevé au Royaume de Dieu. La Bhagavad-gītā affirme par conséquent que jamais le bhakta ne périt, car le chemin qui le conduit au Royaume spirituel, en sa demeure originelle auprès de Dieu, est des plus sûrs. Même si le bhakta vient à choir, sa conscience de Kṛṣṇa, impérissable, l’élèvera progressivement jusqu’à ce qu’il retourne à Dieu. Non seulement le pur bhakta sanctifie sa propre existence mais encore celle de tous ceux qu’il accepte pour disciples : tous peuvent pénétrer sans mal dans le Royaume de Dieu. Non seulement surmonte-t-il la mort, mais par sa grâce, ses disciples peuvent aisément parvenir au même but. La puissance du service de dévotion est telle que le pur bhakta peut électriser ceux qu’il rencontre par ses instructions spirituelles sur l’art de franchir l’océan de l’ignorance.
Les instructions qu’un pur bhakta prodigue à son disciple sont toutes fort simples. Nul n’éprouve de difficulté à se garder dans son sillage. Quiconque marche sur les traces de la lignée disciplique d’illustres bhaktas comme Brahmā, Śiva, Nārada, les Kumāras, Manu, Kapila, les rois Prahlāda, Janaka et Bali, Śukadeva Gosvāmī, Yamarāja et Bhīṣma, trouve grande ouverte la porte de la libération. D’autre part, les abhaktas, qui empruntent des voies de réalisation incertaines, telles que le jñāna, le yoga et le karma, on les tient pour encore souillés par la matière. Ceux-là, bien qu’ils semblent évolués spirituellement, restent incapables de se libérer eux-mêmes, que dire alors de libérer leurs adeptes ? On compare ces abhaktas à des animaux enchaînés, car ils ne peuvent dépasser les rites et les formalités propres à un type de foi particulier. La Bhagavad-gītā les condamne par les mots veda-vāda-rata : ils ne peuvent comprendre que les Vedas traitent de l’action placée sous le signe des trois guṇas, soit la Vertu, la Passion et l’Ignorance.
Dans la Bhagavad-gītā, Śrī Kṛṣṇa conseille à Arjuna d’aller au-delà des devoirs prescrits dans les Vedas et d’adopter la conscience de Kṛṣṇa, le service de dévotion : nistrai-guṇyo bhavārjuna, « cher Arjuna, transcende les rites védiques. » Et cette perfection spirituelle et absolue qui s’étend au-delà des rites védiques, elle n’est autre que le service de dévotion. Dans la Bhagavad-gītā, le Seigneur affirme avec clarté que ceux qui s’engagent dans Son service de dévotion pur sont, en vérité, établis dans le Brahman. La véritable réalisation du Brahman est synonyme de conscience de Kṛṣṇa et de service dévotionnel. Aussi les bhaktas sont-ils de véritables brahmacārīs, en ce que leurs actes s’accomplissent toujours en conscience de Kṛṣṇa, dans le service de dévotion.
Le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa incarne donc un appel perpétuel à tous les spiritualistes et hommes de religion, appel les conviant de par son authenticité à joindre un Mouvement où l’on peut apprendre à aimer Dieu et dépasser ainsi tout rite ainsi que toute formalité scripturaire. Celui qui ne peut aller au-delà de principes religieux stéréotypés, on le compare à un animal enchaîné par son maître. Toute religion a pour but de saisir la nature de Dieu et d’éveiller notre amour latent pour Lui. Si l’on n’a fait qu’adhérer aux rituels et aux formules religieuses, mais sans s’élever au niveau de l’amour de Dieu, on ne vaut alors guère mieux qu’un animal enchaîné. Bref, on ne peut sans conscience de Kṛṣṇa se libérer de la souillure inhérente à l’existence matérielle.
C’est à Śrīla Śrīdhara Svāmī que l’on doit ce beau verset : « Je laisse à d’autres l’accomplissement de rudes austérités, à d’autres qu’ils se jettent du sommet des montagnes pour mettre fin à leurs jours. Je laisse à d’autres les nombreux pèlerinages effectués dans l’espérance du salut, ou les profondes études philosophiques et celles des Écrits védiques. Je laisse aux yogīs leur service méditatif et aux diverses sectes les vaines discussions qui doivent déterminer d’entre elles laquelle est la meilleure ! Car le fait est qu’à moins d’être conscient de Kṛṣṇa, à moins d’être engagé dans le service de dévotion, à moins de connaître la miséricorde du Seigneur Suprême, personne ne peut traverser l’océan du monde matériel. » L’homme d’intelligence abandonnera donc tout concept stéréotypé pour joindre le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa et y connaître la véritable libération.
Les Vedas personnifiés poursuivirent leurs prières : « Cher Seigneur, les Vedas dépeignent Ton aspect impersonnel : Tu n’as pas de mains, mais Tu prends tous les sacrifices qui Te sont offerts ; Tu n’as pas de jambes, mais Tu peux marcher plus rapidement qu’aucun autre. Tu n’as pas d’yeux, mais Tu peux voir partout dans le passé, le présent et le futur. Bien que dépourvu d’oreilles, Tu peux entendre toutes paroles. Bien que tu n’aies de mental, Tu connais tous les êtres ainsi que leurs actes passés, présents et futurs. Pourtant, nul ne Te connaît, Toi. Tu es donc suprême et le plus ancien de tous. »
On trouve ailleurs dans les Vedas : « Tu n’es tenu d’accomplir aucun acte. Si grande la perfection de Ton savoir et Ta puissance que tout se manifeste par le simple jeu de Ta volonté. Nul ne T’est égal ou supérieur, et tous agissent comme Tes serviteurs éternels. » Ces affirmations védiques décrivent donc que l’Absolu n’a pas de jambes, pas de mains, d’yeux, d’oreilles ou de mental, mais peut pourtant agir à travers Ses puissances et ainsi combler les besoins de tous les êtres vivants. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, Ses mains et Ses jambes sont partout : Il est omniprésent. Les mains, les jambes, les oreilles et les yeux de tous les êtres vivants agissent et se meuvent sous la direction de l’Âme Suprême, sise dans le cœur de chacun. À moins que ne soit présente l’Âme Suprême, il est impossible à nos mains et jambes d’avoir une activité quelconque. Par contre, Dieu, la Personne Suprême, est si grand, indépendant et parfait, que même sans yeux, jambes ou oreilles, Il ne dépend point d’autrui pour accomplir Ses Actes. À l’opposé, tous dépendent de Lui pour que puissent agir les différents organes des sens. À moins que l’être vivant ne soit inspiré et dirigé par l’Âme Suprême, il ne peut agir.
En fait, la Vérité Absolue dans Son aspect ultime est Dieu, la Personne Suprême. Mais parce que les matérialistes grossiers ne peuvent voir qu’Il agit à travers Ses différentes puissances, ces derniers Le tiennent pour impersonnel. Par exemple, chacun peut observer le travail artistique personnel qui apparaît dans la peinture d’une fleur et on peut comprendre que l’ajustement des couleurs, la forme, etc., ont nécessité l’attention minutieuse de l’artiste. Le travail de l’artiste est clairement suggéré par la peinture d’un bouquet de fleurs épanouies. Mais le matérialiste grossier, sans voir la main de Dieu derrière des œuvres d’art aussi parfaites que les fleurs réelles qui s’épanouissent dans la nature, conclut que la Vérité Absolue est impersonnelle. En vérité, l’Absolu est personnel, mais indépendant. Il n’a pas besoin de prendre Lui-même un pinceau et de la couleur pour peindre les fleurs : Ses puissances agissent avec tant de merveilles qu’il semble que les fleurs sont apparues sans l’aide d’un artiste. La vision impersonnelle de la Vérité Absolue n’est acceptée que par les hommes de moindre intelligence car à moins d’être engagé dans le service du Seigneur, on ne peut comprendre comment l’Être Suprême agit ; on ne peut même pas connaître Son Nom. Tout ce qui touche aux Activités et aux Attributs personnels de l’Être Suprême est révélé au bhakta du fait qu’il se montre toujours prêt à servir le Seigneur avec amour.
La Bhagavad-gītā enseigne clairement : bhoktāraṁ yajña-tapasām, le Seigneur est le Bénéficiaire de toutes formes de sacrifices et des fruits de toutes les austérités. Puis Kṛṣṇa dit encore : sarva-loka-maheśvaram, « Toutes les planètes M’appartiennent ». Telle est donc la position de Dieu, la Personne Suprême. Bien qu’Il demeure à Vṛndāvana où Il prend plaisir à vivre en compagnie de Ses amis éternels, les gopīs et les pâtres, Ses puissances agissent sur Son ordre partout dans la création et ne perturbent pas Ses Divertissements éternels.
Seulement à travers le service de dévotion pourra-t-on comprendre comment Dieu, la Personne Suprême, par Ses puissances inconcevables, agit simultanément de façon impersonnelle et personnelle. Il agit tel l’empereur suprême qui a sous ses ordres des milliers de rois et de dirigeants. Dieu, la Personne Suprême, est le Seigneur et Maître suprême et indépendant ; tous les devas y compris Brahmā, Śiva, Indra, le roi des planètes édéniques, le souverain qui règne sur la lune et le dieu Soleil, agissent sous Ses ordres. Les Vedas confirment que si le soleil brille, si le vent souffle et si le feu répand sa chaleur, c’est par crainte de Dieu, la Personne Suprême. La nature matérielle produit toutes sortes d’objets animés et inanimés en ce monde, mais aucun de ceux-ci ne peut agir indépendamment ou créer sans la volonté du Seigneur ; tous en sont tributaires, tout comme les rois qui paient un impôt annuel à l’empereur auquel ils se trouvent subordonnés.
Les Vedas expliquent que chaque être vivant ne vit qu’en mangeant les reliefs de la nourriture offerte à Dieu, la Personne Suprême. Lors de grands sacrifices, il faut que Nārāyaṇa soit présent en tant que divinité suprême du sacrifice, et après le sacrifice, les reliefs de nourriture doivent être distribués aux devas. C’est ce qu’on appelle le yajña-bhāga : chaque deva reçoit ainsi sa part de yajña-bhāga, qu’il accepte en tant que prasādam. Par conséquent, les devas ne sont pas indépendants dans leur puissance : il leur est assigné diverses fonctions par la volonté de Dieu, la Personne Suprême, et ils ne mangent que le prasādam, les restes sanctifiés des offrandes faites au Seigneur lors des sacrifices. Ils se soumettent à Ses ordres afin de Le servir exactement selon Ses désirs. Dieu, la Personne Suprême, dirige tout et Ses ordres sont exécutés par les autres, Son aspect impersonnel n’étant qu’une apparence. Notre approche bassement matérialiste ne nous permet pas de concevoir comment la Personne Suprême Se trouve au-delà des agissements impersonnels de la nature matérielle. Le Seigneur explique donc dans la Bhagavad-gītā qu’il n’est rien qui Lui soit supérieur et que le Brahman impersonnel, simple manifestation de Sa radiance personnelle, Lui est subordonné. Citons ici un très joli verset de Śrīpāda Śrīla Śrīdhara Svāmī : « J’offre mon hommage respectueux à Dieu, la Personne Suprême, sous la direction et la volonté de qui agissent tous les sens matériels malgré qu’Il en soit Lui-même dépourvu. Puissance suprême des sens matériels, Il est tout-puissant, Lui l’Auteur souverain de tout. Chacun, par conséquent, doit Lui offrir son adoration. C’est à Lui, la Personne Suprême, que j’offre mon hommage respectueux. »
Kṛṣṇa déclare Lui-même dans la Bhagavad-gītā qu’Il est Puruṣottama, la Personne Suprême. Puruṣa signifie « personne » et uttama « suprême » ou « purement spirituel ». Toujours dans la Bhagavad-gītā, Il dit Se trouver au-delà de tous les êtres conscients et inconscients, d’où Son Nom de Puruṣottama. Ailleurs, le Seigneur explique que tout comme l’air se répand partout dans l’espace, tous les êtres se situent en Lui et agissent sous Sa volonté.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Cher Seigneur, Tu Te montres égal envers tous les êtres et ne favorises personne. En tant que fragments de Ta Personne, ils connaissent plaisir ou souffrance en différentes conditions d’existence. Ils dansent telles des étincelles sur un feu ardent, et Tu sers de soutien à leur danse. Tu leur prodigues tout ce qu’ils désirent, et cependant Tu n’es en rien responsable du plaisir ou de la souffrance qu’ils connaissent en ce monde. Il existe différentes sortes d’êtres vivants – devas, humains, animaux, arbres, oiseaux, germes, vers, insectes et êtres aquatiques – mais leur vie à tous repose sur Ta Personne, qu’ils en jouissent ou qu’ils l’endurent. On les divise en deux catégories : les nitya-muktas, à jamais libérés, et les nitya-baddhas, les êtres conditionnés. Les premiers vivent dans le monde spirituel et les seconds dans le monde matériel.
« Dans le monde spirituel, le Seigneur ainsi que les êtres vivants sont manifestés dans leur condition originelle, tel le feu ardent et ses étincelles bien vives. Mais dans le monde matériel, bien que le Seigneur y soit partout présent sous Son aspect impersonnel, les êtres ont oublié leur conscience de Kṛṣṇa, tout comme des étincelles qui parfois jaillissent hors du brasier perdent ainsi leur brillance originelle. Il arrive que certaines étincelles tombent sur l’herbe sèche et allument ainsi un autre grand feu : tels sont les purs bhaktas qui montrent compassion envers les êtres misérables et innocents. Ils allument la conscience de Kṛṣṇa dans le cœur des âmes conditionnées, et ainsi le feu ardent du monde spirituel se voit manifesté même en ce monde. D’autres étincelles tombent dans l’eau : elles perdent aussitôt leur éclat naturel et s’éteignent presque ; tels sont les êtres vivants qui prennent naissance parmi les bas matérialistes et qui perdent ainsi presque complètement leur conscience de Kṛṣṇa originelle. D’autres étincelles encore tombent sur le sol et hésitent entre la combustion et l’extinction. Ainsi donc, certains êtres sont dépourvus de conscience de Kṛṣṇa, d’autres sont solidement établis dans la conscience de Kṛṣṇa, et d’autres sont à mi-chemin entre les deux. Les devas des planètes supérieures, tels que Brahmā, Indra, Candra, le dieu Soleil ainsi que d’autres, sont tous conscients de Kṛṣṇa. Les humains se situent entre les devas et les animaux ; ainsi certains sont-ils plus ou moins conscients de Kṛṣṇa et d’autres complètement oublieux. Les êtres de troisième ordre – les animaux, les plantes, les arbres et les êtres aquatiques – ont tout à fait oublié la conscience de Kṛṣṇa. Cet exemple des étincelles que citent les Vedas est fort approprié pour comprendre la condition des différentes catégories d’êtres vivants. Néanmoins au-dessus de tous Se trouve Dieu, la Personne Suprême, Kṛṣṇa, Puruṣottama, qui est à jamais libre de toute condition matérielle.
« On demandera peut-être quel hasard a pu faire choir les êtres vivants en différentes conditions d’existence. Il faut d’abord comprendre que le hasard n’exerce aucune influence sur les êtres vivants : il n’agit que pour les objets sans vie. Selon les Écrits védique, les êtres sont dotés de connaissance et portent ainsi le nom de cetana, qui signifie conscient ou connaissant. Leur situation en différentes conditions d’existence n’est donc pas accidentelle mais déterminée par leur propre choix, car ils ont la connaissance. Dans la Bhagavad-gītā, le Seigneur dit : « Laisse là toute chose et abandonne-toi simplement à Moi. » Cette voie qui permet de réaliser Dieu, la Personne Suprême, est ouverte à tous, mais il revient ensuite à chacun de l’accepter ou de la rejeter. Dans les dernières pages de la Bhagavad-gītā, Śrī Kṛṣṇa déclare sans détours à Arjuna : « Mon cher Arjuna, Je t’ai maintenant tout exposé. Libre à toi maintenant de choisir. » De même, les êtres vivants qui sont descendus en ce monde ont eux-mêmes choisi de goûter aux plaisirs matériels. Ce n’est point Kṛṣṇa qui les a envoyés ici-bas. Le monde matériel est créé pour satisfaire ceux qui désirent abandonner le service éternel du Seigneur et devenir eux-mêmes les maîtres et bénéficiaires suprêmes de toutes choses. Selon la philosophie vaiṣṇava, lorsqu’un être vivant désire satisfaire ses sens et oublie le service du Seigneur, il se voit placé dans le monde matériel, où il agit alors librement selon son désir et se crée ainsi des conditions d’existence qui feront son bonheur ou son malheur. Il nous faut bien savoir que le Seigneur et les êtres vivants sont éternellement conscients et qu’aucun d’eux ne connaît la naissance ou la mort. Lorsque la création a lieu cela ne signifie pas que les êtres vivants sont alors créés. Le Seigneur crée ce monde matériel afin d’offrir aux âmes conditionnées une chance de s’élever à un niveau supérieur, celui de la conscience de Kṛṣṇa. Celles qui ne profitent pas de cette opportunité pénètrent dans le Corps de Nārāyaṇa pour y demeurer dans un état de sommeil profond jusqu’à une prochaine création.
« L’exemple de la saison des pluies est fort approprié. Les pluies saisonnières sont considérées comme un agent de création, car lorsqu’elles arrosent un sol fertile, elles permettent l’apparition de toutes sortes de plantes. Pareillement, dès que s’opère la création par le regard que le Seigneur porte sur la nature matérielle, les êtres vivants apparaissent au sein des diverses conditions de vie auxquelles ils sont destinés, telle une végétation variée poussant après les pluies. Malgré son unicité, la pluie suscite l’apparition de plants variés bien qu’elle tombe de façon uniforme sur toute la surface d’un champ, on verra pousser diverses sortes de végétaux de formes et d’aspects variés, selon les graines qui ont été plantées. De même, les graines de nos désirs sont variées ; chaque être vivant chérit différentes sortes de désirs, et ceux-ci représentent la semence qui causera sa naissance et sa croissance dans une forme de corps donnée. Ce qu’explique Rūpa Gosvāmī par les mots pāpa-bīja. Pāpa signifie pécheur et tous nos désirs matériels doivent être tenus pour pāpa-bīja, soit les germes du péché. La Bhagavad-gītā enseigne que notre désir coupable réside en ce que nous ne nous abandonnons pas au Seigneur Suprême. Ce dernier déclare donc : « Toutes les suites de tes fautes, Je t’en affranchirai. » Ces désirs pécheurs se manifestent dans les diverses formes de corps ; nul ne peut donc accuser le Seigneur Suprême de partialité lorsqu’Il attribue à un tel un certain type de corps et à tel autre un autre type de corps. Tous les corps correspondant aux huit millions quatre cent mille formes de vie sont attribués selon les pensées de chaque être vivant. Dieu, la Personne Suprême, Puruṣottama, ne fait par-là que leur accorder une chance d’agir selon leurs désirs. Les êtres vivants agissent donc en tirant parti des facilités offertes par le Seigneur.
« Dans un même temps, les êtres sont nés du Corps spirituel et absolu du Seigneur. Cette relation qui unit le Seigneur et les êtres vivants se trouve expliquée dans les Écrits védiques, qui enseignent que le Seigneur Suprême est le soutien de tous Ses enfants, leur donnant tout ce qu’ils désirent. De même, dans la Bhagavad-gītā, le Seigneur dit : « De tous les êtres, Je suis le Père, qui donne la semence. » Il est fort simple de comprendre que le père engendre les enfants mais que ces derniers agissent selon leurs propres désirs. Le père n’est donc jamais responsable du futur de ses enfants. Chacun d’entre eux peut tirer profit des instructions et des biens du père, mais bien qu’héritage et instructions demeurent égaux pour tous les enfants, ils mèneront tous une vie différente selon leurs désirs variés et connaîtront ainsi bonheur ou malheur.
« Les enseignements de la Bhagavad-gītā sont pour tous les mêmes : chacun doit s’abandonner au Seigneur Suprême qui veillera alors sur cette âme soumise et la protégera des suites de ses fautes. Les conditions d’existence au sein de la création du Seigneur se trouvent offertes avec égalité à tous les êtres vivants. Quoi qu’il existe sur terre, dans l’eau ou dans le ciel, est donné à tous de façon égale. Parce que tous sont fils du Seigneur Suprême, tous peuvent jouir des facilités matérielles offertes par Lui ; mais les êtres infortunés se créent des conditions d’existence défavorables en se battant les uns contre les autres. La responsabilité de cette lutte et de ces situations favorables ou défavorables repose sur les êtres vivants et non sur Dieu, la Personne Suprême. Voilà pourquoi si tous les êtres tirent parti des instructions du Seigneur telles qu’Il les donne dans la Bhagavad-gītā et développent leur conscience de Kṛṣṇa, leur existence deviendra sublime et ils pourront retourner à Dieu.
« On pourra contester que puisque le monde matériel est créé par le Seigneur, Il est donc responsable des conditions de vie qui y règnent. Certes, Il est, de façon indirecte, responsable de la création et du maintien de ce monde matériel, mais jamais des différentes situations dans lesquelles se trouvent les êtres vivants. La création de ce monde par le Seigneur est comparée à la création de la végétation par les nuages. Lors de la saison des pluies, les nuages suscitent l’apparition de différentes sortes de plantes. Ils déversent leurs eaux sur la Terre, mais ne la touchent jamais directement. De même, le Seigneur crée ce monde matériel d’un simple regard sur l’énergie matérielle, ce que confirment les Vedas : Il jeta Son regard sur la nature matérielle, et ainsi s’accomplit la création. La Bhagavad-gītā confirme également que par Son simple regard spirituel et absolu sur la nature matérielle, le Seigneur crée toute une variété d’entités animées et inanimées, vivantes et mortes.
« La création de l’univers matériel peut donc être tenue pour l’un des Divertissements du Seigneur, et cela parce qu’elle a lieu lorsqu’Il le désire. Ce désir de Dieu, la Personne Suprême, représente également une miséricorde extrême de Sa part, car Il donne l’occasion aux âmes conditionnées de retrouver leur conscience originelle et de retourner ainsi à Dieu. Nul ne peut donc blâmer le Seigneur Suprême pour la création de ce monde.
« Cette discussion nous donne une claire compréhension de la différence séparant les impersonnalistes des personnalistes. Le concept impersonnel recommande que l’on se fonde dans l’existence du Suprême, et la philosophie nihiliste que l’on ramène au vide toute variété matérielle. Ces deux philosophies sont appelées māyāvadas. Certes, la manifestation cosmique connaît une fin et se trouve réduite à néant lorsque les êtres vivants se fondent dans le Corps de Nārāyaṇa pour y demeurer jusqu’à une nouvelle création et si l’on peut qualifier cette situation d’impersonnelle, elle n’est toutefois pas éternelle. La fin de la variété matérielle et la fusion des êtres vivants dans le Corps de l’Absolu ne sont point des étapes permanentes car à nouveau la création se manifestera et les êtres vivants qui se fondent dans le Corps de l’Absolu sans avoir développé leur conscience de Kṛṣṇa réapparaîtront dans la nouvelle création. La Bhagavad-gītā confirme le fait que le monde matériel est sans cesse créé puis annihilé. Ce cycle se poursuit perpétuellement, et les âmes conditionnées dénuées de conscience de Kṛṣṇa reviennent encore et encore dans la création matérielle à chaque nouvelle manifestation. Que les âmes conditionnées saisissent cette occasion pour développer leur conscience de Kṛṣṇa sous les instructions directes du Seigneur, et elles se verront alors élevées jusqu’au monde spirituel pour ne plus avoir à revenir en ce monde. Il est donc dit que les adeptes de la philosophie du vide et les impersonnalistes ne sont pas dotés d’une grande intelligence car ils ne prennent pas refuge sous les pieds pareils-au-lotus du Seigneur. Du fait de leur manque d’intelligence, ces impersonnalistes et nihilistes se soumettent à diverses austérités, soit pour atteindre l’état du nirvāṇa – où l’on met un terme à l’existence matérielle – soit pour connaître l’unité avec l’Absolu en se fondant dans le Corps du Seigneur. Tous ceux-là choient à nouveau en ce monde car ils négligent les pieds pareils-au-lotus du Seigneur. »
Après avoir étudié tous les Écrits védiques et écouté toutes les autorités en matière de spiritualité, Kṛṣṇadāsa Kavirāja Gosvāmī, l’auteur du Caitanya-caritāmṛta, a établi que Kṛṣṇa est le seul Maître Souverain et que tous les êtres vivants sont Ses serviteurs éternels. Son affirmation se trouve confirmée dans les prières des Vedas personnifiés. Nous conclurons donc que chacun se trouve sous le contrôle de Dieu, que chacun sert sous la direction souveraine du Seigneur, et que chacun craint la Personne Suprême. C’est par crainte du Seigneur que les activités sont accomplies comme il se doit. De par leur position naturelle, tous les êtres Lui sont subordonnés mais Il ne Se montre pourtant en rien partial envers qui que ce soit. Il est tel le ciel sans frontières. Tout comme les étincelles dansent dans le feu, tous les êtres sont comme des oiseaux volant dans l’azur infini. Chacun vole à une certaine hauteur selon ses propres capacités ; mais le ciel, lui, n’a rien à voir dans cette diversité d’aptitudes. Dans la Bhagavad-gītā, le Seigneur confirme qu’Il accorde différentes positions à chaque être vivant en proportion de leur abandon à Sa Personne. Cette récompense relative de Dieu aux êtres vivants n’a rien de partial. Ainsi donc, bien que ces derniers se situent à divers niveaux, en différentes sphères, en différentes formes de vie, tous se trouvent toujours sous le contrôle de Dieu, la Personne Suprême, Lequel n’est cependant jamais responsable de leurs différentes conditions d’existence. Il est donc insensé et illusoire que de se penser l’égal du Seigneur Suprême et encore plus sot de penser qu’il est impossible de voir Dieu. Chacun Le perçoit sous un aspect différent : le théiste voit Dieu comme la Personne Suprême, Kṛṣṇa, qu’il chérit par-dessus tout et l’athée voit la Vérité Absolue sous les traits de la mort implacable.
Les Vedas personnifiés poursuivirent leurs prières : « Ô Seigneur, nous comprenons d’après l’enseignement védique que Tu es le Maître Suprême et que tous les êtres vivants Te sont subordonnés. En effet, on qualifie Dieu ainsi que les êtres vivants de nityas, d’éternels ; ils sont donc identiques du point de vue qualitatif ; cependant, le nitya unique, le Seigneur Suprême, règne sur les nityas multiples. L’être distinct vit dans le corps accompagné du Maître Suprême, de l’Âme Suprême auquel il demeure subordonné. Tel est le verdict des Vedas. Si l’âme individuelle n’était pas sous la dépendance de l’Âme Suprême, comment pourrait-on alors expliquer la version védique qui veut que l’être vivant transmigre d’un corps à un autre, jouissant ou souffrant des suites de ses actes passés ? Parfois l’être se voit promu à un niveau supérieur d’existence et parfois dégradé à un niveau inférieur. Ainsi, les âmes conditionnées se trouvent-elles à la fois sous le contrôle du Seigneur Suprême et de la nature matérielle. Cette relation qui unit les âmes au Seigneur comme des serviteurs à leur maître démontre indiscutablement que l’omniprésence de l’Âme Suprême ne saurait être partagée par les êtres distincts en aucune circonstance, sinon elles ne pourraient être subordonnées. La théorie selon quoi l’Âme Suprême et l’âme distincte seraient identiques s’avère donc une conclusion impure, rejetée par tout être sensible. Il faut bien plutôt s’efforcer de comprendre ce qui différencie l’Être éternel suprême des êtres éternels subordonnés. »
Et les Vedas personnifiés de conclure : « Ô Seigneur, Tu es éternel comme le sont également les dhruvas limités, les êtres vivants. La forme de l’Éternel sans limites est parfois représentée par la forme universelle, et les Écrits védiques tels que les Upaniṣads décrivent très clairement la forme de l’Éternel dans Son aspect limité : l’âme distincte mesure le dix-millième de la pointe d’un cheveu. On dit du Brahman qu’il est plus grand que le plus grand mais aussi – et ceci s’applique aux êtres distincts, fragments éternels de Dieu – plus petit que le plus petit. À l’aide de nos sens matériels, nous ne pouvons percevoir ni le Suprême, infiniment grand, ni l’âme individuelle, infiniment petite. Il nous faut donc comprendre leur nature respective des sources autorisées que forment les Écrits védiques. Ceux-ci révèlent que la taille de l’Âme Suprême, sise dans le corps, équivaut à un pouce. On demandera alors comment l’Âme Suprême peut se trouver dans le cœur d’une fourmi ! Mais sachons bien que la dimension de ce pouce est proportionnelle au corps de chaque être. On ne peut donc jamais tenir l’Âme Suprême et l’âme distincte pour une seule et même personne bien que toutes deux se trouvent ensemble dans le corps matériel. L’Âme Suprême accompagne dans le cœur l’âme distincte afin de lui servir de guide. Bien que toutes deux soient dhruvas, ou éternelles, l’être infime reste toujours sous la direction de l’Être Suprême.
« On pourra avancer que si les êtres vivants sont nés de la nature matérielle, ils doivent tous être égaux et indépendants. Dans les Écrits védiques, cependant il est dit que Dieu, la Personne Suprême, féconde la nature matérielle où se manifestent alors les êtres vivants. L’apparition des êtres distincts n’est donc pas due à la seule nature matérielle, de même qu’un enfant mis au monde par une femme n’a pas été engendré par elle seule. La femme est d’abord fécondée par l’homme et l’enfant ainsi conçu est un fragment, une émanation de l’homme. Ainsi, bien que la nature semble engendrer les êtres vivants, elle ne le fait pas indépendamment. Leur présence est due à la fécondation de la nature matérielle par le Père souverain. Voilà pourquoi l’argument selon lequel les êtres distincts ne sont point les fragments de l’Être Suprême n’a aucune valeur. Par exemple, les diverses parties du corps ne peuvent être considérées égales au corps tout entier ; c’est plutôt ce dernier qui les dirige. Pareillement, les fragments du Tout suprême dépendent-ils toujours de Lui, et Lui demeurent à jamais subordonnés. La Bhagavad-gītā confirme par le mot mamaivāṁśaḥ que les êtres vivants sont des fragments de Kṛṣṇa. Aucun homme sain d’esprit ne pourra donc accepter la théorie selon laquelle l’Âme Suprême et l’âme distincte seraient égales en tout point. Qualitativement, l’Âme Suprême demeure néanmoins souveraine et l’âme individuelle à jamais subordonnée. Telle est la conclusion des Vedas. »
Deux mots chargés de sens sont utilisés à ce propos : yan-maya et cin-maya. Selon la grammaire sanskrite, le mot mayaṭ est utilisé dans le sens de « transformation », mais aussi dans celui de « suffisance ». Les philosophes māyāvādīs interprètent les mots yan-maya ou cin-maya comme des indications de ce que l’âme distincte est à jamais l’égale de l’Être Suprême. Mais il faut bien savoir si cet affixe mayaṭ est utilisé dans le sens de suffisance ou de transformation. L’être distinct ne possède aucun attribut dans les mêmes proportions que l’Être Suprême. Voilà pourquoi l’affixe mayaṭ ne peut être utilisé pour signifier que l’âme distincte se suffit à elle-même. En effet, celle-ci ne jouit jamais d’un savoir suffisant ; sinon, comment pourrait-elle tomber sous le joug de māyā, l’énergie matérielle ? Le mot « suffisant » pourra donc être accepté, mais son sens reste relatif à la grandeur de l’être vivant. L’unité spirituelle qualitative du Seigneur Suprême et des êtres distincts ne doit jamais être prise pour une fusion parfaite. Chaque être vivant demeure à jamais une entité distincte. Si l’on accepte la théorie de la fusion totale, alors la libération d’une seule âme distincte amènerait aussitôt celle de toutes les autres. Mais la vérité est tout autre : chaque être vivant connaît en ce monde matériel une vie de plaisir et de souffrances variés.
Le mot mayaṭ est également utilisé dans le sens de « transformation », ou parfois encore dans celui de « sous-produit. » La théorie impersonnelle veut que le Brahman ait Lui-même revêtu divers corps matériels dans l’accomplissement de Sa līlā, Ses Divertissements. Il existe cependant diverses conditions d’existence où se voient placés les êtres distincts – hommes, devas, animaux, oiseaux, et si tous étaient des émanations directes de la Vérité Suprême et Absolue, il ne saurait être question pour eux de libération car le Brahman Se trouve à jamais libéré. Autre interprétation des māyāvādīs : à chaque âge, le Brahman crée diverses formes matérielles qui retournent se fondre en Lui quand vient la fin de l’âge. Puis, dans l’âge suivant, toujours selon cette même théorie, le Brahman se manifeste à nouveau en d’autres innombrables formes matérielles. Serait-il donc sujet à des mutations ?
C’est là chose impossible. À la lumière du Vedānta-sūtra nous apprenons que par nature le Brahman est pure félicité et qu’il échappe à toute souffrance matérielle. En vérité, les âmes distinctes, fragments du Brahman, constituent des particules infinitésimales, sujettes à l’influence de l’énergie illusoire. Comme il fut expliqué plus haut, les particules du Brahman sont comparables à des étincelles qui dansent joyeusement dans le feu, mais qui peuvent toutefois s’en écarter et se perdre en fumée, autre sous-produit du feu. Ce monde matériel est semblable à cette fumée, et le monde spirituel au feu ardent. Les âmes distinctes innombrables, peuvent choir dans le monde matériel lorsque placées sous l’influence de l’énergie illusoire, mais elles peuvent néanmoins retrouver leur état libéré en cultivant le vrai savoir, s’affranchissant ainsi de toute souillure née du contact avec la matière.
Les asuras avancent que les êtres naissent du contact de la nature matérielle, ou prakṛti, avec le puruṣa. Cette théorie n’est guère acceptable du fait que la nature matérielle et Dieu, Personne Souveraine, existent toutes deux éternellement et ne connaissent aucune origine. Le Seigneur Suprême est qualifié d’aja, ce qui signifie non né et la nature matérielle, elle, est appelée ajā. Ces deux termes, aja et ajā, indiquent l’un comme l’autre l’absence de naissance. Il reste donc impossible de concevoir la « création » proprement dite des âmes distinctes car ce concept transitoire ne saurait s’appliquer ni à la nature matérielle, ni au Seigneur, tous deux de nature éternelle, non née. Tout comme un mélange d’air et d’eau appelle la formation d’innombrables bulles, le contact entre la nature matérielle et le Seigneur Suprême cause la manifestation des êtres vivants en ce monde. Et tout comme les bulles revêtent diverses formes, les êtres distincts apparaissent également en ce monde dotés de formes dont la condition varie selon l’influence des trois guṇas. Ainsi, peut-on conclure que les âmes distinctes qui revêtent, en ce monde, diverses formes – hommes, devas, animaux, plantes – obtiennent leur corps respectif en fonction de leurs désirs. Nul ne peut se prononcer sur le moment où ces désirs furent éveillés : anādi-karma, la cause de cette existence matérielle reste inconnue ; bien qu’on ne puisse en retracer l’origine, il demeure que la vie au sein de la matière commença à un moment précis puisque toutes les âmes distinctes ont une origine spirituelle. Tout comme les étincelles qui jaillissent du feu « naissent » à cet instant précis bien qu’elles existaient déjà au sein même du brasier, les êtres vivants apparaissent également en ce monde à un moment précis, mais, nul ne saurait déterminer cet instant avec exactitude. Lorsque se produit l’annihilation, les êtres se fondent dans l’existence spirituelle du Seigneur et y demeurent comme dans un sommeil profond. Mais leurs désirs originels de dominer la nature matérielle, eux, ne s’éteignent pas. Puis, quand se manifeste à nouveau le cosmos, les âmes distinctes s’éveillent alors pour s’efforcer de combler leurs désirs, et apparaissent une fois de plus au sein des diverses espèces.
Cette fusion dans le Suprême au moment de l’annihilation se compare au miel. En effet, les rayons de miel conservent le goût des fleurs et des fruits. Toutefois, lorsqu’on goûte à du miel, on ne peut distinguer les diverses sortes de pollen qui le compose mais son goût plaisant vient de ce qu’il n’est pas une substance homogène, mais une combinaison de plusieurs saveurs. Autre exemple : bien que différents fleuves se jettent dans la mer, cela ne signifie pas qu’ils doivent ainsi perdre leur individualité. Bien que les eaux du Gange et de la Yamunā se mélangent à celle de la mer, elles n’en gardent pas moins leur nature propre. Pareillement, la fusion des êtres distincts dans le Brahman, quand survient la dissolution finale, implique bien l’anéantissement de diverses sortes de corps, mais les êtres en eux-mêmes, avec chacune de leurs aspirations personnelles, conservent, au sein du Brahman, leur individualité propre jusqu’à la manifestation suivante. Et tout comme l’eau de mer diffère à jamais de l’eau du Gange par son goût salé, il existe une différence éternelle entre le Seigneur Suprême et les êtres distincts, même s’ils semblent ne plus faire qu’Un au moment de la dissolution. Pour conclure, lorsque les êtres se voient affranchis de toute souillure matérielle, ils se fondent alors dans le royaume spirituel, mais malgré leur union au Seigneur, ils conservent à jamais leur nature individuelle.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Ô Seigneur, nous pouvons conclure que tous les êtres sont attirés par Ton énergie matérielle, et le seul fait qu’ils se prennent à tort pour des produits de la nature matérielle les fait transmigrer d’un corps à un autre, dans l’oubli de leur relation éternelle avec Toi. Du fait de leur ignorance, ces âmes s’identifient par erreur aux diverses formes de vie qu’elles doivent assumer. Lorsqu’elles se voient élevées à la forme humaine, elles s’identifient alors à une classe sociale, à un peuple, une race ou une prétendue religion, oubliant par là leur véritable identité de serviteurs éternels de Ta Grâce. En raison de ce concept erroné de l’existence, elles doivent subir le cycle des morts et des renaissances. Parmi des millions de tels êtres conditionnés, un seul, peut-être, trouvera assez d’intelligence pour, au contact de Tes purs dévots, comprendre le message de la conscience de Kṛṣṇa et abandonner ainsi un concept erroné de l’existence. »
Dans le Caitanya-caritāmṛta, le Seigneur Caitanya confirme que les êtres distincts errent dans l’univers, au sein de diverses espèces, mais que si l’un d’entre eux possède assez d’intelligence, alors, par la grâce du maître spirituel et de la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa, il entamera une vie de dévotion dans la Conscience de Kṛṣṇa. On trouve dans les Écritures : hariṁ vinā na mṛtiṁ taranti ; sans l’aide de Dieu, la Personne Suprême, nul ne peut échapper à l’implacable cycle des morts et des renaissances. Ce qui revient à dire que seul le Seigneur Suprême peut affranchir les âmes conditionnées du cycle des morts et des renaissances successives.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « L’influence du temps – passé, présent et futur – et les souffrances matérielles tels la chaleur et le froid excessifs, la naissance, la mort, la vieillesse et la maladie, obéissent au moindre mouvement de Tes sourcils : tout se réalise par Ta seule volonté. La Bhagavad-gītā enseigne que tous les actes matériels s’accomplissent sous la direction de Dieu, la Personne Suprême, Kṛṣṇa. Les diverses conditions d’existence matérielle constituent des obstacles pour ceux qui ne s’abandonnent pas à Toi. Mais pour les âmes soumises, établies dans la Conscience de Kṛṣṇa, elles ne peuvent susciter en eux la moindre crainte. Lorsqu’apparut Śrī Nṛsiṁhadeva, à aucun moment Prahlāda Mahārāja n’eut peur de Lui, alors que son père athée, lui, se trouva aussitôt devant la mort personnifiée et fut anéanti. Ainsi, bien que Nṛsiṁhadeva apparaisse sous les traits de la mort pour un athée comme Hiraṇyakaśipu, Il Se montre toujours bon à l’égard des bhaktas tels que Prahlāda et demeure pour eux la source de toute félicité. Le pur dévot du Seigneur ne craint donc jamais ni naissance, ni mort, ni vieillesse, ni maladie. »
Śrīpāda Śrīdhara Svāmī a composé à ce propos un fort beau verset : « Ô Seigneur, je suis sans cesse la proie des conditions de ce monde. J’ai été écrasé, broyé sous la pierre de l’existence matérielle. Mes nombreux actes coupables en ce monde me consument dans le feu ardent du karma. Pourtant, Seigneur, j’en suis venu à prendre refuge à l’ombre de Tes pieds pareils-au-lotus. Veuille donc m’accepter auprès de Toi et me couvrir de Ta protection. J’implore donc Ta grâce : ne me repousse pas, mais couvre-moi de Ta protection. » Śrīla Narottama dāsa Ṭhākura adresse lui aussi ces prières : « Ô Seigneur, fils de Nanda Mahārāja, bien-aimé de la fille de Vṛṣabhānu, je suis venu prendre refuge sous Tes pieds pareils-au-lotus après avoir grandement souffert dans la vie matérielle, et j’implore Ta grâce. Ne me rejette pas ; je n’ai d’autre refuge que Toi. »
Il est facile de conclure que toute méthode de réalisation spirituelle autre que le bhakti-yoga, le service de dévotion offert au Seigneur, s’avère des plus ardues. Le refuge du service dévotionnel, en pleine conscience de Kṛṣṇa, représente donc, surtout en l’âge où nous vivons, la seule véritable façon d’échapper à la souillure du conditionnement matériel. Ceux qui n’adoptent pas la conscience de Kṛṣṇa perdent certes un temps précieux, et restent sans pouvoir fournir la moindre preuve d’une quelconque vie spirituelle.
Le Seigneur, dans Sa Forme de Śrī Rāmacandra disait : « J’accorde foi et refuge à quiconque s’abandonne à Moi et fait vœu de Me servir pour toujours ; car telle est Ma nature. » De même, Śrī Kṛṣṇa, dans la Bhagavad-gītā : « L’influence de la nature matérielle est certes insurmontable, mais qui s’abandonne à Moi en franchit facilement les limites. » Les bhaktas ne sont nullement intéressés à s’engager dans des discussions visant à vaincre les théories des abhaktas. Plutôt que d’ainsi perdre leur temps, ils s’absorbent constamment dans le service d’amour absolu offert au Seigneur en pleine conscience de Kṛṣṇa.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Ô Seigneur aimé, bien que de grands yogīs en quête de pouvoirs ont acquis la pleine maîtrise de l’éléphant du mental et de l’ouragan des sens, s’ils ne prennent refuge auprès d’un maître spirituel authentique, ils seront victimes de l’influence matérielle et ne connaîtront jamais le succès dans leurs efforts pour atteindre la réalisation spirituelle. Ces hommes privés de guide sont comparables à des marchands prenant la mer sur un bateau sans capitaine. Nul ne peut échapper aux griffes de la nature matérielle de par ses propres efforts. Il faut accepter un maître spirituel authentique et agir selon ses directives. Alors seulement sera-t-il possible de franchir l’océan d’ignorance dans lequel nous plongent les diverses conditions d’existence matérielles. » Śrīpāda Śrīdhara Svāmī a composé à ce propos un admirable verset : « Ô maître spirituel à l’infinie miséricorde, envoyé de Dieu, quand donc mes pensées se soumettront-elles tout entières à Tes pieds pareils-au-lotus ? Alors, par l’effet de Ta seule miséricorde, je pourrai enfin voir disparaître tous les obstacles qui jonchent le sentier de la vie spirituelle et connaître une existence de félicité. »
En vérité, l’extase du samādhi, ou le fait d’absorber ses pensées en Dieu, la Personne Suprême, s’obtient par un engagement constant dans Son service, ce qui ne devient possible que lorsqu’on agit sous la direction d’un maître spirituel authentique. Les Vedas enseignent donc que pour connaître la science du service de dévotion, il faut d’abord se soumettre à un tel maître. Celui-ci se reconnaît à ce qu’il maîtrise la science dévotionnelle qu’il a lui-même reçue à travers la succession disciplique (ou śrotriya). La première caractéristique par quoi l’on reconnaît celui qui se qualifie comme maître spirituel dans la lignée disciplique est qu’il est parfaitement établi dans le bhakti-yoga. Parfois, les gens négligent d’accepter un maître spirituel et tentent d’accéder à la réalisation spirituelle par la pratique du yoga des pouvoirs, mais nombreux sont les échecs même chez les grands yogīs comme Viśvāmitra. Arjuna dit dans la Bhagavad-gītā que le mental est aussi difficile à maîtriser qu’un ouragan. On compare encore le mental à un éléphant en furie. À moins de suivre les directives d’un maître spirituel, nul ne peut se rendre maître du mental et des sens. Bref, celui qui pratique le yoga mais sans maître spirituel authentique connaîtra certes l’échec et ne fera que perdre un temps précieux. Les Vedas stipulent que personne ne peut jouir d’une connaissance parfaite sans se placer sous la direction d’un ācārya. Ācāryavān puruṣo veda : celui qui a accepté un ācārya voit les choses dans leur juste relief. Il est impossible de saisir la Vérité Absolue par la logique et les arguments. Celui qui atteint le niveau brahmanique parfait s’établit tout naturellement dans le renoncement ; il ne s’efforce plus d’obtenir des gains matériels car son savoir spirituel l’a amené à réaliser que rien ne manque en ce monde car Dieu, la Personne Souveraine, pourvoit aux besoins de chacun. Le véritable brāhmaṇa ne fera donc point d’effort en vue d’accéder à quelque perfection matérielle, mais approchera plutôt un maître spirituel authentique afin d’en recevoir les directives. Un maître spirituel est qualifié de brahma-niṣṭha : il a délaissé toute autre activité pour consacrer sa vie au service de la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa. Lorsqu’un disciple authentique approche un maître spirituel authentique, il lui adresse avec soumission cette prière : « Ô mon maître, aie la bonté de m’accepter pour disciple et de m’instruire de façon à ce que je puisse abandonner toute autre voie de réalisation spirituelle pour m’engager simplement dans la conscience de Kṛṣṇa, dans le service de dévotion. »
Telle est la contemplation du bhakta qui sert le Seigneur avec amour et dévotion sous la direction d’un maître spirituel : « Ô Seigneur, Tu es la Source de tout plaisir. Puisque je ressens Ta présence, à quoi me serviraient les plaisirs éphémères que procurent les liens sociaux, l’amitié et l’amour de ce monde ? Ceux qui ignorent la fontaine de toute joie s’évertuent vainement à chercher les plaisirs des sens ; or qu’y a-t-il de plus éphémère et illusoire ? » Vidyāpati, un grand poète vaiṣṇava dit à ce propos : « Ô Seigneur, les liens sociaux, l’amitié et l’amour de ce monde, recèlent certainement quelques traces de plaisir mais il s’agit de plaisir matériel, et celui-ci ne peut combler mon cœur, qui est pareil à un désert. » Pour qu’un désert devienne fertile, il doit être irrigué abondamment ; à quoi bon une goutte d’eau dans l’immensité d’un désert aride. Pareillement, dans nos cœurs matériels pullulent d’innombrables désirs, qui ne sauraient être comblés par les rapports sociaux, l’amitié et l’amour matériels. Lorsque nos cœurs iront étancher leur soif de plaisir à la source suprême de tout plaisir, alors seulement connaîtront-ils la joie parfaite. Or seul le service de dévotion en pleine conscience de Kṛṣṇa, donne de goûter à cette satisfaction purement spirituelle.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Ô Seigneur, Tu es sac-cid-ānanda-vigraha, l’éternelle Forme de savoir et de félicité, et puisque les êtres vivants sont des fragments émanant de Ta Personne, leur état naturel est d’être parfaitement conscients de Toi. En ce monde, quiconque a développé la conscience de Kṛṣṇa n’éprouve plus le moindre intérêt pour un mode de vie matérialiste. L’être conscient de Kṛṣṇa se désintéresse de la vie familiale, bref de toute situation confortable, et ne fait qu’une infime concession pour ses besoins corporels. En d’autres mots, il n’a plus aucun intérêt pour le plaisir des sens. À vrai dire, la perfection de la vie humaine repose sur le savoir et le renoncement, mais il est fort difficile d’essayer d’atteindre ce niveau de savoir et de renoncement tout en menant une vie de famille ; aussi les êtres conscients de Kṛṣṇa prennent-ils refuge de la compagnie des bhaktas ou des saints lieux de pèlerinage. Ils restent conscients du lien qui unit l’Âme Suprême et l’âme distincte et ne sont jamais souillés par une conception corporelle de l’existence. Parce qu’ils Te portent toujours dans leur cœur, ils atteignent un tel niveau de pureté que tout lieu où ils se rendent devient pèlerinage, et que l’eau qui lave leurs pieds peut délivrer nombre de pécheurs perdus en ce monde. »
Lorsque le père athée de Prahlāda Mahārāja demanda à ce dernier de lui rapporter ce qu’on lui avait enseigné d’important, Prahlāda répondit : « Le matérialiste, toujours rongé par l’angoisse que suscite son empêtrement dans les vérités relatives et temporaires, aura tout intérêt à quitter le puits noir de la vie familiale pour se rendre dans la forêt où il prendra refuge auprès du Seigneur Suprême. Les véritables purs bhaktas, on les célèbre comme des mahātmās, des grands sages au savoir parfait. Toujours ils pensent au Seigneur Suprême et à Ses pieds pareils-au-lotus, et ainsi accèdent tout naturellement à la libération. Les bhaktas constamment établis dans cette position se voient électrisés par les puissances inconcevables du Seigneur et deviennent eux-mêmes source de libération pour leurs disciples et les autres bhaktas. L’être conscient de Kṛṣṇa est donc spirituellement électrisé, et quiconque vit au contact d’un tel pur bhakta ou prend refuge de sa personne se voit en lui-même électrisé, investi d’énergie spirituelle. Ces bhaktas ne s’enorgueillissent jamais de leurs atouts matériels. De façon générale, on tient pour matériels le bon parentage, l’éducation, la beauté et la richesse, mais qu’un bhakta bénéficie de tels atouts, et jamais il ne se laisse emporter par l’orgueil. Les grands dévots du Seigneur se déplacent à travers le monde d’un lieu de pèlerinage à un autre et sur leur chemin rencontrent de nombreuses âmes conditionnées qu’ils libèrent en les bénissant de leur présence et en leur transmettant le savoir spirituel. Ils vivent en des lieux tels que Vṛndāvana, Mathurā, Dvārakā, Jagannātha Purī and Navadvīpa car seuls les bhaktas s’assemblent en ces lieux. Ils peuvent ainsi bénéficier d’une compagnie sanctifiée qui les fait progresser toujours plus dans la conscience de Kṛṣṇa. Ce progrès n’est guère possible dans le cadre d’une vie familiale matérielle, où la conscience de Kṛṣṇa n’a pas de place.
Les Vedas personnifiés poursuivirent en ces termes : « Ô Seigneur, il existe deux sortes de spiritualistes, les impersonnalistes et les personnalistes. Selon les impersonnalistes, cette manifestation matérielle serait fausse et la Vérité Absolue représenterait la seule vérité. Pour les personnalistes toutefois le monde matériel, bien qu’éphémère, n’est pas faux mais bien réel. Ces spiritualistes, donc, avancent différents arguments pour démontrer la validité de leur philosophie respective. Mais pour tout dire, le monde matériel est à la fois réel et faux. Il est réel car tout ce qui existe est une émanation de la Vérité Suprême et Absolue ; il est également faux car de nature éphémère, il est en effet créé, puis annihilé. Du fait de ces différentes phases d’existence, la manifestation cosmique n’a pas de position fixe. Ceux qui voient ce monde comme faux adhèrent généralement à la maxime : brahma satyaṁ jagan mithyā. Ils avancent que dans le monde matériel, tout n’est que matière. On trouve par exemple de nombreux objets faits d’argile – pots et vaisselle de toutes sortes. Une fois détruits, ces objets seront peut-être transformés en de nombreux autres, mais ils n’en demeureront pas moins argile. Les morceaux d’un pot en terre pourront par exemple se voir transformés en bol ou en assiette, mais qu’il s’agisse d’une assiette ou d’un bol, l’argile, lui, continue d’exister. Ce sont donc les formes du pot et de la vaisselle qui sont fausses, mais leur nature argileuse, elle, est bien réelle. D’après les impersonnalistes, la manifestation cosmique provient certes de la Vérité Absolue, mais du fait que son existence soit éphémère, elle serait donc fausse. Pour eux, la Vérité Absolue, toujours présente, représente la seule vérité. Mais selon l’opinion d’autres spiritualistes, le monde matériel, tirant son origine de la Vérité Absolue, est également vérité. Les impersonnalistes objecteront toutefois que le monde matériel n’est pas réel car, parfois la matière est issue de l’âme spirituelle, et d’autres fois, c’est l’âme spirituelle qui jaillit de la matière. Ces philosophes avancent comme argument qu’on voit parfois des scorpions naître de la bouse de vache alors qu’il ne s’agit pourtant que d’un élément matériel sans vie. Dans le même ordre d’idée, certaines matières mortes comme celles des ongles et des cheveux seront produites par un corps vivant. Ainsi, les produits d’un élément diffèrent-ils parfois de leur origine. En s’appuyant sur cet argument, les philosophes māyāvādīs avancent que malgré le fait que cette manifestation cosmique émane de la Vérité Absolue, elle ne comporte pas nécessairement l’aspect de vérité de cette dernière. Toujours selon le même entendement, seul le Brahman, la Vérité Absolue, peut être tenu pour réel et non pas la manifestation cosmique, bien que celle-ci émane de la Vérité Absolue.
La Bhagavad-gītā dit que la vision du philosophe māyāvadī est comme celle d’un asura, d’un être démoniaque. Le Seigneur y déclare : asatyam apratiṣṭhaṁ te jagad āhur anīśvaram/aparaspara-sambhūtaṁ kim anyat kāma-haitukam ; les asuras voient la manifestation cosmique tout entière comme fausse. Pour ces êtres démoniaques, la création ne proviendrait que de la simple interaction des éléments matériels et il n’existerait ni Dieu ni Maître. Mais en vérité, ils se trompent. Le septième chapitre de la Bhagavad-gītā révèle que les cinq éléments matériels grossiers – la terre, l’eau, le feu, l’air, et l’éther – auxquels s’ajoutent les éléments matériels subtils – le mental, l’intelligence et le faux ego – constituent les huit énergies distinctes du Seigneur Suprême. Au-delà de cette énergie matérielle inférieure existe toutefois l’énergie spirituelle, que constituent les êtres vivants, également tenue pour l’énergie supérieure du Seigneur. La manifestation cosmique tout entière n’est qu’une combinaison des énergies inférieure et supérieure, et la source de toutes ces énergies est Dieu, la Personne Suprême. Le Seigneur possède différentes sortes d’énergies, ce que confirment les Vedas : parāsya śaktir vividhaiva śrūyate. Les énergies absolues du Seigneur sont de nature variée et puisque cette variété émane du Seigneur Suprême, elle ne peut donc être fausse. Le Seigneur existe à jamais, et il en est de même pour Ses énergies. Certaines sont dites temporaires – parfois manifestées et parfois non manifestées –, mais cela ne signifie nullement qu’elles soient fausses. Prenons l’exemple d’un homme qui se met en colère ; il adoptera un comportement différent de celui qu’il montre à l’état normal ; mais le fait que la colère n’apparaisse qu’un certain temps pour ensuite disparaître ne signifie en rien que l’énergie même de cette colère soit fausse. L’argument des philosophes māyāvādīs selon quoi le monde est faux n’est donc pas accepté par les philosophes vaiṣṇavas. Comme nous l’avons vu, le Seigneur en Personne qualifie d’asuras ceux qui ne reconnaissent pas l’existence d’une cause suprême à la manifestation matérielle, et nient celle de Dieu, mais prétendent que tout provient de l’interaction des éléments matériels.
Les philosophes māyāvādīs donnent parfois l’exemple du serpent et de la corde. La nuit, par ignorance on confondra parfois une corde enroulée et un serpent. Mais d’ainsi se méprendre ne signifie aucunement que la corde ou le serpent soient faux ; ce qui enlève toute valeur à cet exemple qu’utilisent les māyāvādīs pour illustrer le caractère faux du monde matériel. Tenir pour réel ce qui n’existe pas, voilà qui est véritablement faux. Mais que l’on confonde deux objets n’implique en rien que ceux-ci n’existent pas, ou qu’ils soient faux. Les philosophes vaiṣṇavas, eux, présentent un exemple fort approprié, lorsqu’ils comparent le monde matériel à un pot de terre. On a rarement vu un pot de terre se métamorphoser de lui-même en quelque autre objet. Malgré sa nature éphémère, il n’en est pas moins utilisé pour transporter de l’eau et il s’agit bien toujours d’un pot de terre. Aussi, malgré sa nature transitoire et bien qu’il diffère de son origine. la terre, on ne peut dire qu’il soit faux. Pour conclure, le pot de terre et la terre tout entière sont tous deux réels car le premier est le produit du second. La Bhagavad-gītā nous explique qu’après la dissolution de la manifestation cosmique, l’énergie universelle pénètre en Dieu, la Personne Suprême, lequel existe à jamais avec Ses diverses énergies. Puisque la création matérielle émane de Lui, elle n’est donc pas le produit du néant. Kṛṣṇa n’est pas néant. Lorsque nous parlons de Kṛṣṇa, Il existe avec Sa Forme, Ses Attributs, Son Nom, Son Entourage… Kṛṣṇa n’a donc rien d’impersonnel. La Cause originelle de toute chose ne saurait être néant ni impersonnelle, mais la Personne Suprême. Les asuras peuvent avancer que cette création matérielle est anīśvara, sans Dieu ni Maître, mais de tels arguments sont dépourvus de sens.
L’exemple que donnent les philosophes māyāvādīs lorsqu’ils proposent que de la matière inerte comme les ongles et les cheveux proviennent du corps vivant représente un bien pauvre argument. Bien que les ongles et les cheveux constituent sans nul doute de la matière inerte ils ne viennent point de l’être vivant en lui-même mais plutôt du corps matériel inerte. Pareillement, l’argument selon lequel l’être vivant est produit de la matière, – comme le scorpion naissant de la bouse de vache – n’a guère plus de valeur. Le scorpion qui sort de la bouse de vache est certes un être vivant, cela ne fait aucun doute, mais il serait hasardeux de prétendre qu’il fût engendré par la bouse de vache. En vérité, ce qui est sorti de la bouse, c’est le corps du scorpion. Comme le révèle la Bhagavad-gītā, les étincelles spirituelles que sont les êtres vivants sont introduites dans le sein de la nature matérielle ; alors seulement leur est-il donné de naître. La nature matérielle confère aux êtres les diverses formes qu’ils doivent revêtir, mais l’être vivant lui-même est engendré par le Seigneur Suprême. Puis c’est par l’intermédiaire de parents qu’il obtient le corps qu’il devra revêtir. Ainsi, l’âme transmigre d’un corps à un autre portée par ses différents désirs. Les désirs, sous la forme subtile de l’intelligence, du mental et du faux ego, accompagnent l’être distinct d’un corps à un autre. Par la force d’une volonté supérieure, l’être distinct se voit placé dans la matrice d’une mère où il développera un certain type de corps matériel conforme à ses désirs. Ce n’est donc pas que l’âme spirituelle provienne de la matière mais celle-ci doit revêtir un type de corps particulier selon le dessein d’une volonté supérieure. Dans notre présente existence en ce monde, nous observons que l’univers est constitué de matière et d’esprit, et que l’esprit anime la matière. L’âme distincte et la matière représentent donc diverses énergies du Seigneur Suprême. Et puisque ces deux énergies proviennent de l’Être éternel souverain, de la Vérité Suprême, elles sont bien réelles et non fausses. Fragment du Suprême, l’âme distincte connaît également une existence éternelle ; il ne peut donc être question pour elle de naissance ou de mort. Les dites « naissances » et « morts » n’ont lieu qu’en raison du seul corps matériel. Les mots védiques sarvaṁ khalv idaṁ brahma indiquent que puisque les deux énergies émanent du Brahman Suprême, toute chose dont nous avons l’expérience ne diffère en rien du Brahman.
Il existe nombre d’arguments en ce qui touche à l’existence du monde matériel, mais la conclusion philosophique vaiṣṇava s’avère la meilleure d’entre toutes. L’exemple du pot de terre est fort approprié : la forme du pot de terre est certes temporaire, mais elle remplit néanmoins une fonction spécifique : elle sert à contenir une substance liquide. De même ce corps matériel ; bien que temporaire, il a un usage particulier. Depuis le début de la création, l’être vivant se voit donner la chance d’évoluer à travers d’innombrables formes matérielles selon les désirs qu’il a chéris de temps immémoriaux. La forme humaine offre à l’âme distincte l’avantage marquant de pouvoir posséder une conscience supérieure.
Les philosophes māyāvādīs avancent parfois que si le monde matériel est vrai, pourquoi les chefs de famille se voient-ils recommander de trancher les liens qui les retiennent à ce monde pour prendre le sannyāsa ? Mais le philosophe vaiṣṇava a une vision différente du sannyāsa : ce n’est pas que le monde est faux et que l’on doit donc abandonner l’activité matérielle. Le sannyāsa vaiṣṇava a pour principe de faire un juste usage de toutes choses. Śrīla Rūpa Gosvāmī a énoncé deux formules servant à nous guider dans nos rapports avec le monde matériel. Lorsque le vaiṣṇava renonce à un mode de vie matérialiste pour adopter le sannyāsa, ce n’est pas parce qu’il tient le monde matériel pour faux, mais plutôt parce qu’il souhaite se consacrer entièrement à tout utiliser au service du Seigneur. Śrīla Rūpa Gosvāmī a donc tracé la voie suivante : il faut être détaché du monde matériel car l’attachement à la matière n’a aucun sens. Puisque le monde matériel tout entier, – la manifestation cosmique dans son ensemble – appartient à Dieu, à Kṛṣṇa, toute chose doit être utilisée pour Lui. Le bhakta se doit donc de demeurer détaché des objets matériels. Tel est le but du sannyāsa vaiṣṇava. L’homme à l’esprit matérialiste s’accroche au monde pour le plaisir des sens, mais le sannyasī vaiṣṇava, sans rien utiliser pour son propre plaisir, lui, connaît l’art d’employer toute chose au service du Seigneur. Śrīla Rūpa Gosvāmī a donc réprouvé les sannyasīs māyāvādīs car ils ignorent que toute chose est destinée à un usage déterminé dans le service du Seigneur, et qu’à l’opposé, ils tiennent le monde pour faux, se croyant ainsi à tort libérés de la souillure matérielle. Puisque tout provient de l’énergie du Seigneur Suprême, tout est aussi réel que le Seigneur Lui-même.
Que le monde cosmique ne soit manifesté que de façon temporaire ne signifie pas pour autant qu’il soit faux ou que soit fausse la source même de sa manifestation. Puisque l’origine est réelle, la manifestation l’est également, mais il nous faut savoir comment en faire usage. Reprenons notre exemple : le pot de terre éphémère provient de la terre qui forme un tout unique, mais lorsqu’il est utilisé à bon escient, le pot de terre n’a rien de faux. Les philosophes vaiṣṇavas savent comment utiliser les éléments temporaires de ce monde matériel, tout comme un homme sensé doit savoir se servir de la forme temporaire d’un pot de terre. Mais lorsque cet objet est utilisé pour un but autre que le sien propre on peut alors le dire faux. Pareillement, si le corps humain et le monde matériel sont utilisés pour le plaisir des sens ils pourront être qualifiés de faux. Mais nulle action ne sera tenue pour fausse si elle est axée sur le service du Seigneur Suprême. La Bhagavad-gītā confirme donc que le moindre service offert au Seigneur à travers ce corps ou ce monde matériel peut délivrer l’être conditionné du plus grand des dangers. Lorsqu’on en fait usage à bon escient, ni les énergies supérieures ni les énergies inférieures, qui toutes émanent de Dieu, la Personne Suprême, ne sont fausses.
Quant aux actes intéressés, ils reposent principalement sur le plaisir des sens ; aussi l’être qui a évolué dans la conscience de Kṛṣṇa ne s’y adonne-t-il point. Les fruits des actes intéressés peuvent élever leur auteur jusqu’aux systèmes planétaires supérieurs, mais comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, les sots, après avoir épuisé les fruits de leurs actes vertueux dans le royaume édénique, doivent revenir en ce système planétaire inférieur pour à nouveau tenter de s’élever aux planètes de bonheur. Ils n’en retirent que les tracas que leur posent ces « voyages », comme nos savants matérialistes qui gaspillent leur temps à essayer de se rendre sur la Lune pour ensuite devoir revenir sur Terre. Les Vedas personnifiés qualifient ceux qu’absorbent de telles activités d’andha-paramparā – adeptes aveugles des rites et des cérémonies védiques. Bien que ces cérémonies soient sans nul doute mentionnées dans les Vedas, elles ne sont point destinées aux hommes d’intelligence. Les hommes par trop attachés au plaisir matériel sont captivés par la promesse d’atteindre les systèmes planétaires supérieurs et c’est pourquoi ils observent rites et cérémonies. L’homme d’intelligence, celui qui a pris refuge auprès d’un maître spirituel authentique afin de voir les choses telles qu’elles sont, n’emprunte pas la voie des actes intéressés, mais s’engage dans le service d’amour absolu offert au Seigneur.
Les abhaktas, pour des raisons matérialistes, s’absorbent dans les rites et cérémonies védiques et sombrent bientôt dans l’égarement. Voici un exemple des plus évocateurs : un homme doté d’intelligence ayant en sa possession des millions de dollars en espèces ne fait pas que collectionner des billets de banque, même s’il est conscient du fait qu’après tout, ces derniers ne sont rien d’autre que du papier. En effet, celui qui possède autant de billets n’a entre ses mains qu’un bon paquet de papier, mais n’en jouit pas moins d’un bon pouvoir d’achat… De même, bien que ce monde matériel soit faux, tel du papier, on peut aussi l’utiliser à bon escient. Du fait que ces billets – de simples papiers – ont été mis en circulation par le gouvernement, ils prennent ainsi leur pleine valeur. Il en est de même pour ce monde : qu’il soit faux ou temporaire, il prend sa pleine valeur du fait qu’il vient du Seigneur Suprême. Le philosophe vaiṣṇava reconnaît donc la pleine valeur du monde matériel et sait comment en faire un juste usage, quand le philosophe māyāvadī, « considérant à tort les billets du gouvernement pour quelques faux papiers, les rejette sans savoir les utiliser ». Śrīla Rūpa Gosvāmī déclare donc que celui qui rejette l’univers matériel en le déclarant faux, sans tenir compte de son importance comme moyen de servir Dieu, la Personne Suprême, celui-là son renoncement a fort peu de valeur. Celui qui, au contraire, connaît la valeur intrinsèque du monde matériel dirigé vers le service du Seigneur, qui n’est pas attaché aux choses de ce monde et y renonce en refusant d’en tirer parti pour son propre plaisir, celui-là est établi dans le véritable renoncement. Ce monde est une manifestation de l’énergie matérielle du Seigneur. Il est donc réel et n’a rien de faux comme le concluent certains en utilisant l’exemple du serpent et de la corde.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « À cause du caractère instable de son existence temporaire, la manifestation cosmique semble fausse aux yeux des hommes d’intelligence moindre. » Les philosophes māyāvādīs jouent sur la nature précaire de la manifestation cosmique pour tenter de prouver que le monde matériel est faux. Selon l’enseignement védique, ce monde n’existait pas avant que ne survienne la création, non plus qu’il n’existera après la dissolution cosmique. Les adeptes de la philosophie du néant profitent de cette assertion védique pour en déduire que la cause du monde matériel est le néant. Mais que disent les Vedas ? Ils définissent la Source de la création et de la dissolution par les mots yato vā imāni bhūtāni jāyante : « Celui dont a émané la manifestation cosmique et en qui tout se fondra après l’annihilation. » Le Vedānta-sūtra, de concert avec le premier verset du Śrīmad Bhagavatam, confirme cette vérité par le mot janmādy asya yataḥ : « Celui de qui tout émane. » Ensemble, ces assertions védiques indiquent que la manifestation cosmique a pour cause Dieu, la Personne Suprême, en qui elle se fond également lors de l’annihilation finale.
Ce que vient aussi confirmer la Bhagavad-gītā : la manifestation cosmique est créée pour être dissoute à nouveau, et se fondre enfin dans l’existence du Seigneur Suprême. Cette affirmation confirme sans laisser le moindre doute que l’énergie qui a nom bahir-aṅga-māyā, soit l’énergie externe, malgré sa nature instable, est bel et bien l’énergie du Seigneur Suprême, et parce que telle, elle ne peut être tenue pour fausse, nonobstant toute apparence.
Les philosophes māyāvādīs arguent que la nature matérielle doit être fausse puisqu’elle n’a pas d’existence avant sa création, ni après sa dissolution. Mais encore une fois, l’exemple des pots de terre illustre la version védique : malgré l’impermanence des divers sous-produits de la Vérité Absolue, l’énergie du Seigneur Suprême, elle, est permanente. Le pot de terre pourra être brisé et transformé en d’autres formes, mais l’ingrédient matériel initial – la terre – demeurera inchangé. Ainsi le principe de base de la manifestation cosmique demeure-t-il toujours le même ; il s’agit du Brahman, Vérité Absolue. La théorie des philosophes māyāvādīs se réduit donc à une simple élucubration mentale. La manifestation cosmique est certes instable et transitoire mais cela n’implique aucunement qu’elle soit fausse. Par définition, ce qui est faux n’a jamais existé si ce n’est que de nom. Par exemple, des œufs de cheval, une fleur dans le ciel ou une corne de lapin sont des phénomènes qui n’existent que de nom car au vrai ces chimères n’existent pas. On tiendra donc pour faux ce qui n’existe que de nom ou dans quelque imagination fertile. Mais le vaiṣṇava ne peut tenir pour tel le monde matériel pour la seule raison que sa nature temporaire se manifeste puis se dissout à nouveau.
Les Vedas personnifiés poursuivirent en affirmant que l’Âme Suprême et l’âme distincte – le Paramātmā et le jīvātmā – ne peuvent être sur un pied d’égalité en aucune circonstance, bien que tous deux soient sis dans le même corps, comme deux oiseaux perchés dans le même arbre. Comme le disent les Vedas, bien que ces deux oiseaux se tiennent l’un à côté de l’autre comme des amis, ils ne sont pas pour autant égaux. L’un, le Paramātmā ou l’Âme Suprême, n’agit qu’en simple témoin quand l’autre, le jīvātmā, goûte les fruits de l’arbre. Lorsque se manifeste le cosmos, le jīvātmā, l’âme distincte, apparaît dans la création sous différentes formes en fonction de ses actes intéressés antérieurs, et du fait de l’oubli profond de sa véritable identité, il s’identifie à la forme particulière que lui ont attribuée les lois de la nature. Ayant revêtu une forme matérielle, il tombe alors sous l’influence des trois guṇas et agit selon leur dictée, poursuivant ainsi son séjour dans le monde matériel. Prisonnier d’une telle ignorance, les qualités naturelles qu’il possède en quantité infime se trouvent alors presque éteintes. Celles de l’Âme Suprême, ou de Dieu, la Personne Suprême, ne se trouvent, elles, en rien diminuées, bien que le Seigneur apparaisse Lui aussi en ce monde matériel. Le Seigneur conserve tous Ses Attributs et Perfections dans leur plénitude et demeure hors d’atteinte de toutes les tribulations de ce monde matériel. L’âme conditionnée se voit empiégée dans le monde matériel mais l’Âme Suprême, Elle, le quitte sans en être le moindrement touchée, comme un serpent quittant sa peau lors de la mue. La différence entre l’Âme Suprême et l’âme distincte conditionnée réside en ce que l’Âme Suprême, Dieu, conserve Ses Attributs naturels de ṣaḍ-aiśvarya, aṣṭa-siddhi et aṣṭa-guṇa.
Du fait de leur maigre connaissance, les philosophes māyāvādīs oublient que Kṛṣṇa jouit toujours parfaitement des six excellences, des huit attributs spirituels et de huit sortes de perfections. Les six excellences s’énumèrent comme suit : nul ne surpasse Kṛṣṇa en richesse, puissance, beauté, renom, savoir ou renoncement. Quant à Ses Attributs spirituels, le premier est que la souillure de l’existence matérielle ne Le touche jamais. La Śrī Īśopaniṣad mentionne à ce propos : apāpa-viddham, tout comme rien ne saurait polluer le soleil, aucun acte coupable ne peut affecter le Seigneur Suprême. Ainsi, bien que parfois les Actes de Kṛṣṇa semblent manquer de vertu Il ne S’en trouve jamais souillé.
La seconde caractéristique spirituelle est qu’Il ne meurt jamais. Dans le quatrième chapitre de la Bhagavad-gītā, Il informe Arjuna que tous deux vécurent nombre de fois en ce monde, mais que Lui seul Se souvient de Ses Activités passées, présentes et futures. Voilà qui démontre que le Seigneur ne meurt jamais. L’oubli vient de la mort : quand nous mourons, nous devons alors changer de corps ; ce qui provoque l’oubli. Mais Kṛṣṇa, Lui, ne connaît jamais l’oubli ; Il peut en effet Se souvenir de toute action passée. Sinon, comment aurait-Il pu Se souvenir d’avoir d’abord enseigné la Bhagavad-gītā, la science du yoga, à Vivasvān, le dieu Soleil ? Ainsi ne meurt-Il jamais et jamais non plus ne devient-Il vieux. Bien qu’arrière-grand-père sur le champ de bataille de Kurukṣetra, Il n’avait rien d’un vieillard. Kṛṣṇa ne peut être souillé par aucun acte coupable, Il ne meurt pas, ne vieillit jamais, n’est jamais sujet à l’affliction, ne ressent ni la faim ni la soif, Tout ce qu’Il désire est parfaitement juste et légitime ; tout ce qu’Il décide ne peut être changé par personne.
Tels sont les Attributs spirituels et absolus de Kṛṣṇa. De plus, Il porte également le Nom de Yogeśvara. Il jouit en effet de toutes les facilités que procurent les pouvoirs surnaturels, comme l’aṇimā-siddhi, ou le pouvoir de devenir plus petit que le plus petit. La Brahma-saṁhitā enseigne à cet effet que Kṛṣṇa pénètre même dans l’atome : aṇḍāntara-stha-paramāṇu-cayāntara-stham. Et de même, en tant que Garbhodakaśāyī Viṣṇu, Kṛṣṇa Se trouve également présent au cœur de l’univers gigantesque, et Il repose, allongé dans l’Océan Causal, sous les traits de Mahā-viṣṇu, dont le Corps est si grand qu’à chaque souffle une infinité d’univers émanent de Son Corps. Ce pouvoir porte le nom de mahimā-siddhi. Kṛṣṇa jouit également de la perfection dite laghimā, – Il peut Se faire le plus léger. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, c’est du fait que Kṛṣṇa pénètre en cet univers, et au cœur des atomes, que toutes les planètes flottent dans l’espace. Ce qui explique le phénomène de l’apesanteur. Kṛṣṇa jouit également de la perfection dite prāpti, – Il peut obtenir tout ce qu’Il désire. Pareillement, Il jouit de l’īśitā, ou le pouvoir de tout régir ; ainsi porte-t-Il le Nom de Parameśvara, le Maître Suprême. Enfin, Kṛṣṇa a pouvoir de placer tout être sous Son influence, ce qui a nom vaśitā.
Kṛṣṇa Se trouve ainsi doté de toutes les excellences, de toutes qualités et attributs spirituels et de tous pouvoirs surnaturels. Nul ne peut Lui être comparé. La théorie des māyāvādīs selon laquelle l’Âme Suprême et l’âme distincte sont égales ne peut être qu’un faux concept. Il est donc facile de conclure que Kṛṣṇa seul est digne d’adoration, et que tous les autres êtres vivants sont Ses serviteurs. Cet entendement porte le nom de réalisation spirituelle. Toute autre réalisation de soi autre que cette relation de serviteur éternel de Kṛṣṇa ne peut être qu’influencée par māyā. En effet, le dernier piège de māyā consiste à inciter l’âme distincte à devenir l’égale de Dieu, la Personne Souveraine. Le philosophe māyāvādī se prétend l’égal de Dieu, mais il ne peut toutefois expliquer le pourquoi de son conditionnement matériel. S’il est Dieu, comment peut-il succomber aux actes pécheurs et subir par là le joug du karma ? Devant cette énigme, les māyāvādīs ne peuvent offrir de réponse convenable. En venir ainsi à penser que l’âme distincte est l’égale de Dieu, la Personne Suprême, représente un autre indice d’une existence axée sur le mal. Nul ne peut adopter la conscience de Kṛṣṇa à moins d’être tout à fait libre de tout acte coupable. Le fait même que le māyāvādī prétend se fondre avec le Seigneur pour ne plus faire qu’Un avec Lui révèle qu’il n’est pas encore affranchi des suites de ses actes coupables. Le Śrīmad-Bhāgavatam qualifie ces personnes d’aviśuddha-buddhayaḥ : elles se croient libérées, bien qu’elles se pensent à la fois égales à la Vérité Absolue. En d’autres mots, leur intelligence n’est pas purifiée.
Les Vedas personnifiés expliquèrent qu’à moins que yogīs et jñānīs ne s’affranchissent de leurs désirs coupables, leur méthode de réalisation spirituelle respective ne connaîtra jamais le succès.
Les Vedas personnifiés poursuivirent : « Ô Seigneur, si les saints hommes ne s’appliquent point à détruire toutes les racines de leurs désirs coupables, ils ne pourront réaliser la présence de l’Âme Suprême, bien qu’Elle Se tienne au côté de l’âme distincte. On entend par samādhi, ou méditation, le fait de découvrir l’Âme Suprême à l’intérieur de soi-même. Mais celui qui n’est pas affranchi des suites de ses actes coupables ne peut contempler cette Âme Suprême. Si l’on possède un médaillon dans lequel se trouve enfermé un joyau, mais qu’on oublie l’existence de cette pierre, c’est tout comme si on ne la possédait pas. De même, si l’être distinct pratique la méditation mais sans vraiment percevoir la présence de l’Âme Suprême, on peut dire de lui qu’il a failli dans la réalisation de cette Âme Suprême.
Ceux qui ont adopté la voie de la réalisation spirituelle doivent donc prendre bien garde de demeurer à l’abri de l’influence de māyā. Śrīla Rūpa Gosvāmī enseigne que le bhakta doit être tout à fait libre de tout désir matériel. Le bhakta ne doit pas être touché par les conséquences du karma et du jñāna. Il lui faut seulement comprendre Kṛṣṇa et combler Ses désirs. Tel est le niveau de la pure dévotion. Les yogīs en quête de pouvoirs surnaturels qui conservent des désirs impurs visant le plaisir des sens ne parviennent jamais à leurs fins, pas plus qu’ils ne peuvent réaliser l’Âme Suprême sise en leur cœur. Ainsi, les pseudo-yogīs et jñānīs qui ne font que perdre leur temps à poursuivre diverses formes de plaisirs des sens, soit par spéculation intellectuelle ou par démonstration de pouvoirs surnaturels, ne seront jamais libérés de l’existence conditionnée mais poursuivront leur voyage à travers morts et renaissances successives. Pour eux, cette vie comme la prochaine n’apportera qu’épreuves. Ces pécheurs subissent déjà en cette vie toutes sortes de tribulations, et du fait qu’ils demeurent imparfaits dans leur réalisation spirituelle, ils se verront davantage accablés de préoccupations dans leur vie suivante. Malgré tous leurs efforts pour atteindre la perfection, ces yogīs, souillés par des désirs relatifs au plaisir des sens, continueront de souffrir en cette vie et dans la prochaine.
Śrīla Viśvanātha Cakravartī Ṭhākura remarque à ce propos que si les sannyāsīs qui ont quitté leur foyer pour se consacrer à la réalisation spirituelle ne s’engagent pas dans le service de dévotion du Seigneur mais se laissent attirer par des œuvres philanthropiques – la fondation d’institutions d’éducation, d’hôpitaux, ou même de monastères, d’églises ou de temples dédiés aux devas –, ces occupations ne leur apporteront que soucis, et non seulement en cette vie mais aussi dans la prochaine. Les sannyāsīs qui ne profitent pas de leur vie pour réaliser Kṛṣṇa ne font que perdre leur temps et leur énergie dans des activités étrangères à l’ordre du renoncement. Par contre l’effort du bhakta, qui consacre ses énergies à des activités comme la construction d’un temple de Viṣṇu, ne s’avère jamais vain. Ces occupations portent le nom de kṛṣṇārthe akhila-ceṣṭā, à savoir diverses activités accomplies pour le plaisir de Kṛṣṇa. La fondation d’une école par un philanthrope et la construction d’un temple par un bhakta ne se situent pas à un même niveau. Bien que l’action du philanthrope relève de la Vertu, elle ne s’en trouve pas moins régie par la loi du karma ; or la construction d’un temple dédié à Viṣṇu s’insère dans le cadre du service de dévotion.
Le service de dévotion n’est jamais sujet à la loi du karma. La Bhagavad-gītā affirme que les bhaktas transcendent les influences des trois guṇas et s’établissent ainsi au niveau de la réalisation du Brahman : brahma-bhūyāya kalpate. La Bhagavad-gītā enseigne : sa guṇān samatītyaitān brahma-bhūyāya kalpate ; les dévots de la Personne Souveraine transcendent les suites des trois guṇas et se situent au niveau absolu du Brahman. Les bhaktas sont des êtres libérés dans cette vie comme dans la prochaine. Tout acte accompli en ce monde pour la satisfaction de Yajña, autre Nom de Viṣṇu, ou Kṛṣṇa, est tenu pour un acte libéré, mais pour celui qui n’agit pas en relation avec Acyuta, l’infaillible Personne Suprême, il demeure impossible de mettre un frein aux conséquences de la loi du karma. Vivre la conscience de Kṛṣṇa, c’est vivre la libération. Bref, le bhakta, par la grâce du Seigneur, se trouve libéré, en cette vie comme en la prochaine quand le karmī, le jñānī et le yogī ne le sont jamais, ni en cette vie ni dans la prochaine.
Les Vedas personnifiés de poursuivre : « Cher Seigneur, quiconque, par Ta grâce, comprend les gloires de Tes pieds pareils-au-lotus demeure indifférent face aux joies et aux peines du monde. Les souffrances matérielles et autres préoccupations restent inévitables aussi longtemps que nous vivons en ce monde, mais le bhakta ne laisse pas les actes et leurs conséquences divertir son attention, car il ne s’agit là que des fruits d’actes vertueux ou impies. Le bhakta se montre toujours égal devant les éloges ou les insultes. Il fera parfois l’objet de hautes louanges du fait de son activité spirituelle et d’autres fois sera critiqué sans raison valable. Le pur bhakta demeure toujours insensible à l’éloge comme au blâme des hommes de ce monde. En vérité, les actes du bhakta se situent au niveau spirituel et absolu. Il n’est pas concerné par les éloges ni par les insultes venant de ceux qui se perdent dans l’action matérielle. S’il peut ainsi maintenir sa position spirituelle, le Seigneur lui accordera certes la libération en cette vie et en la prochaine. Le bhakta maintient sa position spirituelle et absolue en ce monde par la compagnie des purs dévots du Seigneur en entendant de leur bouche le récit des Actes glorieux que le Seigneur accomplit lors de Ses multiples manifestations en divers âges.
Le Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa se fonde sur ce principe même du contact spirituel des bhaktas. Śrīla Narottama dāsa Ṭhākura chante : « Ô Seigneur aimé, puissé-je m’abîmer dans Ton service d’amour absolu, comme l’ont préconisé les ācāryas de toujours, et puissé-je donc vivre en la compagnie de purs bhaktas. Tel est mon désir vie après vie. » Ce qui revient à dire que le bhakta se soucie peu d’être libéré ou non, il n’aspire qu’au seul service de dévotion. S’engager dans le service de dévotion signifie que l’on ne fait rien sans l’approbation des ācāryas. Les activités du Mouvement pour la Conscience de Kṛṣṇa se trouvent dirigées par les ācāryas précédent, avec à leur tête Śrīla Rūpa Gosvāmī et tout bhakta qui se garde en la compagnie des dévots du Seigneur et demeure fidèle à ce principe, se trouve à même de maintenir parfaitement sa position spirituelle.
Le Seigneur dit dans la Bhagavad-gītā que le bhakta qui Le connaît parfaitement Lui est très cher. D’autre part, quatre sortes d’êtres vertueux adoptent le service de dévotion. L’homme vertueux invoquera le Seigneur dans les moments de détresse, et il agira de même dans le besoin. S’il est aiguillonné par la curiosité et souhaite percer la science de Kṛṣṇa, la Personne Souveraine, c’est encore Lui qu’il invoquera. Enfin, l’homme de vertu approchera Kṛṣṇa s’il aspire à Le connaître en toute sincérité, libre de toute autre motivation. D’entre ces quatre, à savoir celui qui souffre, l’indigent, le curieux, et le sage, le dernier est celui dont Kṛṣṇa fait l’éloge personnellement dans la Bhagavad-gītā. Il sera donc digne d’éloges celui qui s’efforce de comprendre Kṛṣṇa avec une connaissance et une dévotion parfaites, tout en marchant sur les traces des ācāryas précédents, maîtres dans la gnose du Seigneur Suprême. Un tel bhakta peut comprendre que toutes conditions d’existence, agréables ou pénibles, ne sont créées que par la volonté souveraine du Seigneur. Lorsqu’il s’est tout entier abandonné aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur, ces circonstances bonnes ou mauvaises lui importent peu ; il en vient même à considérer une condition difficile comme une faveur spéciale de la Personne Suprême. En vérité, pour le bhakta il n’y a rien de mauvais, de défavorable, car il voit tout ce qui émane de la volonté du Seigneur comme propice, et dans toutes les conditions d’existence il reste enthousiaste dans l’accomplissement de son service de dévotion. Cette attitude dévotionnelle se trouve expliquée dans la Bhagavad-gītā : le bhakta n’est jamais misérable lors de conditions d’existence difficiles, pas plus qu’il n’exulte devant les conditions favorables. À un niveau supérieur du service de dévotion, le bhakta ne se sent pas même concerné par la liste des impératifs et des interdictions, mais une telle position ne peut être maintenue qu’en marchant sur les traces des ācāryas. Parce que le pur bhakta suit la voie tracée par les ācāryas, tout acte accompli dans le cours de son service de dévotion se situe au niveau purement spirituel. Śrī Kṛṣṇa nous enseigne donc qu’un ācārya échappe à toute critique. Le bhakta néophyte ne doit cependant pas se considérer au même niveau que l’ācārya. Car ceux-ci doivent être tenus pour des êtres hautement évolués se situant à un niveau égal à celui de Dieu, la Personne Suprême. En tant que tel, ni Kṛṣṇa ni Son envoyé, l’ācārya, ne doivent être sujets à la critique des bhaktas néophytes.
Les Vedas personnifiés vouèrent leur adoration à la Personne Suprême de diverses manières. Vénérer le Seigneur par la prière appelle le souvenir de Ses Attribus, Divertissements et Actes spirituels. Mais parce que les Divertissements et Attributs du Seigneur sont sans limites, il s’avère impossible de se souvenir de tous. Voilà pourquoi les Vedas personnifiés vouèrent leur adoration au Seigneur au mieux de leur cœur et conclurent par les mots qui suivent :
« Ô Seigneur, bien que Brahmā, le deva-maître de la plus haute planète, Brahmaloka ; le roi Indra, deva-maître des planètes édéniques ; ainsi que les deva-maîtres du soleil, de la lune …, occupent tous des postes de haute confiance en ce monde matériel, ils ne Te connaissent que fort peu. Que dire alors de la généralité des êtres humains et des élucubrateurs intellectuels ? Nul ne peut énumérer les innombrables Attributs spirituels de Ta Grâce. Aucun d’entre les spéculateurs intellectuels et les devas des systèmes planétaires supérieurs ne peut véritablement comprendre Ta Forme ni estimer l’excellence de Tes caractéristiques. Nous pensons que même Ta Grâce ne jouit pas d’une connaissance parfaite de Ses propres Attributs spirituels car Tu es sans limites. Bien qu’il ne sied pas de dire que Tu ne Te connais point Toi-même, il est cependant permis d’en déduire ainsi car Tes Attributs et Énergies sont sans limites et il en va de même de Ton savoir : ainsi existe-t-il une compétition sans fin entre Ton savoir et l’expansion de Tes énergies. »
Il nous faut donc comprendre que puisque le Seigneur est sans limites, et qu’il en est également de même de Son savoir absolu, ce même savoir rivalise perpétuellement avec Ses énergies car tous deux se trouvent en évolution constante. Tous deux sont sans limites. Dieu est sans nul doute omniscient, mais les Vedas personnifiés affirment que Dieu Lui-même ne connaît pas chacune de Ses énergies dans leur plénitude. Ceci n’implique en rien toutefois qu’il existe quelque faille dans l’omniscience du Seigneur. Lorsqu’une vérité reste inconnue d’une certaine personne, on qualifie généralement ce phénomène d’ignorance, ou de manque de savoir. Ceci ne peut certes pas s’appliquer à Dieu, car Il Se connaît à la perfection ; il reste toutefois que Ses Énergies et Ses Actes s’accroissent sans cesse et que, proportionnellement, le Seigneur doit donc accroître Son savoir pour les comprendre tous. Tous deux grandissent sans fin, ce qui donne lieu à une « compétition » infinie. C’est donc dans ce sens qu’il est possible d’affirmer que même Dieu ignore l’étendue de Ses propres Énergies et Attributs.
Tout être sobre et sain d’esprit peut se faire une certaine idée du déploiement illimité des Énergies et des Activités du Seigneur Suprême. Les Écrits védiques enseignent qu’à chaque respiration de Mahā-Viṣṇu, plongé dans Son yoga-nidrā, d’innombrables univers émanent de Lui et que ceux-ci retournent ensuite en Son Corps quand Il inspire à nouveau. Essayons seulement d’imaginer que ces univers – que notre savoir limité tient pour infinis – sont si vastes que les ingrédients bruts, soit les cinq éléments de la manifestation cosmique – la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther – ne font pas seulement partie intégrante de l’univers mais forment également autour de lui sept couches de matière, chacune dix fois plus vaste que la précédente. Ainsi, chacun des univers se trouve-t-il soigneusement enrobé et il existe un nombre incalculable de ces univers. Tous jaillissent des innombrables pores du Corps spirituel de Mahā-viṣṇu. Les atomes et les particules de poussière qui flottent dans l’air ne peuvent être dénombrés, et il en va de même pour les innombrables univers qui jaillissent du Corps spirituel du Seigneur. Voilà pourquoi les Vedas affirment que Dieu Se trouve au-delà de notre pouvoir d’entendement. Avāṅ-mānasa-gocara : comprendre la grandeur de Dieu échappe à nos capacités intellectuelles. Voilà pourquoi l’homme véritablement érudit et sain d’esprit ne prétendra pas être lui-même Dieu, mais s’efforcera plutôt de comprendre la nature du Seigneur en apprenant à distinguer le spirituel du matériel. Par un discernement attentif, l’homme est à même de saisir avec clarté que l’Âme Suprême transcende les énergies supérieure et inférieure, bien qu’Elle conserve un rapport direct avec ces deux manifestations. Kṛṣṇa enseigne dans la Bhagavad-gītā que bien que tout repose sur Son énergie, Il n’en est pas moins différent, ou distinct.
La nature et les êtres vivants sont parfois désignés respectivement par les termes prakṛti et puruṣa. Ceux-ci forment la manifestation cosmique tout entière. La nature représente l’élément de base et les êtres vivants la cause effective. Ces deux causes s’assemblent, se combinent, pour produire la manifestation cosmique proprement dite. Lorsqu’un être est assez fortuné pour en venir à la juste conclusion en ce qui touche à cette manifestation cosmique et à l’action qu’elle engendre, il les sait alors directement comme indirectement issues de Dieu, la Personne Suprême. La Brahma-saṁhitā affirme à ce propos : īśvaraḥ paramaḥ kṛṣṇaḥ sac-cid-ānanda-vigrahaḥ/anādir ādir govindaḥ sarva-kāraṇa-kāraṇam. Après mûre réflexion et justes raisonnements, celui qui atteint la perfection du savoir en vient à la conclusion que Kṛṣṇa, Dieu, représente la Cause originelle de toutes les causes. Au lieu d’élucubrer sur la grandeur de Dieu, – sur Ses dimensions… – et au lieu de philosopher, mieux vaut se rendre à la conclusion de la Brahma-saṁhitā : sarva-kāraṇa-kāraṇam, « Kṛṣṇa, Dieu, est la Cause de toutes les causes ». Telle est la perfection du savoir.
Ainsi, le Veda-stuti, les prières offertes à Garbhodakaśāyī Viṣṇu par les Vedas personnifiés, fut tout d’abord rapporté par Sanandana à ses frères, tous nés de Brahmā, par voie de succession disciplique. Au début de la création, Brahmā engendra tout d’abord les quatre Kumāras, que l’on connaît depuis sous le nom de pūrva-jāta. Il est enseigné dans la Bhagavad-gītā que Kṛṣṇa représente le premier chaînon de la paramparā, la succession disciplique. De même, ici, dans les prières des Vedas personnifiés, il nous faut comprendre que la paramparā commence par Nārāyaṇa Ṛṣi, manifestation divine de la Personne Suprême, et garder à l’esprit que ce Veda-stuti est rapporté par Kumāra Sanandana puis transmis par Nārāyaṇa Ṛṣi à Badarīkāśrama. Nārāyaṇa Ṛṣi est l’avatāra de Śrī Kṛṣṇa qui a pour mission de tracer la voie de réalisation spirituelle qui se fonde sur la pratique de rudes austérités. Dans l’âge où nous vivons le Seigneur Caitanya définit la voie du service de dévotion pure en tenant Lui-même le rôle d’un pur bhakta. Pareillement, bien avant l’Avènement de Śrī Caitanya, l’avatāra Nārāyaṇa Ṛṣi se soumit à de rudes ascèses au cœur de l’Himalaya, et c’est de ses lèvres que Śrī Nārada Muni reçut le présent enseignement. Ainsi, parmi les assertions de Nārāyaṇa Ṛṣi à Nārada Muni, telles que les rapporte Kumāra Sanandana sous la forme du Veda-stuti, il découle à l’évidence que Dieu est Suprême et que tous les autres sont Ses serviteurs.
Le Caitanya-caritamrta ajoute : ekale īśvara kṛṣṇa, « Kṛṣṇa est l’unique Seigneur Souverain ». Puis : Āra saba bhṛtya, « Tous les autres sont Ses serviteurs. » Et encore : Yāre yaiche nācāya, se taiche kare nṛtya, « Tous les êtres vivants sont engagés selon le désir du Seigneur en différentes activités manifestant ainsi diverses aptitudes et inclinations ». Ce Veda-stuti représente donc l’enseignement originel de ce qui touche à la relation qui unit l’être distinct et Dieu, la Personne Suprême. Le plus haut niveau de réalisation auquel peut parvenir l’être vivant réside donc dans cette attitude dévotionnelle. Or, nul ne peut s’engager dans la vie dévotionnelle, dans la conscience de Kṛṣṇa, à moins d’être tout à fait libre des souillures matérielles. Nārāyaṇa Ṛṣi informa Nārada Muni de ce que l’essence de tous les Vedas et Écrits védiques – nommément les quatre Vedas, les Upaniṣads, les Purāṇas – réside dans l’offrande de notre service d’amour spirituel au Seigneur. À ce propos, Nārāyaṇa Ṛṣi fit usage d’un terme bien précis : rasa. Dans le service de dévotion, ce rasa sert d’intermédiaire ou de principe fondamental sur lequel s’établit l’échange d’une relation entre le Seigneur et l’être distinct. Les Vedas qualifient également le rasa de raso vai saha<ï> : « Le Seigneur Suprême représente la Fontaine de tout plaisir. » L’ensemble de tous les Écrits védiques – les Purāṇas, les Vedas, les Upaniṣads, le Vedānta-sūtra – révèle aux êtres distincts la façon d’atteindre au niveau du rasa. Le Bhāgavatam, ou Mahā-purāṇa, dévoile d’autre part qu’il contient l’essence de tous les rasas évoqués dans les Écritures védiques. Nigama-kalpa-taror galitaṁ phalaṁ : le Bhāgavatam constitue le nectar, l’essence, du fruit mûr de l’arbre des Écrits védiques.
Nous savons que le souffle de Dieu, la Personne Suprême, engendre les quatre Vedas, nommément le Ṛg-veda, le Sāma-veda, le Yajur-veda et l’Atharva-veda, ainsi que les Récits épiques du Mahābhārata et des Purāṇas que l’on tient également pour les archives de l’histoire du monde. On a d’ailleurs qualifié ces derniers de cinquième Veda.
Les versets du Veda-stuti doivent être tenus pour le cœur de tout le savoir védique. Les quatre Kumāras et tous les autres sages faisant autorité en matière de spiritualité ont parfaitement réalisé que le service de dévotion accompli en toute conscience de Kṛṣṇa représente l’essence de la totalité des Écrits védiques, message qu’ils préconisent sur toutes les planètes où ils se rendent.
Ce qui sous-entend que des sages comme Nārada Muni et les Kumāras ne voyagent presque jamais par voie de terre mais se déplacent constamment dans l’espace, de planète en planète, afin d’éduquer les âmes conditionnées et de leur faire savoir qu’elles ne doivent pas perdre leur temps à rechercher le plaisir des sens en ce monde mais qu’elles doivent plutôt s’efforcer de retrouver leur position originelle dans le service de dévotion offert à Dieu, la Personne Suprême. Il est dit en plusieurs endroits que Dieu est tel un feu d’où jaillissent des étincelles – les êtres distincts – et que lorsque ces étincelles s’écartent du feu, elles perdent leur brillance naturelle ; c’est ainsi que les êtres vivants viennent en ce monde matériel tout comme des étincelles qui s’écartent du feu. L’être distinct, voulant imiter Kṛṣṇa, s’efforce de régner en maître sur la nature matérielle : il en oublie sa position originelle, et son pouvoir illuminant – son identité spirituelle – s’en trouve presque éteint. Cependant, si l’être vivant conditionné par la matière adopte la conscience de Kṛṣṇa, il se voit alors rétabli dans sa position naturelle. Les saints et les sages tels Nārada et les Kumāras voyagent à travers tout l’univers, prodiguant leurs instructions et encourageant leurs disciples à répandre la voie du service de dévotion, ce qui permet à toutes les âmes conditionnées de raviver leur conscience originelle, leur conscience de Kṛṣṇa, et d’échapper aux souffrances de l’existence matérielle.
Nārada Muni est un naiṣṭhika-brahmacārī ; on distingue quatre niveaux de brahmacārīs. Le premier est nommé sāvitra, il s’agit du brahmacārī qui, après l’initiation et la cérémonie où lui est remis le fil sacré, doit observer au moins trois jours de célibat. Le second est nommé prājāpatya, c’est le brahmacārī qui observe strictement le célibat pour une période d’au moins un an après l’initiation. Le troisième le brāhma-brahmacārī, observe le célibat depuis le moment de l’initiation jusqu’à celui où il complète ses études des Écrits védiques. Et le quatrième nommé naiṣṭhika-brahmacārī observe le célibat tout au long de son existence. De ces quatre brahmacārīs, les trois premiers sont nommés upakurvāṇa, c’est-à-dire qu’ils peuvent se marier après leur brahmācārya. Quant au naiṣṭhika-brahmacārī, il n’éprouve pas le moindre attrait pour la vie sexuelle ; les Kumāras et Nārada sont donc qualifiés de naiṣṭhika-brahmacārīs. On qualifie également le naiṣṭhika-brahmacārī de vīra-vrata. Le brahmacarya présente l’avantage particulier d’accroître la puissance de la mémoire et de la détermination. Il est précisément mentionné à ce propos que puisqu’il était naiṣṭhika-brahmacārī, Nārada pouvait se souvenir de tout ce qu’il avait reçu des lèvres de son maître spirituel, sans jamais l’oublier. Celui qui peut ainsi se souvenir à jamais de toute connaissance reçue est qualifié de śruti-dhara. Le brahmacārī śruti-dhara peut répéter tout l’enseignement qu’il a reçu sans avoir besoin de se référer à des notes ou à des livres. Le grand sage Nārada jouissait de cette qualité, et obéissant aux instructions de Nārāyaṇa Ṛṣi, il se consacra à répandre la philosophie du service de dévotion par tout l’univers. Du fait que ces grands sages peuvent se souvenir de tout enseignement reçu, il s’agit d’êtres profondément réfléchis, réalisés et parfaitement établis dans le service du Seigneur. Ainsi après avoir entendu Nārāyaṇa Ṛṣi, son maître spirituel, le grand sage Nārada atteignit à la parfaite réalisation spirituelle. S’établissant dans la vérité, il conçut un bonheur tel qu’il offrit à Nārāyaṇa Ṛṣi des prières dont voici l’essence.
Nārada Muni reconnut en la personne de Nārāyaṇa Ṛṣi une manifestation de Kṛṣṇa et s’adressa notamment à lui en tant que bienfaiteur souverain des âmes conditionnées. La Bhagavad-gītā enseigne que Kṛṣṇa apparaît en ce monde d’âge en âge à seule fin de protéger Ses dévots et d’annihiler les abhaktas. Ainsi Nārāyaṇa avatāra de Kṛṣṇa, se voit également attribuer le titre de bienfaiteur des âmes conditionnées. Comme l’enseigne la Bhagavad-gītā, chacun doit savoir qu’il n’est de bienfaiteur aussi magnanime que Śrī Kṛṣṇa, et qu’il faut prendre refuge aux pieds d’un tel Bienfaiteur universel. Fort du savoir qu’il existe quelqu’un qui puisse le protéger en toutes circonstances, l’être distinct trouve alors une paix et une sérénité parfaites. Kṛṣṇa, Ses avatāras et Ses émanations plénières Se font les bienfaiteurs souverains des âmes conditionnées, mais Kṛṣṇa, Lui, est le bienfaiteur même des asuras. En effet, Il accorda la libération à tous les asuras qui tentèrent de Le tuer à Vṛndāvana. Aussi, les Actes de bienfaisance de Kṛṣṇa revêtent-ils un caractère absolu. Qu’Il anéantisse un asura ou couvre un bhakta de Sa protection, chacun de Ses Actes demeure absolu. La sorcière Pūtanā, par exemple, fut élevée à la même position que la mère de Kṛṣṇa. Lorsque Kṛṣṇa donne la mort à un asura, il faut savoir que celui-ci s’en trouve souverainement béni. Toutefois, le Seigneur protège toujours Son pur dévot.
Après avoir offert ses respects à son maître spirituel, Nārada Muni se rendit à l’āśrama de Vyāsadeva et conféra l’enseignement qu’il avait reçu à son disciple. Lorsque Vyāsadeva eut reçu Nārada selon les usages en lui offrant un siège, celui-ci se mit à narrer ce qu’il avait entendu des lèvres de Nārāyaṇa Ṛṣi. Śukadeva Gosvāmī révéla donc à Mahārāja Parīkṣit les réponses à ses questions concernant l’essence du savoir védique et le but ultime des Vedas. Le but suprême de l’existence est de rechercher les bénédictions absolues de Dieu, la Personne Suprême, et de consacrer sa vie à Le servir avec amour. Il nous faut donc marcher sur les traces de Śukadeva Gosvāmī et de tous les vaiṣṇavas de la lignée disciplique, et offrir notre hommage respectueux à Śrī Kṛṣṇa, Dieu, la Personne Suprême, Hari. Les quatre lignées vaiṣṇavas, nommément la Madhva-sampradāya, la Rāmānuja-sampradāya, la Viṣṇu-svāmi-sampradāya et la Nimbārka-sampradāya, en accord avec toutes les conclusions védiques, s’accordent toutes sur le fait qu’il faut s’abandonner à Dieu, la Personne Suprême.
Les Écrits védiques se divisent en deux parties : les śrutis et les smṛtis. Les śrutis comprennent les quatre Vedas – le Ṛg, le Sāma, l’Atharva et le Yajur – ainsi que les Upaniṣads, et les smṛtis, les Purāṇas et les Itihāsas, tel le Mahābhārata, qui inclut la Bhagavad-gītā. La conclusion de tous ces Écrits est qu’il faut reconnaître Śrī Kṛṣṇa comme Dieu, la Personne Suprême. Il est le Parama-puruṣa, le Seigneur Suprême, sous la direction de qui agit la nature matérielle, par qui elle est créée, maintenue et anéantie. Après la création, le Seigneur Suprême Se multiplie en trois formes, Brahmā, Viṣṇu et Śiva. Ceux-ci prennent charge des trois guṇas, mais la direction ultime appartient à Śrī Viṣṇu. La nature matérielle placée sous l’influence des trois guṇas agit entièrement sous la direction de la Personne Suprême, Kṛṣṇa, comme le confirme la Bhagavad-gītā : mayādhyakṣeṇa, et les Vedas : sa aikṣata.
Les philosophes athées de l’école sāṅkhya avancent que la manifestation matérielle est due à la prakṛti et au puruṣa. Ils prétendent ainsi que la nature, l’énergie matérielle, représente la cause matérielle de même que la cause effective de la manifestation cosmique. Mais Kṛṣṇa reste la Cause souveraine de toutes les causes matérielles et effectives. La prakṛti et le puruṣa ne sont nullement les causes ultimes de l’univers. Il peut d’abord sembler qu’un enfant naisse de l’union du père et de la mère, mais Kṛṣṇa n’en demeure pas moins la Cause ultime du père comme de la mère. C’est donc Lui la Cause originelle, la Cause de toutes les causes, comme le confirme la Brahma-saṁhitā.
Dieu la Personne Suprême et les âmes distinctes pénètrent ensemble l’énergie matérielle. Kṛṣṇa, à travers l’une de Ses émanations plénières, S’y manifeste dans la forme de Kṣīrodakaśāyī Viṣṇu et de Mahā-Viṣṇu, le gigantesque Viṣṇu étendu dans l’Océan Causal. Puis, de cette forme gigantesque de Mahā-Viṣṇu émane Garbhodakaśāyī Viṣṇu qui Lui, pénètre en chaque univers et de Lui viennent ensuite Brahmā, Viṣṇu et Śiva. Viṣṇu pénètre dans le cœur de tous les êtres vivants ainsi que dans tous les éléments matériels, même dans l’atome. La Brahma-saṁhitā dit à ce propos : aṇḍāntara-stha-paramāṇu-cayāntara-stham ; Il est dans l’univers et aussi dans chaque atome.
Les êtres distincts se trouvent dotés de corps matériels appartenant à diverses formes de vie, et de même, l’univers tout entier n’est autre que le corps matériel de Dieu, la Personne Suprême. Les śāstras donnent à ce corps gigantesque le nom de virāṭ-rūpa. Et tout comme l’être distinct maintient son corps, Dieu, la Personne Suprême, maintient la création cosmique tout entière et tout ce qu’elle contient. Dès que l’être distinct quitte son corps matériel, celui-ci est aussitôt annihilé, et pareillement, dès que Viṣṇu quitte la manifestation cosmique, tout y est annihilé. Ce n’est que lorsque l’être distinct s’abandonne à Dieu, la Personne Suprême, que se voit assurée sa libération de l’existence matérielle. Ce que confirme la Bhagavad-gītā : mām eva ye prapadyante māyām etāṁ taranti te : « L’abandon à Dieu, la Personne Suprême, représente la seule cause de libération. » La façon dont l’être vivant s’affranchit de l’influence des guṇas après s’être abandonné au Seigneur, est illustrée par l’exemple d’un homme endormi dans sa chambre. Tout le monde peut voir cet homme qui dort, mais en vérité il n’est pas dans son corps, car dans son sommeil l’homme oublie son existence corporelle, bien que l’on puisse attester la présence de son corps. De même, un être libéré, engagé dans le service de dévotion offert au Seigneur, peut sembler absorbé dans les devoirs familiaux du monde matériel, mais puisque sa conscience est établie en Kṛṣṇa, il ne vit pas vraiment en ce monde. Ses occupations sont différentes, tout comme celles de l’homme endormi diffèrent de ses occupations corporelles. La Bhagavad-gītā confirme que le bhakta qui tout entier s’absorbe dans le service d’amour absolu du Seigneur a déjà surmonté l’influence des trois guṇas. Il se trouve déjà établi au niveau de réalisation spirituelle du Brahman, bien qu’il semble vivre dans un corps matériel.
Śrī Rūpa Gosvāmī explique à ce propos dans son Bhakti-rasāmṛta-sindhu que celui dont le seul désir est de servir le Seigneur Suprême, quelle que soit sa condition matérielle, doit être tenu pour un jīvan-mukta, un être libéré, alors même qu’il vit en ce monde. Pour conclure, celui qui se trouve absorbé dans la conscience de Kṛṣṇa est un être libéré. Celui-là n’entretient aucun rapport véritable avec le monde matériel. Les êtres qui ne connaissent pas la conscience de Kṛṣṇa sont appelés karmīs et jñānīs : ils errent respectivement au niveau corporel et intellectuel, si bien qu’ils n’atteignent pas la libération. Leur situation est qualifiée de kaivalya-nirasta-yoni. Par contre, celui qui atteint le niveau spirituel et absolu s’affranchit des morts et des renaissances successives. Ce que vient confirmer le quatrième chapitre de la Bhagavad-gītā : le simple fait de connaître la nature absolue de Kṛṣṇa, Dieu, la Personne Suprême, libère des chaînes du cycle des morts et des renaissances. Lorsqu’il quitte son corps matériel, l’être libéré retourne alors en sa demeure originelle, le Royaume de Dieu. Telle est la conclusion générale des Vedas. Après avoir compris le sens des prières offertes par les Vedas personnifiés, il va du devoir de chacun de s’abandonner aux pieds pareils-au-lotus de Śrī Kṛṣṇa.
Ainsi s’achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le quatre-vingt-septième chapitre du Livre de Kṛṣṇa, intitulé : « Les prières des Vedas personnifiés ».